[Infoligue] Ces très «chères» associations
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 29 Juin 14:55:11 CEST 2012
Ces très «chères» associations
Par Sophie Humann
Publié par :
http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2012/06/29/01006-20120629ARTFIG00476-ces-tres-cheres-associations.php
Le : 29/06/2012
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DÉCRYPTAGE - 34 milliards d'euros de subventions sont accordées chaque
année par l'État et les collectivités locales à 250.000 associations.
Action sociale des administrations, festivals culturels, clubs sportifs,
défense des minorités... À l'heure des restrictions budgétaires, enquête
sur l'étonnante opacité qui entoure le financement public des associations.
Il existe en France un curieux document. Certains, fiers de connaître
son existence, entourent son nom d'une pointe de mystère ; d'autres,
mieux initiés, chuchotent qu'il est plein d'erreurs... Quelques esprits
chagrins osent même le déclarer inutilisable! Ce document, c'est le
jaune budgétaire, un pavé en trois volumes de 500 pages chacun dressant
la liste de toutes les subventions accordées par l'État à quelque 10.000
associations. Une somme publiée par Bercy tous les deux ans
seulement.Piochant dans le cru 2012, correspondant aux subventions
versées en 2010, on découvre au hasard: «L'Association sociale nationale
des Tsiganes évangélistes: 144.500 euros ; l'Association de coordination
technique agricole: 4.967.439 euros ; l'Académie de billard de
Palavas-les-Flots: 2000 euros ; l'Association de pétanque livradaise: 95
euros accordés par les services du Premier ministre.»
Parfois, un montant vraiment plus élevé que les autres attire l'oeil.
C'est le cas de l'Association nationale de formation professionnelle des
adultes (Afpa) à laquelle l'État a donné très précisément 225.912.988
euros. Près de 226 millions d'euros! «Une aberration juridique», précise
Viviane Tchernonog, l'une des rares chercheuses qui travaillent sur les
associations, au CNRS et à l'université de Paris 1, car l'Afpa, bras
armé de la formation professionnelle en France, n'a rien à faire dans ce
document aux côtés d'une amicale bouliste ou d'une troupe de théâtre de
rue. «Elle ne devrait pas figurer là, relève Mme Tchernonog, l'erreur
devrait bientôt être corrigée.» Les subventions, elles, sont bien
réelles!Aucune explication, aucune synthèse ne viennent égayer la
monotonie de cet interminable répertoire. Toute l'aberration du système
est là, dans cette accumulation d'informations inutilisables, ce
saupoudrage de données, cette fausse transparence qui masque une volonté
d'entretenir l'opacité.
Même les parlementaires chevronnés n'y comprennent souvent rien et
demandent régulièrement à Bercy une amélioration du fameux jaune ainsi
que la création d'«une base de données des associations». En vain. «Le
jaune budgétaire est une insulte à la démocratie parlementaire depuis
1962», s'insurge Pierre-Patrick Kaltenbach, énarque, ancien magistrat de
la Cour des comptes, auteur d'Associations lucratives sans but (1995) et
inlassable observateur de la vie associative française. Résultat: les
contribuables financent sans le savoir des dizaines de milliers
d'associations à coups de milliards d'euros. Bien qu'il n'existe aucune
centralisation des données, les chercheurs estiment que l'État, les
collectivités locales et autres structures publiques allouent chaque
année 34 milliards d'euros au secteur associatif, couvrant près de la
moitié de son budget (70 milliards). L'État, selon le centre d'économie
de la Sorbonne, distribue 22,5 % de cette somme, les communes 26 %, les
départements 22,5 %, les Régions 11 %, les organismes sociaux et
l'Europe 18 %.
Les fonctionnaires, premiers servis par l'État
Charité bien ordonnée... l'État se sert royalement. Chaque ministère
entretient à grands frais ses bonnes oeuvres, gérées la plupart du temps
par les syndicats. Rien qu'à Bercy, l'Association pour la gestion des
restaurants des administrations financières (Agraf) a reçu en 2010 un
chèque de 10,3 millions d'euros. On comprend pourquoi toute tentative de
sous-traiter la restauration des agents à un prestataire privé se heurte
à un tollé syndical... L'Association pour le logement du personnel des
administrations financières (Alpaf), qui possède un parc de plus de 10
000 logements dans toute la France, a perçu une subvention de 23
millions d'euros. Quant à l'Association touristique, sportive et
culturelle des administrations financières, elle a touché 5,24 millions
d'euros...
«Alors que la proposition de loi Perruchot a tenté d'accroître la
transparence des comités d'entreprise, précise Agnès Verdier-Molinié,
directrice de l'Ifrap, un think tank libéral, rien n'a été mené pour
l'instant concernant les “comités d'entreprise publics” et leurs
activités sociales.» Certains sont clairement identifiés: le ministère
de la Justice accorde bon an, mal an, 9 millions d'euros à la Fondation
d'Aguesseau, le CE des personnels de la Justice. «Mais la plupart de ces
CE demeurent discrets, voire occultes, et se retrouvent, sans aucune
exhaustivité, au milieu des financements associatifs des ministères,
déplore Agnès Verdier-Molinié. Pourtant, il apparaît que l'État finance
l'action sociale de ses fonctionnaires à hauteur de 931,2 millions
d'euros, tandis que les collectivités locales, pour autant que l'on
sache, accordent à leurs salariés des subventions de l'ordre de 400
millions par an.»
Car aussi indigeste soit-il, le jaune budgétaire a le mérite d'exister.
En revanche, il n'existe aucun moyen d'avoir une vision d'ensemble des
subventions versées par les collectivités locales: les communes de plus
de 3400 habitants sont obligées de dresser une liste des subventions
qu'elles accordent aux associations et de la diffuser par voie
électronique. Mais rares sont celles qui le font et seuls les
bénéficiaires savent ce qu'ils touchent. «Il n'y a pas de fichier
centralisé, précise Stanislas Boutmy, directeur de l'agence de notation
Public Evaluation System, et dans leurs documents budgétaires, les
collectivités locales ne font aucune différence entre les subventions
versées à des associations et celles données aux personnes de droit
privé à but lucratif. Pour s'y retrouver, il faut aller à la pêche dans
les documents annexes!»
Un véritable secteur parapublic associatif
Pourquoi tant de cachotteries? Est-ce parce qu'un tout petit nombre
d'associations touchent un véritable pactole? Pour Viviane Tchernonog,
si 80 % des associations ne reçoivent aucune subvention, «seulement 7 %
des associations reçoivent 70 % des subventions publiques». Même si les
montants qui leur sont accordés tendent à diminuer, les associations
culturelles ont depuis longtemps pris l'habitude de courir après les
subsides publics. Chaque festival de théâtre, de musique traditionnelle,
d'électro, d'opéra, d'arts de la rue... reçoit sa ou ses subventions.
«Les concerts subventionnés ont remplacé les bals de charité, qui, eux,
étaient payants!» souligne, non sans humour, Pierre-Patrick Kaltenbach.
L'Académie Fratellini, qui forme des jeunes à l'art du cirque, a ainsi
reçu pour 2010 391.094 euros de la Région Île-de-France, et 776.925
euros de l'État. Le Festival d'Avignon a perçu 7,86 millions d'euros de
subventions d'exploitation pour 2010, et le Festival d'Aix-en-Provence,
9,3 millions, pour ne citer que des stars...
Les associations de défense des droits bénéficient elles aussi de
confortables subventions qui viennent se superposer aux budgets de
toutes les structures publiques créées au fil du temps. Les Français
financent déjà un Comité permanent de lutte contre les discriminations,
un Observatoire des discriminations, un Observatoire des inégalités (feu
la Halde), un Haut Conseil à l'intégration, une Agence nationale pour la
cohésion sociale et l'égalité des chances. Savent-ils que l'État a aussi
donné, par exemple, en 2010, 110.000 euros à l'Afic (Accueil et
formation pour l'intégration et la citoyenneté) pour former des élèves
journalistes à la lutte contre les discriminations et les préjugés,
125.000 euros à Act Up Paris, 20.000 euros à Ni putes ni soumises, ou
qu'il finance encore largement SOS Racisme malgré les déboires de ses
dirigeants?
Mais le gros des subventions publiques nourrit le secteur parapublic
associatif, auquel l'État et les collectivités locales délèguent des
missions de service public et qu'ils financent donc en conséquence. Les
associations gèrent ainsi la quasi-totalité de l'aide aux handicapés et
de leur insertion, de nombreuses maisons de retraite, un réseau dense et
efficace d'aide à domicile aux personnes âgées dépendantes, un lit
d'hôpital sur dix, la moitié des crèches, tout le réseau des Udaf
(Unions départementales des associations familiales), des centres de
vacances, de classes de découverte, d'activités
périscolaires-scolaires... Les associations représentent aussi un
cinquième des enfants scolarisés puisque la plupart des écoles privées
sont organisées en associations. Elles font le plus souvent un travail
remarquable pour des salaires inférieurs à ceux des fonctionnaires, des
horaires et une implication bien supérieurs.
Plus rarement, certaines associations sont devenues des instruments
politiques, comme c'est le cas à Paris, ou dans la tentaculaire
confédération de la Ligue de l'enseignement .«Les collectivités n'ont
pas beaucoup de moyens d'intervenir dans l'économie, explique Stanislas
Boutmy. Soit elles font intervenir leur personnel, soit elles font
intervenir un tiers en lui achetant une prestation après l'avoir choisi
par appel d'offres, soit enfin, elles lui donnent une mission et elles
le subventionnent. Les départements financent, entre autres, des
associations de transport scolaire, les collèges privés sous contrat, et
les Régions, les lycées privés sous contrat ou les établissements
d'enseignement supérieur professionnels.» En fait, le recours aux
structures associatives permet aussi aux collectivités locales de faire
des dépenses publiques sans augmenter encore le nombre de fonctionnaires
territoriaux, qui a déjà bondi de plus de 40 % en dix ans!
Un recours systématique aux associations
Ce système va loin. La plupart des syndicats d'initiative, les comités
du tourisme ne sont-ils pas organisés en associations? Les comités de
tourisme reçoivent ainsi plusieurs millions d'euros chaque année (3,34
millions d'euros pour celui d'Aquitaine en 2009, 3,54 millions d'euros
en Alsace en 2010, 6,64 millions d'euros de subvention de la Mairie de
Paris pour son office de tourisme et des congrès). Dans chaque Région,
des structures para-économiques sont organisées en associations
subventionnées, comme l'Agence régionale de l'innovation en Alsace (1
million d'euros de subvention de la Région en 2010), ou Airparif (1,5
million de l'Etat).Est-il légitime que de telles structures soient
associatives? «Il n'est pas sain que les collectivités publiques
recourent systématiquement aux associations pour conduire des activités
pour lesquelles d'autres cadres de droit public existent», préconisait
déjà le député UMP Pierre Morange il y a quatre ans...
«D'une liberté tocquevillienne, on a fait un outil de facilité, une
courroie de transmission pour le pouvoir en place», dénonce encore
Pierre-Patrick Kaltenbach. Depuis plusieurs années, il fait partie du
Comité de la charte du don en confiance, un organisme d'agrément et de
contrôle des associations auquel ont déjà adhéré près de 60 associations
soucieuses de leur transparence financière, de la qualité de leur
communication et de leur action comme le Comité Perce-neige, la
Croix-Rouge française, l'Association Valentin Haüy, les Restos du coeur,
le Secours populaire, les Apprentis d'Auteuil... La grande force de ces
associations est de bénéficier d'une grande visibilité et de garder un
bon équilibre entre salariés et bénévoles, subventions et dons. Un
début. Mais on est encore loin de la transparence instaurée en
Grande-Bretagne depuis 2006, où un Office of the Third Sector,
directement rattaché au Premier ministre, met en oeuvre la politique en
direction des associations et coordonne les actions des différents
ministères. Il dispose d'un rapport annuel fort complet de la Charity
Commission où chaque subvention publique, quelle que soit sa provenance,
est détaillée, expliquée, justifiée. Un exemple à suivre?
Par Sophie Humann
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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