[Infoligue] Jack Lang > « C'est parce qu'il y a crise qu'il faut investir massivement dans la culture »
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 27 Juin 07:09:31 CEST 2014
Jack Lang > « C'est parce qu'il y a crise qu'il faut investir
massivement dans la culture »
Publié par : LE MONDE
Le : 26.06.2014
Propos recueillis par Nicolas Truong
Interview de Jack Lang
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La gauche au pouvoir a-t-elle toujours mené une politique culturelle
ambitieuse ?
La gauche et la culture, c'est une alliance légitime et naturelle. Mais
force est de constater que tel n'a pas été toujours le cas dans
l'histoire. La SFIO de Guy Mollet, notamment, fut particulièrement
anti-intellectuelle. Celui qui fut président du conseil de février 1956
à juin 1957 affichait son mépris pour ce qu'il appelait « la petite
gauche » des milieux culturels qui combattaient notamment sa politique
coloniale. La SFIO de l'époque était proche du vide intellectuel.
Pourtant, le Front populaire de Léon Blum et de Jean Zay l'avait précédée…
L'exemple du Front populaire rappelle que ce sont toujours les grandes
périodes de rupture politique et idéologique qui ont scellé les noces de
la gauche et de la culture. Ministre de l'éducation nationale et des
beaux-arts du gouvernement de Léon Blum – qui était lui-même un écrivain
–, Jean Zay crée le Musée national des arts et traditions populaires,
inaugure le Palais de Tokyo, pose les fondations du Festival de Cannes,
rénove l'Académie française, organise même un grand concours des jeunes
compagnies de théâtre.
Autre césure politique, à la Libération, l'alliance des gaullistes, des
communistes et des démocrates-chrétiens permet à Jeanne Laurent
(1902-1989), femme exemplaire alors sous-directrice des spectacles et de
la musique à la direction générale des arts et lettres au ministère de
l'éducation, de créer les premiers centres dramatiques nationaux. Elle
soutient Jean Vilar au Festival d'Avignon, puis le nomme à la tête du
Théâtre national populaire.
D'où venait l'élan culturel porté par François Mitterrand et le Parti
socialiste en 1981 ?
La victoire de 1981 est le fruit d'une longue marche vers le pouvoir
pendant laquelle nous avions préparé, des années durant, lorsque nous
étions dans l'opposition, nos propositions. Le Parti socialiste était un
laboratoire d'idées, une ruche où les artistes et les intellectuels
confrontaient leurs visions du monde.
Nous avons ainsi pu, dès les premiers jours, prendre des mesures aussi
emblématiques et radicales que la loi sur le prix unique du livre, ou le
doublement du budget de la culture et le lancement des grands travaux
dont celui du nouveau Louvre.
Les socialistes mènent aujourd'hui une politique de rigueur culturelle.
La comprenez-vous ?
La nécessité de réduire les déficits budgétaires est réelle. Cependant,
personne – pas même mes amis politiques – ne me détournera de ma
conviction de toujours : le budget de la culture mérite une protection
spéciale, surtout en période de mauvais temps. Il y a crise ? Raison de
plus pour investir massivement dans la culture, l'éducation, la
recherche. C'est le seul chemin vers la sortie de crise et le renouveau.
Ajoutons plus trivialement : la culture est un bon placement ; un euro
accordé à la culture vous est rendu au centuple, en bonheur de vivre, en
développement humain.
Lire aussi le point de vue du philosophe Yves Michaud : Cessons de
subventionner la médiocrité créatrice
Pourquoi la culture ne semble être valorisée par le gouvernement que
lorsqu'elle apparaît comme un facteur de croissance économique ?
La pensée « économiciste » a pris le dessus alors que la culture fait
vivre des régions entières en France. Fini le temps du désert culturel
français. Chaque ville moyenne possède sa médiathèque ou son théâtre. Le
réseau culturel de notre pays est exceptionnel. La décentralisation a
réussi. De nombreuses disciplines sont florissantes, tel l'art lyrique
dont Paris est devenu l'épicentre européen.
Dans son très beau discours devant l'Assemblée nationale, Victor Hugo,
en 1848, s'était écrié, face aux ennemis d'une politique d'Etat : « Pour
de petites économies, que de grands dégâts. » Rappelons qu'en plein
tourment de la rigueur de 1983 deux budgets progressent : la culture et
la recherche. Même chose en 1992, en pleine récession.
Quelles mesures devrait prendre la gauche au pouvoir ?
Aujourd'hui, Aurélie Filippetti se bat avec force, Manuel Valls est un
homme de culture, le président a réaffirmé sa volonté de soutenir les
arts. Comment aller plus loin et plus fort ? Déjà, ne pas avoir peur de
ce que de Gaulle appelait naguère la grandeur. Une certaine doxa propage
l'idée qu'il faudrait en finir avec les projets d'envergure. Je crois
tout le contraire. Les Français ont besoin d'être tirés en avant par des
réalisations d'exception. On pourrait, par exemple, imaginer une
loi-programme de développement culturel des quartiers populaires, qui se
trouvent en banlieue ou dans des quartiers périurbains largement
délaissés par l'Etat. Bibliothèques, lieux de répétition et centres
d'art devraient pouvoir les irriguer. Aucun territoire de la République
ne doit être perdu pour la littérature, le théâtre, la danse ou la musique.
Faudrait-il également créer de nouveaux musées ?
Oui. Pourquoi, aussi, ne pas créer un musée du design ou de l'art de
vivre, alors que notre pays possède, depuis les années 1980, grâce aux
fonds régionaux d'art contemporain, l'une des plus belles collections du
monde. On pourrait aussi penser à ouvrir, dans le domaine de l'art
contemporain, un musée des grands formats, qui sont aujourd'hui si
prisés, comme l'atteste le succès de l'Art Basel. Lyon regorge dans ses
réserves de ce type d'œuvres ; entre autres merveilles, une sublime
pièce de Daniel Buren de 300 mètres carrés. Les besoins comme les idées
ne manquent pas si l'on veut mobiliser les talents, les énergies et les
enthousiasmes.
Si la décentralisation culturelle est effective, celle de la
démocratisation ne l'est pas. Comment y remédier ? Pourquoi opposer
création et démocratisation ? Elles sont dialectiquement liées. Plus il
y a de créations, plus les ensemencements se multiplient. Mais il y a
urgence à relancer le chantier de l'éducation artistique, comme nous
l'avions entrepris avec Catherine Tasca. Chaque classe d'âge doit être
concernée, et l'art, du chant choral au théâtre, ne doit pas être
optionnel. Il doit être placé au cœur du système éducatif ; c'est une
clef de l'épanouissement et de la réussite des élèves.
La démocratisation culturelle passerait donc par une nouvelle politique
scolaire ?
Oui, trois fois oui. Notre pays a besoin d'une véritable révolution
éducative. Nous en sommes loin. C'est d'abord l'art d'enseigner que nous
devons profondément métamorphoser. Pour ce faire, une décision s'impose
: retirer aux universités la formation pratique des maîtres, ce dont
elles sont incapables, et créer de nouvelles écoles normales tournées
vers l'apprentissage concret du métier de professeur. Cette révolution
éducative requiert aussi une refonte audacieuse des programmes. Cette
réforme radicale de notre système éducatif serait le premier des
chantiers culturels nouveaux.
Nicolas Truong
Journaliste au Monde
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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