[Infoligue] Les sourdes mutations du monde associatif
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 13 Avr 07:25:40 CEST 2010
Les sourdes mutations du monde associatif
Auteur : Alexandre Pierrin
Publié par :
http://www.mediapart.fr/club/blog/alexdelamancha/120410/les-sourdes-mutations-du-monde-associatif
Le : 12 Avril 2010
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On le sait, le monde associatif est aujourd'hui un acteur majeur de la
vie sociale française. Les chiffres parlent d'eux même: 1,1 millions
d'associations en activité qui mobilisent 12 millions de bénévoles et
emploient 1,8 millions de salariés1. A ce dynamisme, il faut ajouter une
cote de popularité vertigineuse: 90% des français ont une bonne opinion
des associations... de quoi faire pâlir d'envie les syndicats et les
politiques.
Devant un tel succès, on comprend que la classe politique se gargarise
de cette réussite et tente de s'en accaparer les succès. Ainsi Nicolas
Sarkozy louait-il y a quelques mois « l'idéal d'engagement [] de
fraternité [] et de don de soi » porté par les associations, si
nécessaire « face aux excès d'une économie déshumanisée »2. « Che »
Sarzozy, la larme à l'œil et un béret enfoncé sur la tète, saluait
fraternellement tous les camarades bénévoles et militants associatifs de
France...
Des mutations profondes...
Au delà des chiffres spectaculaires et du cynisme présidentiel, on
assiste actuellement à une mutation sourde mais profonde du monde
associatif. Ce changement trouve son origine dans les modalités de
financement puisqu'on assiste parallèlement à une diminution des
subventions publiques3 et à la généralisation des procédures d'appel
d'offre, le premier phénomène entrainant mécaniquement le deuxième.
En effet, alors que traditionnellement de nombreuses associations
fonctionnaient avec des subventions publiques destinées à la structure
(dites « subventions de fonctionnement »), on assiste aujourd'hui à leur
remplacement par des procédures d'appels d'offres qui financent
ponctuellement un projet.
Dans ce contexte nouveau, on voit émerger des logiques antagoniques :
s'adapter à la nouvelle donne sans rechigner ou interpeller les pouvoirs
publics pour leur rappeler leurs devoirs vis-à-vis des associations
accomplissant des missions de service public (santé, enseignement,
culture, Droit...).
Les raisons d'une colère: la « marchandisation » de l'action sociale
Au premier abord, cette évolution peut paraît anodine. En effet, les
financement publics doivent être distribués avec parcimonie, il convient
de financer les associations sur des projets concrets demandés par la
collectivité, s'assurant ainsi de la bonne utilisation des deniers
publics en temps de crise. Tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes. Seulement voilà, Pangloss oublie parfois les réalités du terrain.
L'utilisation systématique de cette procédure favorise deux logiques
inquiétantes: d'une part cela met en avant le principe de concurrence au
détriment d'une coopération entre les acteurs associatifs, d'autre part,
les associations deviennent de simples prestataires et non plus des
partenaires des collectivités. En outre, les appels d'offre favorisent
une attitude « au coup par coup » des collectivités qui ont pris le
relais des financement étatiques sans en avoir vraiment les moyens. Il
n'y a donc plus de stratégie globale et durable qui permette
l'installation d'un secteur associatif fiable et pérenne, mais plutôt
une stratégie « à la carte » où l'on finance des activités au gré des
agendas locaux et des marges budgétaires. Ce laxisme financier laisse en
outre le champ ouvert aux entreprises qui investissent dans de nouveaux
« marchés » porteurs, tels que l'éducation à l'environnement.
Cette situation était vivement critiquée lors des Assises nationales de
l'éducation à l'environnement et au développement durable qui se sont
tenues à Caen en Octobre dernier. Des milliers d'animateurs, bénévoles,
salariés et dirigeants associatifs déploraient la « marchandisation »
rampante de leur activité. L'absence de subventions stables les
empêchent de se consolider et de perpétuer un véritable savoir-faire.
Comme en témoignait le représentant de la section Provence-Alpes-Cote
d'Azur, cette carence laisse le champ libre à des entreprises comme
Véolia qui financent des « interventions pédagogiques » dans les écoles
du littoral pour expliquer l'importance de préserver la nature... et
valoriser les efforts faits par Véolia en la matière! Entre prise de
conscience et publicité, les bénévoles et professionnels de l'éducation
à l'environnement s'inquiètent, et avec eux, les parents et les enseignants.
Plus largement, une menace directe affecte les associations plus «
politisées » comme en témoigne la création du collectif « Associations
en danger »4. Lancé à l'initiative de la Ligue des Droits de l'Homme en
2008, ce collectif tente d'alerter l'opinion et d'interpeller les
pouvoirs publics sur la situation grave des associations œuvrant pour
l'accès au droit, la solidarité ou la lutte contre les discriminations.
Regroupant plus d’une centaine d’organisations, ils dénoncent pêle-mêle
la réduction des financements, la marchandisation de l'action sociale
induite par les appels d'offres, ainsi que les « tentatives récurrentes
de contrôle du secteur»5.
Ces associations, qui incarnent concrètement les idéaux «d'engagement []
de fraternité [] et de don de soi » du camarade Sarkozy, sont frappées
de plein fouet par les orientations de sa politique. Or, en temps de
crise, leur action est plus que jamais nécessaire.
Les transfuges et les jongleurs du monde associatif
Mais la morosité n'est pas de mise dans toutes les branches du secteur
associatif et des nouvelles pistes sont explorées. Entre les transfuges
qui choisissent la voie entrepreneuriale et ceux qui jonglent avec les
statuts juridiques, petit tour d'horizon des nouveaux nés du monde
associatif.
Tout d'abord, il y a les transfuges qui sont passés du monde associatif
au monde de l'entreprise, comme Boris Aubligine, fondateur et gérant de
Aubligine 21. Ayant travaillé dans des associations de protection de la
nature pendant des années, il a décidé de sauter le pas il y a deux ans
et de prendre le statut d'entrepreneur en tant que « Créateur de
solutions pour le développement durable de territoires ruraux et
animateur d'évènements intelligents»6. Il explique sa volonté de
changement de statut par la pesanteur de ses anciens collaborateurs,
crispés sur leurs positions idéologiques et sans aucune volonté de
modernisation. Il dresse le sinistre portrait d'un secteur
gérontocratique qui peine à se renouveler et refuse toute évolution de
son environnement. En outre, il considère son entreprise militante car
il a décidé d'installer le siège social de son entreprise dans un hameau
de 45 personnes. « Cela dynamise l'économie rurale, réinvestir les
campagnes pour dynamiser le tissu économique, ça c'est militant! ». Il
travaille actuellement sur un projet d'implantation de serres solaires
passives sur la commune de La Martre dans le Var.
D'autres refusent de rompre totalement avec le monde associatif et
cherchent des configurations inédites leur permettant de développer des
activités commerciales tout en conservant leur association. On assiste
ainsi à la multiplication de structures bi-céphales encore
expérimentales, mi-entreprise, mi-association mettant l'efficacité
économique de l'un au service de l'objet social de l'autre. Aucun cadre
juridique ne règlement jusqu'à présent ce type de regroupement et les
formules ad hoc se multiplient.
C'est le cas de Siel Bleu, une association fondée en 1997 par
Jean-Daniel Muller et Jean-Michel Ricard qui organise des cours de
sports à destination des personnes âgées, malades et/ou handicapées afin
de faire reculer la dépendance et de maintenir les liens sociaux. Les
interventions se faisaient à la base auprès de collectivités et de
structures publiques mais rapidement l'idée d'interventions en
entreprises a vu le jour, c'est ainsi que GPS Santé est né. GPS Santé
est une entreprise spécialisée dans la prévention des Accidents du
Travail et des Troubles Musculaires en milieu professionnel. Jean-Michel
Ricard a créé cette entreprise pour plusieurs raisons: volonté d'étendre
ses lieux d'interventions, insuffisance des financements publics, et
Jean-Daniel Muller rajoute: « quand on est une association, c'est
difficile d'aller voir une entreprise, ils ne sont pas habitués. Alors
que si je vais les voir avec ma casquette d'entrepreneur privé, on me
prend davantage au sérieux ».
L'originalité de l'entreprise est que son conseil d'administration est
détenu à 100% par un actionnaire unique: l'association Siel Bleu. Cela
permet de réinjecter les bénéfices dégagés par l'entreprise GPS Santé
dans le projet associatif d'origine. Ce projet d'entrepreneuriat social
a été décoré par de nombreux prix reconnaissant son originalité: Prix de
la fondation d’Alsace,Prix Marie-Odile Pflimlin, Lauréat Ashoka (Fellow
Ashoka), Trophée Service Plus, Lauréat fondation Nestlé...
Associations et entreprises: une convergence possible?
Entre les résistances de la vieille garde et les formules des apprentis
sorciers de l'entrepreneuriat social, le monde associatif est tiraillé
entre ses besoins, ses convictions et ses responsabilités. Les
conditions de son renouvellement dépendront des liens qu'il décidera
d'établir avec les pouvoirs publics (sécurisation des financements) et
les entreprises. Le partenariat public reste la norme mais l'avenir
n'incite pas à être optimiste. En ce qui concerne les relations avec les
entreprises, tout est encore à faire car malheureusement, il n'y a
aucune habitude de dialogue entre associations et entreprises7.
Et pour cause, ils ne se considèrent pas du même monde: l'un représente
l'économie de marché et l'autre, l'économie sociale et solidaire. Les
entreprises traditionnelles voient au mieux les associations comme
quelque chose de sympathique mais de pas très sérieux, et les
associations perçoivent les entreprises comme des groupements
impersonnels de capitalistes avides.
Or soyons clairs: il y a autant de points communs entre une PME qui fait
de la réinsertion sociale et Total, qu'entre « l'entente des boulistes
de Saint Privat des Vieux » et l'Association Française contre les
Myopathies. Dans les deux cas, il y a des différences d'échelle, de
nature et de philosophie que l'on ne peut pas réduire à la dichotomie
association/entreprise.
Les frontières se brouillent et c'est dans cette zone encore floue que
l'avenir d'une partie du monde associatif se joue. Reste que certaines
activités n'entreront jamais dans une sphère marchande (accès au Droit,
aide alimentaire) et que l'Etat doit permettre à ces activités de continuer.
Entre résistance et innovation, le monde associatif tente d'évoluer sans
perdre son identité et son originalité. C'est un défi qu'il faut relever
pour sa survie mais aussi pour conserver les grands équilibres
nécessaires à une société qui se voudrait démocratique.
Alexandre Pierrin
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1 Paysage associatif français, Viviane Tchernonog,CNRS, 2007
2 Extrait de la lettre adressée aux représentants du monde associatif
lors de la Deuxième Conférence nationale de la vie associative, Décembre
2009.
3 Voir le rapport publiée par la Conférence Permanente de la Vie
Associative « Le financement (public) des associations : une nouvelle
donne, de nouveaux besoins », Juillet 2008. On y apprend que la baisse
des financements publics est relative car entre 1999 et 2005 les
financements d’Etat ont baissé de 5% en volume alors que celui des
départements augmentaient de 20%. Toutefois, cet investissement
départemental ne suffit pas absorber les besoins des 60 000 associations
créées chaque année en France.
4 Lire l'appel du Collectif sur: www.ldh-france.org/Associations-en-Danger
5 Extrait de l' « Argumentaire de référence » du collectif «
Associations en danger », Mars 2009
6 Voir le site de Aubligne21: www.aubligine21.fr
7 Hormis les entreprises de l'économie sociale: SCOP, Mutuelles, etc.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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