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Tous Charlie et maintenant ?<br>
De 1905 à l'après-Charlie, la laïcité dans tous ses états<br>
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Par : Juliette Cerf<br>
Publié par : <a class="moz-txt-link-abbreviated" href="http://www.telerama.fr">www.telerama.fr</a><br>
Le : 08/02/2015.<br>
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La loi de 1905 devait permettre aux croyants et aux autres de vivre
en paix. Elle a clairement dévié. Après Charlie, il est temps de
repenser la laïcité dans sa complexité. Ni totem ni tabou !<br>
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Le « seul enjeu qui importe, la laïcité. La laïcité ! La laïcité,
parce que c'est le cœur de la République », le socle de l'école, un
« gage d'unité et de tolérance ». Manuel Valls l'a martelé devant
les rangs de l'Assemblée nationale, le 13 janvier 2015 : la «
réponse » aux attaques terroristes doit être « forte, sans
hésitation ». Elle passera par « la République et ses valeurs » ou
ne sera pas. Le lendemain, dans son édito, tiré à plus de sept
millions d'exemplaires et intitulé « Est-ce qu'il y aura encore des
"oui, mais" ? » Charlie Hebdo ripostait aux yeux du monde entier
avec cette arme laïque qui a toujours été la sienne : dire « Je suis
Charlie », « ça veut dire aussi : "Je suis la laïcité" » : « Pas la
laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la
laïcité-je-ne-sais-quoi, la laïcité point final. Elle seule permet,
parce qu'elle prône l'universalisme des droits, l'exercice de
l'égalité, de la liberté, de la fraternité, de la sororité. [...]
Elle seule permet, ironiquement, aux croyants, et aux autres, de
vivre en paix. »<br>
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“La laïcité, c'est refuser tout privilège, à l'athéïsme comme aux
religions.” Henri Pena-Ruiz, philosophe<br>
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Universalité de la laïcité, rendant d'un seul coup possibles
l'unité, la tolérance, la paix, la liberté, l'égalité, la fraternité
? Cette ligne droite, sans ambages ni « oui mais », est éclairée par
le philosophe Henri Pena-Ruiz. L'auteur de Dieu et Marianne en 1999
et récemment d'un Dictionnaire amoureux de la laïcité dit oui à
cette « laïcité tout court, sans adjectif qui la modulerait ». Il
s'explique : « La laïcité promeut en même temps trois principes : la
liberté de conscience, l'égalité des droits entre croyants et
athées, et le fait que l'Etat se consacre au seul intérêt général.
Cet universalisme est bon pour tous : il unit sans soumettre, et
préserve la sphère publique des communautarismes. Etre laïque, c'est
refuser tout privilège, aussi bien à l'athéisme qu'aux religions,
ainsi traités à égalité. » Définie ainsi, la laïcité est, un point
c'est tout, ni trop ouverte, ni fermée, ni trop rigide, ni pas
assez. Victor Hugo permet au philosophe de trancher : « L'Etat chez
lui, l'Eglise chez elle ! » La loi de séparation votée en 1905, sous
la IIIe République, a désolidarisé l'Etat de la religion. L'Etat
rejette toute autorité religieuse et n'exerce lui-même plus aucun
pouvoir religieux (ni ne finance aucun culte), quand les Eglises, de
leur côté, n'ont plus aucun pouvoir politique.<br>
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Un principe universel qui attise les contradictions<br>
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Mais si elle a pour but d'assurer la précieuse neutralité de l'Etat,
celle qui doit justement permettre à des citoyens différents de
vivre ensemble dans un espace commun, la laïcité n'est en rien une
notion neutre. Son « champ d'application » est l'enjeu d'une «
mésentente », note Constantin Languille dans La Possibilité du
cosmopolitisme. Burqa, droits de l'homme et vivre-ensemble. Brandie
par certains comme une réponse, une solution unanimiste au
tremblement de terre qui vient d'agiter la France, elle ne peut
pourtant dissimuler qu'elle s'est avérée problématique ces dernières
années : clivante, partisane, instrumentalisée, éminemment
politisée. Principe universel censé réchauffer tous les cœurs, la
laïcité échauffe plutôt les esprits et attise la contradiction —
jusque dans les rangs de l'Observatoire de la laïcité, tout
récemment. Loin d'être ce radar clair de la vie en société, la
laïcité s'est brouillée au fil des années.<br>
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“Le modèle français de laïcité n'existe pas.” Jean Baubérot,
historien et sociologue<br>
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« La laïcité a toujours été plurielle, prise dans des rapports de
force. La loi de 1905 elle-même est née d'un violent conflit entre
Jean Jaurès et Aristide Briand d'un côté et Emile Combes de l'autre
», rappelle l'historien et sociologue Jean Baubérot, qui publiera en
mars Les Sept Laïcités françaises. Le modèle français de laïcité
n'existe pas. Personne n'est donc selon lui propriétaire de cette
notion qu'il est dangereux d'ériger en nouvelle religion. Le
spécialiste n'a d'ailleurs pas peur de dire que Charlie Hebdo pose
le problème de la laïcité « d'une manière naïve, caricaturale et non
réflexive » : « Le risque, c'est que l'atroce massacre qui a visé
les caricaturistes sacralise leur ligne éditoriale. Il faut au
contraire accepter d'ouvrir le débat et ne pas faire de raccourci. »<br>
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Nouvelle donne géopolitique <br>
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La confusion ambiante vient du fait que deux laïcités se sont
superposées dans notre pays : « La première fonctionne de façon
immergée, silencieuse : il s'agit de toute la jurisprudence issue de
la loi de 1905, qui permet à chacun d'exercer sa religion dans le
calme et la sérénité. La deuxième, émergée, bruyante, fait débat :
il s'agit d'une nouvelle laïcité, très différente de celle de 1905.
Alors que la loi de séparation assurait la neutralité de la seule
puissance publique, celle-ci cherche à étendre la neutralité à la
société tout entière. » Petit à petit, ce n'est plus à l'Etat mais
aux individus eux-mêmes que l'on demande d'être neutres, comme en
témoignent la loi de 2004, qui interdit le port des signes
d'appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées, la
loi de 2010, interdisant la burqa dans l'espace public, ou l'affaire
Baby Loup, qui a vu une employée portant le voile dans une crèche
privée être condamnée et licenciée. Le contexte social et politique
de la France d'aujourd'hui n'a en effet plus rien à voir avec celui
de 1905 ; les forces religieuses en présence, non plus, ne sont pas
les mêmes. L'établissement de la laïcité a été le fruit d'une longue
lutte contre l'Eglise catholique, celle de la Révolution française
contre une monarchie de droit divin ; la laïcité est maintenant
confrontée à la visibilité grandissante et à la nouvelle donne
géopolitique de l'islam contemporain.<br>
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Une “instrumentalisation raciste et xénophobe” <br>
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Selon Jean Baubérot, la laïcité a été « falsifiée » : alors qu'elle
était au fondement historique du projet politique de la gauche, elle
a clairement été récupérée par la droite et l'extrême droite, en
devenant un enjeu identitaire. Le discours de Latran prononcé par
Nicolas Sarkozy en 2007 a été un jalon marquant de cette évolution :
l'ancien Président y exaltait les « racines chrétiennes » de la
France et y appelait même de ses vœux l'avènement d'une « laïcité
positive » considérant la religion comme un atout. Une régression
inacceptable pour les penseurs du cadre strict de la laïcité made in
1905... Une nouvelle « catho-laïcité », façon claire de viser
l'islam pour nombre d'observateurs... Comme le notent Stéphanie
Hennette Vauchez et Vincent Valentin, professeurs de droit public et
auteurs de L'Affaire Baby Loup ou la Nouvelle Laïcité, « pour une
partie de la droite, incarnée notamment par Nicolas Sarkozy, la
(nouvelle) laïcité semble être principalement l'outil de protection
contre l'islam d'une culture ou d'une civilisation issue du
christianisme — celui-ci étant pensé comme spontanément compatible
avec la laïcité, voire même sa matrice ». Cheval de bataille d'une
droite identitaire, cette nouvelle laïcité a été prise à partie par
la gauche de la gauche, qui la juge tout bonnement islamophobe. Le
sociologue Eric Fassin, par exemple, épingle ainsi une «
instrumentalisation raciste et xénophobe » de la laïcité.<br>
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“Les individus privés sont sommés de devenir laïques, athées.”
Vincent Valentin, juriste<br>
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Ironique laïcité ! Censée être le ciment de la vie en société et du
dépassement des différences, elle est devenue le lieu de l'exclusion
de certains citoyens et d'une discrimination entre les religions.
Elle aussi a volé en éclats, au rythme même des dissensions qui
agitent et clivent plus que jamais la société française. Mais pour
Henri Pena-Ruiz, la laïcité ne devrait pas être incriminée : « Il ne
faut pas remettre en cause l'émancipation laïque, sous prétexte que
l'émancipation socio-économique est en panne. Ce n'est pas la
laïcité qui stigmatise les citoyens musulmans. L'action pour la
justice sociale et contre le racisme doit permettre d'y remédier. »
Pour Vincent Valentin, et nombre de juristes, ce qui pose surtout
problème, c'est le dévoiement du droit : les dérives liberticides
inhérentes à cette nouvelle laïcité, et la confusion qu'elle
instaure entre le public et le privé. « En étendant le principe de
neutralité de l'autorité publique aux usagers eux-mêmes, on est
passé d'une laïcité juridique à une laïcité culturelle, qui voudrait
que le public se privatise et que le privé se publicise. L'Etat
s'immisce dans des choix religieux qui devraient rester privés et
les individus privés sont sommés de devenir laïques, athées. » Le
juriste voit là un dangereux brouillage : désormais, ce n'est plus
l'Etat qu'il faudrait séparer de la religion, mais la société
elle-même, l'individu devant désormais être neutre « à l'école,
autour de l'école, dans le travail, voire... dans l'espace public en
général ». De façon insidieuse, la religion est en fait redevenue
une affaire publique... Au risque de violer les libertés
individuelles : « Tandis que la laïcité républicaine "originelle"
(la laïcité de 1905) est étroitement associée aux idées de liberté
et d'égalité, la nouvelle laïcité les remet en cause. »<br>
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“Il existe une sorte d'exclusivisme républicain” , Constantin
Languille<br>
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L'inversion est de taille : alors que la laïcité devait dans son
principe protéger la liberté de croire ou de ne pas croire, elle
sert aujourd'hui à la contrôler, ou à l'interdire. On est passé d'un
état du droit — une défense de la liberté, assortie de droits et de
devoirs — à l'imposition de valeurs — une conception du bien, une
manière d'être. « On en vient à limiter la religion au nom même de
ce qui assurait la liberté de la religion », résume le juriste.
Comme l'analyse aussi Constantin Languille dans La Possibilité du
cosmopolitisme, on en vient à confondre le « principe juridique » de
laïcité, qui est « libéral au sens où il permet à chacun de vivre et
d'exprimer sur la place publique son appartenance religieuse », et
la « norme sociale, implicite mais très forte au sein de la société
française », selon laquelle « le bon citoyen ne doit pas trop
manifester son appartenance religieuse, sous peine d'être suspecté
d'infidélité à la République. Il existe une sorte d'exclusivisme
républicain : manifester sa religion signifie se distancier de la
communauté des citoyens ». Or cet imaginaire républicain
universaliste ne cesse de se heurter à une réalité tout autre, celle
d'un « apartheid territorial, social, ethnique », pour reprendre
l'expression polémique du Premier ministre, celle d'un pays traversé
par de nouvelles tensions religieuses, la France n'étant plus depuis
longtemps la nation fantasmée, une et indivisible qu'elle croit
être.<br>
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Laïcité et liberté doivent continuer à rimer<br>
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Ne nous trompons pas de combat. Ce n'est pas la laïcité qui doit
être brandie comme une arme contre la religion : tant que la
croyance religieuse ne nuit pas à autrui ou ne trouble pas l'ordre
public, le droit, tel qu'il existe du moins, ne devrait pas être
instrumentalisé pour la limiter. « Non, les libertés publiques ne
doivent pas être restreintes au nom de la laïcité. Et, en même
temps, la lutte contre le terrorisme a ses contraintes, met en garde
Jean Baubérot. Il faut être réaliste sur ce point, en se gardant de
tout amalgame entre le terroriste islamiste et la mère de famille
voilée qui veut participer à une sortie scolaire avec ses enfants. »
Laïcité et liberté doivent continuer à rimer. Il ne faut donc pas se
tromper de réponse aux problèmes auxquels est confrontée la société
française : utiliser la laïcité comme un rempart contre les
religions, en faire une forteresse du passé assiégée par le présent,
c'est un immense aveu de faiblesse de la part du politique, une
façon de remplir un vide d'idées et de propositions, une manière à
peine masquée de contenir ses peurs.<br>
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L'Alsace, une exception historique<br>
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En matière de laïcité, la France connaît une exception de taille qui
a traversé les âges, malgré les critiques : le régime local de
l'Alsace-Moselle, où le Concordat (1801), signé entre la France et
le Vatican (Napoléon Bonaparte et Pie VII), est toujours appliqué.
Quand la loi de séparation des Eglises et de l'Etat a été votée en
France, en 1905, l'Alsace-Moselle appartenait encore à
l'Allemagne... Depuis 1918, date où le territoire redevient
français, quatre cultes sont organisés par l'Etat : catholique,
protestants luthérien et réformé, israélite. Prêtres, pasteurs et
rabbins sont ainsi payés par la puissance publique, quand les
évêques de Metz et de Strasbourg sont nommés sur décret du président
de la République. Un enseignement religieux est également prodigué
dans les écoles publiques, mais une dispense peut avoir lieu à la
demande des parents.<br>
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À lire : Dictionnaire amoureux de la laïcité, d'Henri Pena-Ruiz, éd.
Plon, 950 p., 25 € ; La Possibilité du cosmopolitisme. Burqa, droits
de l'homme et vivre-ensemble, de Constantin Languille, éd.
Gallimard, 224 p., 19 € ; La Laïcité falsifiée, de Jean Baubérot,
éd. La Découverte, 224 p., 9,50 € ; L'Affaire Baby Loup ou la
Nouvelle Laïcité, de Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin,
éd. LGDJ, 116 p., 17 €.<br>
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<pre class="moz-signature" cols="72">--
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : <a class="moz-txt-link-abbreviated" href="mailto:denis.lebioda@laligue-alpesdusud.org">denis.lebioda@laligue-alpesdusud.org</a>
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Nos sites :
<a class="moz-txt-link-freetext" href="http://www.laligue-alpesdusud.org">http://www.laligue-alpesdusud.org</a>
<a class="moz-txt-link-freetext" href="http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog">http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog</a>
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