[Infoligue] L'essor bridé de la philanthropie

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 9 Avr 16:14:29 CEST 2013


L'essor bridé de la philanthropie

Publié par : LE MONDE ARGENT
Le :  09.04.2013
Par : Frédéric Cazenave

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"Entre les effets de la crise économique sur la population et la 
régression de l'Etat-providence, il faut tout faire pour ne pas briser 
l'essor de la philanthropie qui se développe enfin en France", appelle 
de ses voeux Alice Dautry, présidente de l'Institut Pasteur. Le secteur 
du don est en effet rattrapé par la crise. Le nombre de donateurs 
n'augmente plus depuis 2007 et le montant moyen a reculé chez les foyers 
aisés, selon les dernières données de France Générosité. L'Etat, lui, 
diminue ses subventions, au moment même où les associations font face à 
une demande croissante.

"2013 S'ANNONCE DIFFICILE"

"Nous sommes toujours plus sollicités par des associations en manque de 
moyens, souligne Francis Charhon, directeur général de la Fondation de 
France. Or de plus en plus de mécènes nous expliquent qu'ils vont 
réduire le montant de leurs dons, car ils doivent désormais soutenir une 
personne de leur entourage. 2013 s'annonce difficile." Dans ce contexte, 
la concurrence pour collecter des fonds est vive. De nouveaux acteurs 
apparaissent, se partageant un gâteau qui ne grossit pas. Universités, 
grandes écoles... même les collectivités créent leurs propres fonds de 
dotation et partent à la recherche de mécènes pour financer leurs actions.

Pour ne rien arranger, le secteur de la philanthropie fait face à des 
incertitudes récurrentes, notamment fiscales. "Le spectre d'un 
changement de règles sur la défiscalisation des dons et du mécénat 
revient trop régulièrement sur le tapis, ce qui crée de l'attentisme 
chez les philanthropes", regrette Antoine Vaccaro, président du Centre 
d'étude et de recherche sur la philanthropie. Il faut dire qu'entre la 
possibilité pour les particuliers de réduire leur impôt sur le revenu et 
les avantages accordés aux entreprises qui font du mécénat, l'Etat se 
montre particulièrement généreux.

"PAS UNE NICHE FISCALE, UNE DÉPENSE FISCALE"

Le coup de pouce sur l'impôt sur le revenu, à lui seul, coûte 1,3 
milliard d'euros. Une somme élevée en ces périodes de disette 
budgétaire. "Ce n'est certes pas une niche fiscale, mais bel et bien une 
dépense fiscale. Le gouvernement va devoir aborder cette question, 
prévient Gilles Carrez, président de la commission des finances à 
l'Assemblée nationale. Il serait plus raisonnable de fixer des taux de 
réduction moins élevés pour les dons et surtout de réajuster la 
déduction dont bénéficient les entreprises qui font du mécénat. On 
pourrait facilement économiser 300 millions d'euros sans déstabiliser le 
secteur."

Les principaux intéressés ne l'entendent évidemment pas de cette 
oreille. Et ils se sont trouvé un nouveau soutien avec le député PS 
Pierre-Alain Muet, vice-président de la commission des finances de 
l'Assemblée nationale, qui prônait encore en 2011 un coup de rabot. 
"J'avais tort. Certes, le coût pour la collectivité peut paraître élevé, 
mais quand on s'intéresse à l'impact, on s'aperçoit que l'Etat est 
gagnant. En province, le mécénat est souvent la seule façon pour les 
musées d'acquérir des oeuvres d'envergure."

DÉFINIR L'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Seules les structures dont l'activité est officiellement reconnue 
d'intérêt général peuvent permettre à leurs donateurs de bénéficier de 
cet avantage fiscal.Mais le fisc serait particulièrement tatillon : 
"L'administration fiscale est sur les dents. De plus en plus 
d'associations, de fondations ou d'entrepreneurs sociaux se font 
retoquer par le fisc au motif que leur action ne serait pas d'intérêt 
général ou que leur projet s'adresse à un cercle trop restreint de 
personnes", souligne M. Vaccaro.

La définition même de l'intérêt général fait débat. En 1999 déjà, le 
Conseil d'Etat notait que cette notion avait besoin "d'une 
reformulation, voire d'un rajeunissement : c'est à cette condition 
qu'elle pourra mieux s'adapter aux enjeux économiques et sociaux 
contemporains, [...] mieux répondre aux besoins nouveaux qui 
s'expriment". C'était il y a quatorze ans...

"Jusqu'à présent, cela ne posait pas de problème, mais le fisc semble 
revenir vers une application très rigoriste et étroite de la doctrine. 
Aujourd'hui, c'est l'administration fiscale qui décide ce qui est ou non 
l'intérêt général. Dans le cadre de l'action internationale, par 
exemple, elle en vient à exclure des pans entiers de l'action des 
fondations : l'agriculture, la santé, l'enseignement, la recherche", 
déplore Béatrice de Durfort, déléguée générale du Centre français des 
fonds et fondations. Sollicitée à plusieurs reprises, la direction 
générale des finances publiques n'a pas souhaité s'exprimer.



Vu les avantages fiscaux octroyés et les abus passés dans certaines 
associations - le scandale de l'ARC (Association pour la recherche 
contre le cancer) est encore dans toutes les têtes -, il est plus que 
légitime que l'Etat joue le rôle de garde-fou et souhaite garder la 
main. "Mais en appliquant des conditions trop drastiques, il met encore 
plus en difficulté les associations, freine l'appétit de la société 
civile à s'investir. A terme, le risque que le secteur marchand s'empare 
de certaines missions d'intérêt général dévolues normalement aux 
associations est réel", prévient Philippe-Henri Dutheil, membre du Haut 
Conseil à la vie associative.

UNE CERTAINE CONCEPTION FRANÇAISE

Les Assises de la philanthropie organisées le 9 avril par l'Institut 
Pasteur et Le Monde ont permis de proposer des pistes pour que l'Etat et 
la société civile avancent de conserve. A cette occasion, une étude 
intitulée "La rénovation de l'intérêt général en France" a aussi été 
dévoilée. "Il faut travailler en bonne intelligence. L'Etat fait preuve 
d'une grande générosité, qu'il ne valorise d'ailleurs pas assez. Mais il 
hésite encore parfois à faire confiance aux initiatives privées. En 
face, les philanthropes doivent mettre un peu leur ego de côté et ne pas 
oublier que leur action s'inscrit dans une certaine conception 
française", explique Mme Dautry, qui plaide pour une meilleure coopération.

Pour cela, il faudra déjà régler un autre sujet de discorde : la 
possible suppression de la déduction fiscale pour les dons au profit de 
certaines causes internationales. "Une telle mesure risque d'affaiblir 
les associations et ONG qui sont les seules à maintenir une présence de 
la France à l'étranger et participent à son rayonnement", met en garde 
l'historien et philanthrope Odon Vallet.

En attendant, le secteur s'adapte. Certains philanthropes créent des 
fonds d'investissement à l'étranger pour soutenir le développement. Un 
signe supplémentaire de cette "professionnalisation" de la 
philanthropie, qui importe des pratiques du monde de l'entreprise avec 
un objectif : rendre ses actions plus efficaces. "Plutôt que la 
définition de l'intérêt général, c'est l'impact social qui devrait être 
le juge de paix, souligne Jacqueline Délia Brémond, vice-présidente de 
la fondation Ensemble. Nous avons mis en place un processus 
ultra-rigoureux de sélection et de suivi des dossiers. Résultat, aucun 
des projets que nous avons financés n'est tombé à l'eau." Mme Brémond 
s'appuie maintenant sur cette méthode pour proposer aux philanthropes de 
cofinancer des projets "clés en main".

C'est d'ailleurs une autre tendance forte : les fondations montent des 
dossiers en ouvrant le tour de table à des interlocuteurs très 
différents. "A Loos-en-Gohelle, dans le Nord, nous avons lancé un 
programme pour réinsérer 350 jeunes en associant une fondation, des 
philanthropes, la Caisse des dépôts et même la collectivité 
territoriale. Cette mutualisation permet d'obtenir des retombées plus 
importantes", explique Xavier Delattre, directeur des ressources 
d'Apprentis d'Auteuil. Une bonne façon pour les philanthropes et l'Etat 
de coopérer.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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