[Infoligue] Administration territoriale : Une réforme peut en cacher une autre
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 30 Nov 10:15:33 CET 2009
Administration territoriale : Une réforme peut en cacher une autre
Publié par : http://www.localtis.info
Le : 24 novembre 2009
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Le gouvernement tient le rythme de la réforme de l'administration
territoriale : d'ici 2010, la nouvelle architecture sera en place autour
du préfet, amené à jouer un rôle déterminant. Les sous-préfectures,
elles, se concentreront sur le développement local et l'assistance aux
collectivités.
La réforme territoriale et les vives réactions qu'elle vient de susciter
devant le Congrès des maires en aurait presque fait oublier une autre :
la réforme de l'administration territoriale de l'Etat qui, elle, avance
lentement mais sûrement. L'objectif - réduire par trois le nombre des
services de l'Etat dans le cadre de la révision générale des politiques
publiques (RGPP) - devrait être atteint en 2010. Lundi 16 novembre, le
Premier ministre a brossé à grands traits les enjeux de ce vaste
chantier qui vise à rendre "l'Etat local plus souple, plus lisible, plus
modulable, y compris dans sa relation avec les collectivités
territoriales" alors que le partage des compétences est rendu plus
confus avec la décentralisation. A commencer par l'échelon régional :
les conseils régionaux sont les premiers à dénoncer les doublons qui
subsistent entre leurs services et ceux de l'Etat.
"Le pilotage des politiques publiques est désormais régional. Et sa mise
en œuvre se fait à l'échelon départemental", a souligné François Fillon,
devant les artisans de cette réforme, notamment les préfets, réunis à La
Défense. Les 25 directions régionales actuelles fusionneront au sein de
huit grands pôles : Drac (culture), Dirm (mer), Dreal (environnement),
Draaf (agriculture), DRJSCS (jeunesse et sports), Direccte (concurrence,
travail et emploi), ARS (santé), DRFIP (services fiscaux). Les Direccte
(directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la
consommation, du travail et de l'emploi) constituent le nouveau bras
armé de l'Etat en matière économique, né de la fusion de neuf services
actuels dont les directions régionales et départementales de l'emploi,
du travail et de la formation professionnelle (DDTEFP et DRTEFP), les
services développement industriel des Drire et la mission concurrence
des directions régionales de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes. L'objectif est de fournir aux entreprises,
salariés et consommateurs un interlocuteur unique. Les Direccte sont
déjà à l'oeuvre dans cinq régions : Aquitaine, Franche-Comté,
Languedoc-Roussillon, Paca et Rhône-Alpes. Les autres seront
opérationnelles avant le 1er juillet 2010, a indiqué le ministère du
Travail après la parution du décret du 10 novembre 2009 qui fixe leur
organisation et leurs missions. Selon ce texte, chaque Direccte est
chargée de trois missions : la politique du travail, les actions de
développement des entreprises et de l'emploi ; le bon fonctionnement des
marchés et des relations commerciales entre entreprises ; la protection
des consommateurs.
En matière d'urbanisme, la nouvelle direction compétente est la Dreal
(direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du
logement), fruit de la fusion entre la DRE (équipement), la Drire
(industrie et recherche) et la Diren (environnement). C'est également
elle qui sera chargée de mettre en oeuvre les engagements du Grenelle.
Onze Dreal ont été créées en 2009 (Corse, Paca, Picardie,
Nord-Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire, Haute-Normandie, Midi-Pyrénées,
Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes), les autres devront l'être courant
2010-2011.
Le maillage territorial des Dirrecte, des Dreal et des Drac est assuré
au niveau des départements par des "unités territoriales".
Une réorganisation à "géométrie variable"
Au niveau départemental, la réforme devrait rompre avec une logique de
portefeuilles ministériels pour épouser une approche transversale :
cohésion sociale, protection des populations, développement durable et
équilibre des territoires... Innovation majeure, les préfets seront à la
tête d'un nombre réduit de deux ou trois directions interministérielles
(DDI) : les directions départementales des territoires (DDT) ou, le cas
échéant, de la mer (DDTM), qui incorporeront notamment les célèbres DDE
(directions départementales de l'équipement), les directions
departementales de la protection des populations (DDPP) et les
directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) si la taille du
département le justifie. Le gouvernement a souhaité mettre place un
principe de "modularité", avec une organisation censée coller aux
besoins locaux.
Illustration de cette volonté en matière sociale. Les directions
sociales départementales - et tout particulièrement les Ddass - ont
longtemps été les acteurs clés de l'action sociale, au point d'imprégner
profondément la mémoire collective. Plus de 25 ans après la
décentralisation - qui a notamment transféré aux départements
l'intégralité de l'aide sociale à l'enfance -, il est toujours fréquent
de lire ou d'entendre qu'un enfant a été confié à la Ddass. Dans la
réalité, les Ddass sont en difficulté, sinon en déshérence, depuis de
nombreuses années. Dépossédées d'une bonne part de leurs attributions
par la décentralisation, puis par la montée en charge des Drass et,
enfin, par la création des agences régionales de l'hospitalisation (ARH)
et, aujourd'hui, des agences régionales de santé (ARS), les Ddass ne
sont plus aujourd'hui que l'ombre d'elles-mêmes, en particulier dans les
petits départements. Conséquence de cet affaiblissement continu : la
réorganisation de l'Etat au niveau départemental dans le secteur social
est plutôt mieux vécue que dans d'autres domaines. La réforme passe en
revanche moins bien dans les Drass, dont les compétences sont
sérieusement écornées par la mise en place des ARS (voir notre article
ci-contre du 20 octobre 2009).
Dans son discours du 16 novembre 2009, François Fillon a réaffirmé que
"le niveau départemental [...] doit contribuer à l'équilibre des
territoires, [...] fédérer les actions concourant à la cohésion sociale
[et] garantir la sécurité sanitaire et économique". Le Premier ministre
aurait pu ajouter que la réorganisation au niveau départemental rompt,
pour la première fois, avec l'approche cartésienne et uniforme de l'Etat
en France. Dans le secteur social, la nouvelle organisation sera en
effet différente selon les départements. Dans les 42 départements les
plus importants, l'action sociale relèvera donc de la DDCS. Celle-ci
mettra en oeuvre les politiques relatives à la prévention et à la lutte
contre l'exclusion, à la protection des personnes vulnérables, à la
fonction sociale du logement et à l'hébergement d'urgence, à
l'hébergement des demandeurs d'asile, à la lutte contre les
discriminations, à la politique de la ville, à l'animation des
politiques interministérielles en faveur de la jeunesse, à la protection
des mineurs, au développement de la vie associative, sportive, ou
socioculturelle, ainsi qu'à la promotion de l'éducation populaire. La
mission des DDCS inclut également les activités d'inspection et de
contrôle des établissements d'accueil et l'application de la
réglementation relevant du champ de la direction. En pratique, les DDCS
regrouperont ainsi les compétences des Ddass, des directions
départementales de la jeunesse et des sports, du service du droit des
femmes, ainsi que les compétences logement social et hébergement
d'urgence des DDE. Elles coexisteront avec la DDPP, qui aura en charge
les compétences des actuelles directions départementales des services
vétérinaires (DDSV), et les unités départementales de la concurrence,
consommation et répression des fraudes (CCRF). Dans les petits
départements (moins de 400.000 habitants), il n'existera pas de DDCS, et
les compétences et les agents relatifs à la cohésion sociale
fusionneront avec ceux des DDPP au sein d'une direction départementale
de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP),
dont le champ d'action sera ainsi élargi.
Monopoly immobilier
Cette restructuration de l'administration sociale de l'Etat dans les
départements vient de franchir une étape importante avec la publication,
au Journal officiel du 15 novembre, d'une dizaine d'avis de vacance de
postes de directeurs départementaux interministériels (principalement
des DDCS et DDCSPP) et d'autant pour des directeurs adjoints.
Conséquence de ce vaste rédéploiement : l'administration centrale va se
"concentrer sur sa fonction d'orientation stratégique", laissant les
préfets de département en première ligne, entourés d'un état
major resserré constitué du corps préfectoral et des directeurs
départementaux interministériels placés sous leur autorité. Les
sous-préfectures deviendront progressivement "une administration de
mission tournée vers le développement local". "Il n'y aura pas de remise
en cause du maillage territorial dense constitué par les 240
sous-préfectures d'arrondissement", a garanti le ministre de
l'Intérieur, Brice Hortefeux, devant les maires, jeudi 19 novembre. Les
sous-préfets sont présentés par le gouvernement comme des "monteurs de
projets" auprès des élus. Crédits européens, Ademe, FNADT, etc. :
dégagés des tâches de gestion, ils pourront apporter l'ingénierie
nécessaire aux collectivités qui en auront besoin, notamment en zone
rurale. Brice Hortefeux s'est également engagé à ce que les missions
d'assistance technique de l'Etat pour des raisons de solidarité et
d'aménagement du territoire (Atesat) soient maintenues.
Le gouvernement ne cache pas que l'objectif de la réforme est aussi la
diminution des effectifs, estimés à 250.000 fonctionnaires, par le
non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite.
"Cette réforme offre un moyen constructif de respecter cette norme
indispensable pour le rétablissement de nos finances publiques", a
affirmé le Premier ministre, le 16 novembre. Place à présent au grand
Monopoly immobilier que va entraîner la réforme avec le regroupement de
toutes ces administrations aujourd'hui éparpillées. Le gouvernement en
espère des "gains énormes" grâce à la vente de bâtiments ou la
résiliation de locations.
N.E. et M.T.
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Denis Lebioda
Ligue de l'enseignement - Chargé de mission Alpes du Sud
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