[Infoligue] Le département, légitimé... mais asphyxié
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 24 Sep 09:05:06 CEST 2012
Le département, légitimé... mais asphyxié
Congrès de l'ADF
Publié par : http://www.localtis.info/
Le : vendredi 21 septembre 2012
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La prochaine étape de la décentralisation se fera bien avec le
département, dont le rôle "au coeur des solidarités sociales et
territoriales" est reconnu. Le gouvernement l'a réaffirmé aux élus
réunis pour le Congrès de l'Assemblée des départements de France, ces 20
et 21 septembre à Metz. Des élus qui semblent d'accord sur l'essentiel.
A commencer par l'urgence absolue : sortir de l'impasse financière liée
au poids des allocations de solidarité.
"Nous voulons une nouvelle étape de la décentralisation. Pour cela, le
gouvernement prendra appui sur les Etats généraux de la démocratie
territoriale organisés par le Sénat et Marylise Lebranchu présentera à
partir de ce travail un projet de loi. Des compétences nouvelles seront
transférées aux collectivités territoriales et les compétences des
différents niveaux de collectivités seront clarifiées." C'est ce qu'a
déclaré jeudi 20 septembre le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, aux
journées parlementaires du parti socialiste à Dijon. Pendant ce temps, à
quelque 200 kilomètres de là, à Metz, cette perspective de "nouvelle
étape" était évidemment très présente dans les échanges entre les
présidents de conseils généraux réunis pour le 82e Congrès de
l'Assemblée des départements de France (ADF). Avec, dans le diagnostic
et dans les revendications des élus qui se sont exprimés, certaines
constantes : la nécessité d'une clarification concerne finalement
davantage les doublons et achoppements entre Etat et collectivités
qu'entre les niveaux de collectivités, dans la mesure où l'Etat
"continue à vouloir intervenir partout" ; la clause de compétence
générale est indispensable si l'on veut que les départements puissent
continuer à jouer leur rôle de "bouclier fiscal et territorial" ; c'est
aussi cette clause qui permet des interventions à géométrie variable
pour tenir compte des spécificités des territoires ; le principe de
non-tutelle d'une collectivité sur une autre est intangible ; les
départements, au-delà des solidarités sociales et territoriales, sont
aussi un acteur clef du développement local et doivent à ce titre
poursuivre leur action dans le champ de l'économie et de l'emploi.
La deuxième matinée du Congrès, ce vendredi 21 septembre, était
d'ailleurs consacrée aux "départements acteurs de la croissance et du
développement". Ce n'est pas un hasard, bien sûr, sachant que c'est
avant tout sur ce terrain du développement économique que sont mises en
question les interventions croisées entre départements, régions et
agglomérations. Et à l'heure où le rôle pilote en matière d'économie est
en train d'être réaffirmé – l'accord Etat-région signé la semaine
dernière à l'Elysée est venu l'attester –, le sujet est d'autant plus
sensible pour les départements.
Les présidents de département ont même, toutes couleurs politiques
confondues, mis cela noir sur blanc dans une "résolution finale" sur
laquelle tous se sont accordés. Un texte dans lequel ils soulignent
notamment : "Les départements ne sont pas et ne seront jamais des
services extérieurs de l'Etat ou de toute autre collectivité. Ils ne
seront pas non plus des collectivités déléguées à la mise en œuvre des
politiques publiques pour le compte de tiers."
Des nuances... mais "un vrai compromis se profile"
Certes, quelques nuances persistent entre les élus. Ainsi, alors qu'Eric
Doligé, président UMP du Loiret, estime que les différentes
collectivités "dépensent trop à faire la même chose" et "se marchent sur
les pieds", Marie-Françoise Pérol-Dumont, présidente PS de la
Haute-Vienne, rappelle que seulement 20% des actions des départements
correspondent à des cofinancements. "Il y a trois domaines où on à une
co-intervention : l'économie, la culture et le sport. Or c'est seulement
2% du budget du département. Autrement dit, sur 98% de nos dépenses, on
intervient seul", a de même souligné Patrick Weiten, le président du
conseil général de Moselle, hôte de ce 82e congrès. "Sans remettre en
question la légitimité des trois niveaux de collectivités, certes, il
faudra sans doute faire le ménage dans certains domaines. En matière de
tourisme par exemple, faut-il continuer à avoir l'office de tourisme, le
CDT, le CRT et le pays touristique ?", tempère Claudy Lebreton, le
président de l'ADF. Celui-ci souligne toutefois que le terme désormais
presque éculé de "millefeuille" a été "monté en épingle" alors même que
le citoyen, bien plus que de savoir précisément "qui fait quoi", demande
simplement des services publics organisés de la façon la plus efficace
possible.
Autre nuance : plusieurs présidents de droite, dont leur chef de file
Bruno Sido, estiment que les régions ont aujourd'hui tendance à
"cantonaliser" leur action et qu'elles sont trop petites, trop
nombreuses. Ils plaident ainsi pour une nouvelle carte comptant "de 10 à
15 grandes régions, tournées vers l'Europe".
"En vue du prochain acte de décentralisation, progressivement, un vrai
compromis se profile entre nous" - entre élus et entre représentants des
différents niveaux de collectivités – a tenu à affirmer Claudy Lebreton
en accueillant jeudi en fin de journée le président du Sénat,
Jean-Pierre Bel.
Jean-Pierre Bel : "Aller jusqu'au bout de la décentralisation"
L'intervention du président de la Haute Assemblée était importante,
alors que l'on attend les Etats généraux de la démocratie territoriale
des 4 et 5 octobre, dont l'organisation avait justement été annoncée il
y a un an lors du précédent congrès de l'ADF. Le gouvernement a en effet
fait savoir qu'il entend s'appuyer largement sur ce qui sortira de ces
deux journées pour préparer son projet de loi de décentralisation. Deux
journées auxquelles tous les présidents de départements sont conviés et
auxquelles participeront tant le Premier ministre que le chef de l'Etat,
a fait savoir Jean-Pierre Bel. "L'esprit des propositions que vous ferez
au Sénat sera déterminant, y compris pour la suite", lui a d'ailleurs
affirmé Claudy Lebreton.
Jean-Pierre Bel a en tout cas tracé les voies que devraient emprunter
ces deux jours de synthèse des rencontres organisées en région depuis
début septembre. Avec, à la clef, quelques principes forts. Premier
principe : "Il faut aller jusqu'au bout de la décentralisation. L'Etat
doit abandonner ses prérogatives lorsqu'il y a eu transfert de
compétences. Il doit se recentrer sur ses missions stratégiques." "Le
gouvernement va engager une vaste concertation pour redéfinir la mission
de l'Etat parallèlement à son projet de décentralisation", a-t-il
précisé à ce sujet.
Confirmant que "les régions auront des attributions renforcées" dans les
champs de l'économie, de l'emploi, de la formation, des fonds européens,
le président du Sénat a évoqué la possibilité pour les départements de
se voir eux aussi attribuer de nouvelles prérogatives, par exemple en
matière de construction de logements, le cas échéant avec les
intercommunalités.
Afin de "gagner en efficacité" entre les "fonctions complémentaires" des
différentes collectivités, Jean-Pierre Bel envisage un "pacte de
gouvernance territorial" qui serait, sans doute à l'échelle de la
région, un "pacte contractuel, signé pour la durée du mandat, permettant
de désigner les chefs de file, d'établir des délégations de compétences,
de prévoir des guichets uniques…".
Il a également évoqué la question des normes (y compris la
simplification du droit existant), avec des pouvoirs accrus accordés à
la CCEN (commission consultative d'évaluation des normes), la nécessité
d'"assouplir le droit à l'expérimentation" voire – précisant qu'il
s'agissait là d'un point de vue personnel – d'entrouvrir, sans "remise
en cause de l'unité de la nation", un "pouvoir réglementaire local".
Les "conférences territoriales de compétences", pivots de la réforme
"Le département est souvent là où la région n'a pas à aller et où la
commune n'a pas les moyens d'aller", "il n'y a pas de concurrence avec
la région ou l'agglomération", "le département est plus une source
d'économies qu'une charge pour la nation", "la décentralisation ne se
fera pas au détriment des départements, nous ne varierons pas sur ce
point". Le propos était clair. Ce fut celui de Marylise Lebranchu, la
ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la
Fonction publique, venue vendredi conclure le congrès.
Au-delà de cette réaffirmation de principe, l'allocution de la ministre
a permis de percevoir que la colonne vertébrale de la "rénovation de
l'action publique" que le gouvernement prépare sera vraisemblablement
constituée par les "conférences territoriales de compétences". Créées
par la loi, ces conférences permettront aux élus locaux des différentes
collectivités de "reprendre les choses en mains sur leur territoire" en
s'accordant entre eux sur l'exercice des "compétences transférées ou
déléguées". Les compétences n'ont pas à "être fixées depuis Paris".
Là-dessus, sa collègue Cécile Duflot, intervenue un peu plus tôt à Metz,
était bien sur la même longueur d'ondes. La ministre de l'Egalité des
territoires et du Logement considère en effet que l'on ne peut pas
établir de "blocs de compétences étanches", que "les nouvelles
interactions" doivent passer par "des réponses adaptées aux besoins de
chaque territoire". "Il faut prévoir des ajustements de compétences
reposant sur des contrats différenciés, qui engageraient tous les
acteurs du territoire", a-t-elle ajouté.
On retrouve donc bien cette fameuse "géométrie variable" chère aux élus
départementaux. Une notion qui avait par exemple guidé le rapport
sénatorial de la mission Belot-Krattinger de 2009. Le sénateur PS et
président du département de la Haute-Saône, Yves Krattinger, étant
aujourd'hui la cheville ouvrière des états généraux organisés par le
Sénat, la filiation n'est guère surprenante.
En tant que ministre en charge du Logement, Cécile Duflot, si elle n'a
pas annoncé de transfert des aides à la pierre, a insisté sur le rôle
"déterminant" des collectivités dans ce domaine, "notamment sur
l'accueil des publics spécifiques". Elle a en outre fait part de son
intention de "signer bientôt, ensemble, un pacte Etat-collectivités pour
le logement".
APA, RSA, PCH : un financement national s'impose
Si le programme du congrès ne prévoyait pas de temps spécifiquement
consacré aux finances… il est rapidement apparu que la grande question,
l'"urgence absolue", "le préalable à toute autre discussion" demeure
bien pour la plupart des départements celle-ci : comment réussir
aujourd'hui à boucler son budget ? On le sait, trente départements sont
officiellement "en grande difficulté". Marylise Lebranchu a elle-même
cité ce chiffre et ajouté que "si rien n'est fait, tous seront concernés".
La problématique est connue : le financement des trois allocations de
solidarité (APA, RSA, PCH), insuffisamment compensé par l'Etat, paralyse
totalement les choses. La demande de l'ADF, réaffirmée dans la
résolution finale des présidents, est elle aussi déjà ancienne : un
financement de l'APA à parité avec l'Etat (ce "50/50" avait bien été
prévu lors de la création de l'APA) et "la couverture à terme par l'Etat
de la PCH et du RSA". Plus globalement, l'ADF porte aujourd'hui de
concert un principe notamment porté, depuis de nombreuses années, par
son premier vice-président, Michel Dinet : le financement de ces trois
allocations individuelles de solidarité, qui correspondent à des droits
universels, "relève d'un niveau national de solidarité".
Parce qu'ils savent que cette renationalisation du financement des
allocations n'est pas pour tout de suite, les élus réitèrent auprès du
gouvernement leur demande de mesures d'urgence pour les départements les
plus touchés. Des mesures qui, proposent-ils, consisteraient à
reconduire le fonds exceptionnel mis en place en 2011, qui serait abondé
par les crédits non consommés de la CNSA. En 2011, il s'agissait de 150
millions d'euros. Aujourd'hui, 450 millions seraient "disponibles" à la
CNSA. Entre les deux, Claudy Lebreton espère évidemment négocier un
montant dans le haut de la fourchette…
Des mesures d'urgence... jusqu'à la réforme de la dépendance
S'agissant des "solutions pérennes" pour le financement des trois
allocations, l'ADF rappelle que les propositions ne manquent pas, même
si elles ne font pas toutes l'unanimité : élargissement aux retraités de
l'assiette de la CSG, part supplémentaire de CSG, deuxième journée de
solidarité (proposition du groupe DCI de l'ADF), TVA sur la
restauration… Claudy Lebreton indique aussi qu'une autre piste "très
intéressante, et qui ne coûterait pas un sou à l'Etat", est à l'étude.
Mais on n'en saura pas plus là-dessus pour le moment….
Marylise Lebranchu – comme Jean-Pierre Bel ou encore Claude Bartolone,
le président de l'Assemblée nationale, dont un message vidéo a été
transmis à ses anciens homologues – a officiellement reconnu que "le
financement des allocations individuelles de solidarité est à revoir".
Si elle n'est pas pour une deuxième journée de solidarité (tout
simplement parce qu'"on n'arrivera pas à le faire passer"), la ministre
a elle aussi cité une fraction supplémentaire de CSG ou – une nouvelle
piste non évoquée par l'ADF – une part de DMTG (droits de succession).
La ministre souhaite qu'un "groupe de travail soit très vite installé"
sur le sujet, lequel sera en outre "discuté en réunion
interministérielle". La rencontre qui devrait avoir lieu entre François
Hollande et une délégation de l'ADF courant octobre pourrait aussi
permettre, a-t-elle espéré, "d'obtenir quelques avancées". Enfin,
a-t-elle rappelé, "le financement rénové de ces allocations ne sera pas
suffisant" et devra donc être suivi d'une réforme de la dépendance.
Celle-ci "se fera, c'est un engagement du président de la République",
a-t-elle assuré... Mais elle demandera du temps, a-t-elle également prévenu.
Jean-Pierre Bel, quant à lui, avait surtout insisté sur le fait que
parallèlement au "sous-financement des charges transférées" se posait
aussi la question fiscale : "Cela appelle à une vaste réforme de la
fiscalité locale, qui devra être menée parallèlement à la réforme de la
fiscalité nationale, en 2013."
Le cumul des mandats s'invite dans les débats
"Vous serez amenés à vous prononcer avant les prochaines élections
municipales sur le non cumul des mandats. Je sais que disant cela je
m'expose à la critique. Y compris la vôtre." Cette fois encore, cette
phrase a été prononcée le 20 septembre, non pas à Metz mais à Dijon, par
Jean-Marc Ayrault. Mais à Metz aussi, le cumul des mandats s'est invité
dans les débats. Normal, lorsque l'on compte 35 présidents de conseils
généraux sénateurs et 15 présidents députés – et que d'autres élus, au
contraire, à commencer par le président de l'ADF, se félicitent de se
consacrer à leur mandat départemental et aimeraient que tout le monde en
fasse autant.
Le politologue Roland Cayrol est venu jeter de l'huile sur le feu en
expliquant que "les Français sont massivement hostiles au cumul".
Plusieurs élus ont toutefois relevé l'"ambiguité" des citoyens sur ce
sujet. "Les gens sont pour la suppression du cumul… sauf pour 'leur'
élu", a ainsi lancé Philippe Adnot (Aube), Bruno Sido (Haute-Marne)
ajoutant : "Les gens pensent que le fait d'être parlementaire permet
d'obtenir des choses".
Sur un point en revanche, tout le monde est d'accord, y compris la
ministre Marylise Lebranchu : la fin du cumul ne sera possible que si
elle s'accompagne d'une réforme du statut de l'élu. Notamment en termes
de protection sociale. Mais aussi, insistent les intéressés, en termes
de validation des acquis (VAE) pour permettre à l'élu, en fin de mandat,
de faire valoir cette expérience, que ce soit dans le privé ou la
fonction publique.
Tout sauf la proportionnelle !
L'autre grand sujet "vie des élus" a évidemment été le probable
changement du mode de scrutin des élus départementaux pour la prochaine
échéance électorale, échéance désormais envisagée pour 2015 (voire 2016)
au lieu de 2014. On le sait, le gouvernement prévoit, au-delà de la
suppression du conseiller territorial, de faire élire les conseillers
généraux (qui seraient probablement rebaptisés conseillers
départementaux) par un scrutin répondant à deux principes énoncés par
François Hollande : parité et proximité. Or aujourd'hui, la parité n'est
pas le point fort des assemblées départementales.
Depuis quelques temps, on entend parler d'un scrutin binominal (avec un
homme et une femme) majoritaire à deux tours sur des cantons qui
correspondraient à peu près à deux cantons actuels. Certains élus voient
mal comment cela pourrait fonctionner et préfèrent le statu quo.
Dans le même temps, on a aussi entendu dire qu'un passage à la
proportionnelle n'était pas exclu. Là, les conseillers généraux sont
presque unanimement contre ! Les petites phrases ont fusé. "Je déteste
la proportionnelle, cela crée des tapis volants", "ne copions pas le
mode de scrutin des conseillers généraux, on voit ce que cela a donné,
des élus que personne ne connaît", "on deviendrait de mini-régions, se
serait la mort du département"… Yves Krattinger a résumé la situation :
"Si on reste arc-boutés sur le mode de scrutin actuel, on aura la
punition : la proportionnelle, probablement à deux tours. On aurait
alors la parité, mais plus la proximité. On m'a aussi parlé de l'idée
d'une proportionnelle par circonscription, avec 6 ou 7 conseillers
généraux par circonscription… Afin de choisir le moindre mal, j'ai
proposé le scrutin binominal. Eric Doligé a alors suggéré qu'au lieu de
diviser par deux le nombre de cantons, on fasse tout simplement des
couples de cantons. C'est une bonne idée."
Le sujet est, nous dit-on, sur le bureau du minitre de l'Intérieur,
Manuel Valls. On ne sait pas s'il sera au menu du rendez-vous prévu à
l'Elysée ni du "programme" que l'ADF compte préparer en vue de cette
réunion. Un peu sur le modèle de l'"acte de confiance" Etat-régions
signé le 12 septembre, ce document réunira "les principes, les
dispositions et les engagements" liant Etat et départements et devrait
être signé par Claudy Lebreton et Jean-Marc Ayrault.
Claire Mallet, à Metz
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