[Infoligue] Yannick Blanc, président de La Fonda : Sans stratégie d’alliances, les associations n’auront pas d’influence.
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 8 Nov 08:19:58 CET 2013
Yannick Blanc, président de La Fonda : Sans stratégie d’alliances, les
associations n’auront pas d’influence.
Propos recueillis par Muriel Jaouën
Publié par : http://www.place-publique.fr/
Le : Nov 2013
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Comment réduire le décalage entre le poids du tissu associatif dans la
société et son influence sur les politiques publiques. Yannick Blanc,
président de la Fonda, préfet du Vaucluse, livre des pistes.
La Fonda a engagé dans le cadre de la démarche “Faire ensemble 2020” des
réflexions prospectives sur le monde associatif. De quoi s’agit-il ?
Il ne s’agit pas de faire de la prospective académique, en se demandant
comment les mutations du monde vont impacter nos sociétés et comment il
convient de s’adapter, mais de voir quelle peut-être la contribution du
monde associatif aux grandes questions qui structurent les évolutions de
la société. Nous avons donc opté pour une logique proactive, dans
laquelle nous emmenons les associations pour construire avec elle un
travail stratégique.
C’est la posture et la démarche d’un think tank ?
La plupart des think tanks produisent de la pensée, généralement sous
forme de notes publiques. A la Fonda, nous avons choisi de faire
travailler ceux à qui nous nous adressons. C’est donc véritablement une
posture de coproduction d’outils méthodologiques et d’éclairage dont
chacun peut ensuite s’emparer.
Vous travaillez avec des prospectivistes ?
Nous avions dans un premier temps mené une enquête auprès de 1 500
dirigeants et représentants d’associations pour connaître leur vécu et
leur perception du monde associatif. Cette matière nous avait permis
d’élaborer des scénarios prospectifs livrés à la réflexion des
participants à l’université d’été de la Fonda en 2011. Aujourd’hui, nous
changeons d’axe méthodologique, en partant des travaux d’une dizaine de
prospectivistes avec lesquels nous avons débattu au cours de quatre
séminaires courant 2013. A partir de ces travaux, nous avons formalisé
60 tendances à l’oeuvre dans la société française parmi lesquelles nous
avons sélectionné quelques tendances clés pour le monde associatif, à
leur tour soumises au débat dans le cadre de notre université d’automne
de 2013.
Comment réduire le fossé entre le poids avéré du monde associatif et sa
relativement faible influence ?
Beaucoup plus que les pouvoirs publics, que les politiques, les
associations sont de formidables capteurs des réalités de la société.
Elles disposent de capacités de réflexion et d’analyses qu’elles
n’utilisent que très insuffisamment. Le projet de la Fonda, c’est
justement de les accompagner dans cette capacité réflexive et critique,
en leur fournissant une grammaire stratégique.
Il faut les aider à construire et affirmer une vision pour pouvoir
aborder la question des alliances - entre elles et avec d’autres
catégories d’acteurs -, qui est aujourd’hui absolument centrale pour
leur survie et leur développement. L’influence des associations sera
d’autant plus marquante qu’elles auront su construire efficacement et
durablement des stratégies d’alliances avec des partenaires publics et
privés, et notamment avec le monde des entreprises. Les associations
sont prises dans une tension un peu schizophrène, entre d’un côté leur
vie statutaire intrinsèque (assemblée générale, conseil
d’administration, bureau) et de l’autre des lieux de décisions de plus
en plus extérieurs aux instances statutaires. Car il ne faut pas se
voiler la face : les vraies décisions se prennent au sein de comités
partenaires, avec des parties prenantes extérieures. Tout dirigeant
associatif doit se poser la même question : compte tenu des objectifs
que je me suis fixé et des valeurs que j’entends défendre, quelles
alliances dois-je passer pour accroître ma capacité d’agir ?
La stratégie contre la logique gestionnaire ?
Il y a des associations, y compris de très connues, de très visibles,
qui se font bouffer par la fonction gestionnaire et voient leur réalité
associative devenir très évanescente. Cette tentation gestionnaire est
une menace permanente, contre laquelle les structures doivent développer
des anticorps. Mais pour ce faire, elles doivent être capables de se
projeter dans l’avenir, de comprendre le monde dans lequel elles sont
vouées à évoluer. Il ne s’agit pas d’élaborer une stratégie commune à
toutes les associations, cela n’aurait aucun sens, ce serait faire fi de
l’une des caractéristiques premières du monde associatif : son extrême
diversité. Il s’agit bien plutôt de permettre aux associations
d’exprimer leur vision stratégique avec un vocabulaire commun. Pour, in
fine, montrer que le monde associatif, dans sa grande diversité, est
porteur d’une vision de la société.
Le poids du financement public n’est-il pas un piège ?
Dans les domaines du lien social, de la solidarité, de la lutte contre
l’exclusion et la pauvreté, les associations se sentent en position de
faiblesse car effectivement très dépendantes du financement public. En
même temps, en termes d’innovation sociale, de capacité de compréhension
des systèmes et des phénomènes, de capacité d’empathie avec les gens,
elles ont des ressources considérables et surtout indispensables. Or,
elles ne font pas suffisamment peser ce rôle décisif dans l’élaboration
de leurs alliances et la négociation de leurs moyens.
Entre financement public et déploiement de nouvelles alliances, la
question du modèle économique est centrale.
La question du modèle économique a été au centre d’une réflexion menée
durant toute l’année 2013 au sein d’un collectif de dix structures du
monde associatif (dont La Fonda, le Labo de l’ESS, l’Avise, la CPCA, Le
Rameau…). Quatre modèles élémentaires ont été identifiés. Là encore, il
ne s’agit pas d’enjoindre les associations à rentrer dans des cases,
mais de les aider à se situer, à repérer leurs points forts et leurs
points faibles pour adopter les modèles les plus adéquats.
En se plaçant dans une perspective durable de réduction des financements
publics…
La question qui se pose est donc celle de la diversification des sources
de financement. Mais attention, le financement public reste un facteur
clé. Et il ne faut pas exclure que, dès lors que le travail stratégique
sur les alliances aura été correctement fait et que la valeur ajoutée
aux politiques publiques pourra être démontrée, certaines associations
ou certains regroupements d’associations obtiennent un redémarrage des
financements publics.
La reconnaissance d’une réalité associative porteuse d’une vision de la
société ne passe-t-elle pas par la reconnaissance de nouveaux critères
de création de valeur ?
Les outils de mesure de la contribution globale au bien commun vont
devenir de plus en plus pertinents autant que nécessaires. Un exemple,
avec une structure d’insertion, les Vergers de la Méditerranée à Avignon
qui a créé une activité de récupération de fruits et légumes auprès des
enseignes de la grande distribution. L’objet de cette activité est à la
fois simple, ingénieux et socialement bénéfique. Comment ça fonctionne ?
Lorsqu’une grande surface reçoit une palette de pêches qui compte une
poignée de fruits moisis, elle renvie la totalité de la livraison. Pour
le distributeur, pour le transporteur, pour le fournisseur, démonter la
palette cagette par cagette, trier les fruits et reconstruire une
palette est en effet économiquement insoutenable. Mais jeter des kilos
de fruits quand plein de gens n’ont pas les moyens de s’en acheter,
c’est tout bonnement inacceptable. C’est ici qu’intervient cette
structure d’insertion : elle va récupérer la palette, reconditionner les
produits pour les distribuer aux banques alimentaires, Resto du Cœur,
etc. Revenons sur le modèle économique de cette structure. Il doit être
bien sûr être mesuré sur la base du coût comptable net de fonctionnement
(salariés, entrepôt, trieuses, véhicules de transport…). Il relève
également, côté entreprise d’insertion, du financement public (repérage,
rémunération et accompagnement des personnes en insertion). Mais
l’équilibre économique de la structure ne se résume pas à la seule
équation comptable “compte de résultat + coût pour les finances
publiques”. Il intègre une dimension supplémentaire : la contribution
globale au bien commun, au travers d’un bénéfice social, l’insertion et
d’un bénéfice éthique, la lutte contre le gaspillage aliemntaire.
Une activité totalement insérée dans le circuit économique et créatrice
de la richesse sociale, c’est l’équation posée par l’économie sociale et
solidaire…
On va s’apercevoir que les acteurs économiques, quels qu’ils soient, et
sous la pression de l’opinion et de contraintes réglementaires, vont de
plus en plus en plus devoir recourir à l’économie sociale et solidaire.
Notamment les PME, dans le cadre de leurs stratégies de mutualisation.
Parlons des forces vives des associations. Les études pointent
régulièrement une pénurie de cadres dirigeants. Y a-t-il urgence ?
Oui, et c’est un sujet difficile. Je pense qu’il faut fondamentalement
que les associations se débarrassent d’une illusion démocratique qui
voudrait qu’elles fassent nécessairement émerger leurs dirigeants de
leurs forces vives. Le fonctionnement démocratique est bien sûr
constitutif du monde associatif. Cela n’est pas en cause. Les dirigeants
associatifs, il faut continuer de les élire. Mais il faut aussi les
recruter. Ce qui soulève directement la question du recrutement des
bénévoles et de la professionnalisation des associations.
Pour autant, il n’y pas globalement de baisse potentielle de
l’engagement bénévole.
La valeur du bénévolat reste très forte dans la société, les
aspirations, les valeurs de la population. Mais en même temps, les modes
de vie changent, les cycles de vie de l’engagement aussi. Il y a vingt
ans, entrer dans une association, c’était “prendre sa carte”.
Aujourd’hui, les jeunes s’engagent intensément, mais pas forcément très
longtemps.
On s’engage jeune, on relâche l’engagement pour élever les enfants et on
se réengage à la cinquantaine...
Du coup, les associations doivent résoudre un paradoxe. Elles souffrent
d’un vieillissement incontestable de leurs cadres et, en même temps, la
vraie ressource de leur encadrement se trouve chez les seniors actifs.
Il ne faut donc pas écarter les seniors, ce serait un contresens et une
erreur stratégique. Mais il faut maîtriser le gap générationnel et c’est
possible. Le monde associatif s’avère particulièrement propice aux
approches intergénérationnelles. Faire travailler les jeunes et les
vieux dans le cadre de l’engagement bénévole, ça marche toujours
extrêmement bien.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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