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<div class="moz-forward-container">Interrogeons la nature
démocratique de l’éducation<br>
<br>
Publié par : Ligue de l'enseignement<br>
Le : 21/01/2015<br>
Par : Eric Favey<br>
<br>
*************************************<br>
<title>Interrogeons la nature démocratique de l’éducation</title>
<base
href="http://www.laligue.org/interrogeons-la-nature-democratique-de-leducation/">
<p><strong><a moz-do-not-send="true"
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alt="EF" height="300" width="199"></a><br>
</strong></p>
<p><strong>Le 10 janvier 2015 à Lyon, Eric Favey, ancien
secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement, a
rendu hommage à Philippe Meirieu. A cette occasion, il revient
sur les attentats et la responsabilité de l’Ecole, dans sa
« production » démocratique. </strong></p>
<p>Merci de cette invitation à évoquer en Philipe Meirieu une
pensée politique et pédagogique au delà de l’Ecole. Je vais lui
faire un aveu dont je n’ai pas pu m’entretenir avec lui
précédemment. Je vais évidemment traiter le sujet autrement que
je l’avais prévu. Je me suis débarrassé de la totalité des notes
de préparation de cette intervention, et je ne sais plus
vraiment quoi dire.</p>
<p>Certes, Il nous faut garder effectivement à la fois les traits
d’humour et de fantaisie conjugués à la rigueur qui
caractérisent les militants pédagogiques, les éducateurs et les
militants simplement. Mais aujourd’hui, je ne peux pas me
départir, excusez moi, d’une gravité qui me ronge depuis trois
jours et qui sans doute nous ronge tous.</p>
<p>François Jarraud a fait référence à l’instant à ce que Michel
Lussault, président du Conseil supérieur des programmes évoquait
récemment en invitant l’Ecole à aborder frontalement la question
des croyances. Je ne prendrais pas la situation tout à fait de
la même manière, mais d’une façon plus frontale encore. Je ne
suis plus, et depuis longtemps, enseignant en situation
pédagogique de classe. Je suis militant d’un mouvement
associatif, la Ligue de l’enseignement, et c’est à ce titre que
j’interviens : je suis un militant d’éducation populaire. Aussi,
au-delà comme vous de ma participation à la « colère publique »
comme l’évoquait en son temps Durkheim, qui nous rassemble et
qui nous rassemblera demain sans doute, la question qui depuis
trois jours ne me quitte pas, c’est : comment se fait-il que
trois jeunes adultes français n’ont pas trouvé d’autre raison de
vivre que d’assassiner leurs semblables?</p>
<p>Comment se fait-il que trois jeunes adultes français, tous
passés par l’école, ayant peut-être fréquenté des centre
sociaux, des maisons de quartiers, étant peut-être partis en
colonie de vacances avec la ligue de l’enseignement, peut être
même, nous le saurons sans doute grâce aux investigations
médiatiques, ayant été formés aux fonctions de l’animation -il
semble que l’un d’entre eux ait été éducateur sportif-, comment
se fait il que trois jeunes adultes français ayant fréquenté des
institutions éducatives, formelles ou non formelles comme nous
le disons, n’aient plus d’autre raisons de vivre que celle de
tuer d’autres êtres humains ?</p>
<p>A cet instant, je n’ai aucune réponse à cela. Je suis allé
puiser, à la fois dans ma mémoire, dans mon militantisme, dans
les textes de référence, et cela a été rappelé dans les
interventions précédentes, dans les écrits profonds du
chercheur, du pédagogue, du militant, de l’homme politique, du
citoyen Philippe Meirieu.</p>
<p>Nos mémoires sont habitées par les citations et les réflexions
que les questions éducatives ne manquent pas de produire, au fil
de nos actions, de nos recherches, de nos travaux, de nos
engagements et Philippe Meirieu nous inspire fréquemment en la
matière.</p>
<p>Mais dans la sidération de l’instant dramatique, tout se
brouille. Ce qui semblait établi tremble. Les convictions
vacillent. Le doute s’installe. Sauf l’intuition que nous ne
pourrons plus continuer comme avant. Et puis aussi que nous
avions quand même raison de concevoir l’éducation dans sa
continuité de contenus, de temps, d’espaces et d’acteurs. Et
c’est pour cela, Philippe, que ta pensée politique et
pédagogique au-delà de l’école, nous en avons plus que jamais
besoin. Ainsi tu es le compagnon, non pas de route, mais
d’actions et de pensées pour les mouvements d’éducation
populaire, mouvements pédagogiques, cela vient d’être évoqué
pour les CRAP, pour les fédérations de parents d’élèves et
notamment la FCPE, pour les associations d’élus impliquées
depuis peu, et fortement maintenant sur les questions
éducatives.</p>
<p>Sans doute simultanément as-tu aussi besoin de nous pour
continuer à construire et nourrir ta pensée à travers ta propre
action et les actions communes que tu peux parfois conduire avec
nous.</p>
<p>Il n’est pas étonnant d’ailleurs que je ne sache pas répondre à
cette question, à cause d’un des principaux enseignements que
j’ai tiré des trop brèves rencontres que nous avons eu : c’est
la démonstration que tu as toujours tenu à faire qu’en matière
d’éducation -et Guy Avanzini nous l’a d’ailleurs redit tout à
l’heure-, il n’y a aucune certitude. En matière d’éducation, le
doute est permis en permanence et nous ne savons pas bien ce que
nous fabriquons. Nous bricolons sans certitudes et c’est sans
doute bien ainsi.</p>
<p>Nous pouvons avoir les plus belles intentions du monde mais
l’éducation par nature ne contient en elle aucune vertu
intégrée.</p>
<p>Après tout, les sociétés les plus totalitaires ont encore
aujourd’hui des systèmes éducatifs très élaborés. La pédagogie
même, ne suppose pas qu’elle place l’enfant au centre de ses
apprentissages et qu’elle vise à son émacipation solidaire. On
peut même imaginer que les mouvements de fous furieux qui
s’agitent aujourd’hui dans le monde et sur nos territoires
développent leurs propres pédagogies.</p>
<p>Je dis cela sans provocation, mais ce qui doit nous interroger
plus que jamais c’est la nature démocratique de l’éducation, non
pas au sens du nombre d’élèves ou d’enfants qui sont concernés,
mais au sens de sa production démocratique. Et c’est en cela que
la pensée politique et pédagogique de Philippe Meirieu, va bien
au-delà de l’école mais questionne l’école puisque la périphérie
travaille toujours le centre. Ne sommes-nous pas d’ailleurs à en
effet une époque où l’école est périphérique. Bien étrange
expression que de parler du péri- scolaire. Dans les temps d’une
vie d’un enfant, l’Ecole est devenue marginale : dans ses
apprentissages et sa culture, dans la construction de ses
représentations l’école n’est plus première aux côtés de la
famille. A 13 ans un enfant qui est en 5ème a passé bientôt
trois fois plus de temps derrière les écrans qu’à apprendre à
l’Ecole, quasiment trois années: le temps de sa scolarité
cumulée a été d’une année, sensiblement le même que dans des
formes organisées de loisirs dit éducatifs et heureusement
souvent ils le sont.</p>
<p>Alors dans cette finalité de l’éducation qui est de permettre
aux enfants et aux jeunes d’entrer dans notre monde commun
incertain, complexe, imprévisible, d’y faire leur place avec les
autres et de vivre mieux, d’améliorer notre humaine condition,
la responsabilité éducative est partagée. Et si nous devons, et
plus que jamais quand la vie a perdu son sens pour une partie de
nos concitoyens, quand on confond le désir d’avoir au besoin
d’être, questionner non seulement l’école sur ses finalités
démocratiques et républicaines, si je veux faire dans l’emphase,
il faut aussi interpeller la totalité des champs éducatifs et
des acteurs éducatifs.</p>
<p>Je ne nous exonérerai pas bien sûr, nous, militants de
l’éducation non formelle de cette responsabilité. Combien
d’activités éducatives de loisirs qui finalement empruntent
plus aujourd’hui au savoir faire du marché du capitalisme
compulsif, au consumérisme comme tu le décris Philippe, qu’aux
engagements de la convention internationale des droits de
l’enfant par exemple ? Combien de mouvements d’éducation
populaire, et le mien n’y échappe pas parfois, contraints à la
sous traitance de l’impuissance publique plutôt qu’à l’invention
et la réinvention permanente d’une éducation émancipatrice et
solidaire, émancipatrice parce que solidaire ?</p>
<p>Qui est fautif ? Nous dirons que, là encore c’est une
responsabilité collective et partagée. Par tacite reconduction,
par renoncement, par difficultés réelles de changer de modèle,
par petits arrangements et grands accords qui font persister une
société faisant le choix de l’inégalité ?</p>
<p>Je terminerai en évoquant ce qui je crois est à notre portée
individuelle et collective : l’impérieuse nécessité de relier
effectivement l’engagement pédagogique et éducatif à la
recherche de la haute qualité démocratique qui fait défaut à
notre société. La France comme les autres nations démocratiques
est dans la tourmente d’un monde en mutations inédites et d’une
telle rapidité qu’il lui faut un grand niveau de confiance entre
toutes ses constituantes, pour « faire société », pour concevoir
un en-commun accepté. Au cœur de la confiance il y a la promesse
républicaine. Partout où elle est mise en défaut de ne pas être
tenue, il faut s’arrêter sur les raisons de cet échec et y
remédier. De toute urgence. Et à l’Ecole tout particulièrement.</p>
<p>La représentation nationale peut le faire, les élus
territoriaux, les agents des services publics et des
institutions. Mais les promesses seront d’autant mieux tenues et
les lois qui les traduisent, celles qui visent à plus d’égalité
et de justice sociale, que les citoyens associés exerceront leur
« droit de suite », par leur engagement.</p>
<p>En clôture d’un des livres, nombreux livres, de Philippe
Meirieu, <em>« Lettre au grandes</em> <em>personnes sur les
enfants d’aujourd’hui »</em>, tu cites Fernand Deligny <em>:«
Le plus grand mal que</em> <em>tu puisse leur faire c’est de
promettre et de ne pas tenir, d’ailleurs tu le paieras cher et
ce sera justice ».</em></p>
<p>Je ne veux pas dire que les trois adultes que j’évoquais
précédemment nous font payer des promesses que la République n’a
pas tenue à leur égard… mais quand même, mais quand même… je ne
peux m’empêcher au moins d’y penser.</p>
<p>Je ne veux pas dire que les habitants de Clichy-sous-Bois nous
feront payer, pour l’instant en silence et bientôt bruyamment,
dans quelques semaines, le procès en appel 10 ans après les
faits des deux policiers mis en cause dans la mort dans un
transformateur électrique où ils s’étaient réfugiés de Zied et
Bouna…mais quand même…On connait parfois une justice beaucoup
plus expéditive pour des faits beaucoup moins graves.</p>
<p>Des enfants perdus de la République, ne pouvons pas au moins
convenir que beaucoup sont passés du mépris de soi à la haine
des autres.</p>
<p>Alors au moins que dans nos légitimes interrogations nous
puissions dire que nous ne voulons plus d’un monde qui fabrique
du mépris de soi.</p>
<p>Nous avons cette responsabilité notamment à l’égard de l’Ecole,
mais à l’égard de nous même et c’est en cela que nous avons
besoin des repères, de la vigilance, du travail constant du
militant, du pédagogue, du chercheur que Philippe Meirieu est
toujours et restera sans doute au delà de la fin de ces
activités professionnelles dans cette université</p>
<p>Parce que pour l’Ecole, rien ne l’oblige à ne pas tenir ses
promesses sauf finalement une forme de complicité tacite à faire
en sorte qu’elle ne les tienne pas, pourquoi les tiendrait-elle
d’ailleurs ? Alors que depuis 30 ou 40 ans nous en disons la
même chose, que PISA le confirme. Les réformes et les lois
d’orientation s’ajoutent aux refondations. Mais jusqu’à présent,
finalement la République est capturée par les meilleurs que
l’Ecole fabrique. Pourquoi changerait-il le système qui les
maintient au pouvoir politique, culturel et économique.</p>
<p>Au nom du mérite, principe qu’il est inconvenant de discuter,
les vaincus du mérite dans le plus grand silence n’ont pas la
capacité d’accès à la parole qui leur permettrait d’exiger que
les meilleurs acceptent de leur faire une place, de changer un
système qui les a produit.</p>
<p>N’est-ce pas cette obligation alors que nous avons de rappeler
sans cesse que l’Ecole, institution de la République, qui en
institue une part, qui élève la liberté de penser à le devoir de
le faire dans l’égalité et la fraternité. Et que malgré les lois
et textes, des pratiques persistent qui en contredisent la
promesse. Je n’en cite que trois :</p>
<p>Le scandale qui fait que des centaines de milliers d’élèves de
l’enseignement professionnel sont privés d’enseignement
philosophique.</p>
<p>Le scandale d’un pays qui continue à se satisfaire d’une
éducation artistique censée travailler justement la question des
sens, de la créativité, du patrimoine commun de l’humanité,
dans une société hyper matérialiste qui détruit les sens et le
sens, qui fabrique de la barbarie et qui maintient à quelques
dizaines de minutes par semaine cet enseignement en réinventant
en permanence la énième politique de l’éducation artistique,
dont on a maintenant à peu près tout dit.</p>
<p>Le scandale de l’éducation civique juridique et sociale et des
heures de vie de classe utilisées trop souvent comme variable
d’ajustement des programmes que l’on n’a jamais terminés.</p>
<p>Qu’est ce qui nous empêche mes amis de dire une bonne fois pour
toute que ce scandale doit cesser par l’alliance et les efforts
coopérants, partagés et militants aux côtés des enseignants, des
éducateurs, des parents, des chercheurs, aux côtés des militants
pédagogiques, des habitants, des élus et je l’imagine aussi de
la responsabilité nationale qui vote les lois et de dire que
tout cela ne coûte rien : simplement de tenir nos promesses.</p>
<p>Alors si nous avons à tirer de l’engagement de Philippe Meirieu
de ses travaux, de sa pensée et évidemment aussi de sa présence
toujours à nos côtés, c’est que nous ne voulons plus d’une Ecole
qui n’apprenne pas à vivre à nos enfants, que nous ne voulons
plus qu’un seul enfant, un seul jeune de notre pays puisse
croire qu’il est sans avenir.</p>
<p>Que nous souhaitons que sa pensée et nos pratiques soient mises
au service d’une Ecole et d’une éducation partagée qui servira
effectivement aux enfants et aux jeunes de ce pays à fabriquer
leurs propres réponses à la question essentielle qui conclut le
très beau livre « <em>la belle amour humaine </em>» du poète
haïtien Lionel Trouillot <em>« Qu’allons nous faire de notre</em>
<em>présence au monde ».</em></p>
<p>Pour cela Philippe, nous avons toujours besoin de toi. Merci.</p>
<p>Eric FAVEY<br>
Administrateur national de la Ligue de l’enseignement<br>
Membre du Conseil supérieur des programmes</p>
<br>
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