[Infoligue] Éducation populaire : les raisons d’un décrochage

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 30 Avr 10:22:33 CEST 2015


Éducation populaire : les raisons d’un décrochage

Publié par : http://www.lettreducadre.fr/
Le : 22/04/2015
Par : Stéphane Menu

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Au sortir de la guerre, l’éducation populaire savait encore interroger 
les cadres collectifs de notre société et donc mettre en cause, entre 
autres, les acteurs publics. Pour cela, elle a longtemps joué un rôle 
majeur dans l’émergence d’une parole citoyenne. Mais elle est 
aujourd’hui un brin chloroformée. Et si la décentralisation avait 
dévitalisé cette énergie contestataire ? Et si elle restait essentielle 
pour éviter les dérives communautaristes et les ghettoïsations sociales 
et physiques ?

C’est un perpétuel mouvement de balancier et rien ne changera : à la 
suite d’émeutes urbaines (2005, 2009 à Villiers-le-Bel, etc.), ou des 
attentats de Charlie Hebdo ou à l’Hyper Casher, les élus redécouvrent 
l’importance de la cohésion sociale et multiplient les demandes d’audits 
et de diagnostics pour identifier l’endroit où le bât a réellement 
blessé. Puis, au cœur de cette société émotionnelle où les drames en 
chassent d’autres à une vitesse folle, le soufflé des bonnes intentions 
politiques retombe vite. Au lendemain des attentats, les banlieues 
populaires en avaient gros sur le cœur.

À tel point que les maires de l’association Ville et Banlieue ont rédigé 
un communiqué commun pointant la situation de ces quartiers, 
« révélateurs et théâtres de nos fractures, de nos impuissances, 
contradictions et faiblesses […], pris entre intégration et 
désintégration ». En conclusion, ils préconisaient de « réintroduire 
l’éducation populaire qui permet l’émancipation des individus ».

Dans la foulée, les acteurs associatifs avaient même eu l’immense 
honneur d’être reçus par le président de la République, lui-même 
soucieux de redonner toute sa vigueur à une éducation populaire qui 
aurait disparu des radars républicains.


« Sans les acteurs de l’éducation populaire, combien de quartiers 
auraient explosé ? »

Les associations n’ont cependant pas le sentiment d’avoir délaissé le 
terrain. Elles font tout simplement avec les moyens du bord. « Les 
associations d’éducation populaire sont toujours dans les quartiers », 
assure Irène Péquerul, présidente du Cnajep (Conseil national des 
associations de jeunesse et d’éducation populaire). « Nous nous sommes 
entendu dire que nous n’étions pas assez visibles et identifiables dans 
les quartiers populaires. C’est un mauvais procès », assure-t-elle.

Nous nous sommes entendu dire que les associations d’éducation populaire 
n’étaient pas assez visibles et identifiables dans les quartiers 
populaires. C’est un mauvais procès.

À n’être que dans des réponses d’urgence, les pouvoirs publics auront du 
mal à poser un cadre durable face à la dislocation de la cohésion 
sociale. Partout en France, des initiatives fleurissent, comme à Bègles 
où l’association Remue-Méninges, outre le soutien scolaire à deux cents 
enfants, a initié une université populaire avec les parents autour du 
thème de la parentalité. « Nous avons le devoir de continuer à soutenir 
les acteurs de l’éducation populaire, assure Isabelle Foret-Pougnet, 
adjointe au développement social et urbain. Sans eux, combien de 
quartiers auraient explosé ? ».


Trop d’autocensure ?

Peut-on pour autant se satisfaire de cette situation ? Non, ose 
reconnaître Irène Péquerul, insistant sur le fait que les relations 
avaient évolué au cours du xxe siècle entre les pouvoirs publics et 
l’éducation populaire : « Au sortir de l’après-guerre, l’éducation 
populaire avait un rôle moteur dans la reconstruction de cadres 
collectifs, de politiques sociales, culturelles et éducatives 
innovantes. Aujourd’hui, une partie des collectivités attendent de 
l’éducation populaire qu’elle serve une prestation de qualité et la 
moins chère possible dans une logique de mobilisation et de 
transformation sociale ».

Serait-on donc passé d’une éducation populaire « organisatrice d’un 
débat sur l’avenir de notre société » à une éducation populaire 
« organisatrice de séjours de vacances pour gamins un brin turbulents »  
? Est-ce à dire que la décentralisation, et ce lien de proximité entre 
élus et acteurs, ont joué un rôle négatif ?

Est-ce à dire que la décentralisation, et ce lien de proximité entre 
élus et acteurs, ont joué un rôle négatif ?

Sans aller jusque-là, élus et responsables associatifs n’ont jamais su 
résoudre cette quadrature du cercle : comment accepter un financement, 
même public, venant d’une collectivité dont on ne peut critiquer 
implicitement l’action publique ? L’éducation populaire, dont l’essence 
même consiste à interroger la marche sociétale, est-elle morte d’une 
overdose d’autocensure ? Beaucoup de responsables associatifs assurent 
être instrumentalisés, même de façon biaisée.


Adultes-relais : des vigies…

De nombreux outils de concertation existent pour faire émerger la parole 
des habitants – processus absolument indispensable –, à travers la 
participation citoyenne. Encore faut-il que ce processus soit légitimé, 
organisé d’en bas… Dans de nombreuses concertations, les dés sont jetés 
à l’avance.

Fatima Mostefaoui, adulte-relais au centre social de Malpassé, à 
Marseille, a été recrutée pour mettre en place le dispositif 
expérimental « Tables de quartier » (1). « Ce dispositif a été pensé 
pour associer les habitants à la construction du contrat de ville. Toute 
notre crédibilité, dans le cadre de cette médiation, passe par la 
remontée d’une parole qui sera entendue. Sinon, les gens ne nous font 
plus confiance », assure-t-elle.

Le gouvernement a donné mission aux préfets de faire en sorte que les 4  
200 adultes-relais répartis sur le territoire national fassent remonter 
la parole des habitants des quartiers difficiles.

Toujours après les événements dramatiques de janvier, le gouvernement a 
donné mission aux préfets de faire en sorte que les 4 200 adultes-relais 
répartis sur le territoire national fassent remonter la parole des 
habitants des quartiers difficiles. Ont-ils les moyens d’être crédibles 
avec des solutions de droit commun face à des populations de plus en 
plus décrochées ?

Jean-Pierre Goulard, directeur de la cohésion sociale à la mairie 
d’Oyonnax (Ain, 23 000 habitants), estime que le rôle des adultes-relais 
est essentiel. « Nous avons sept adultes-relais sur le terrain. Ils sont 
issus du tissu associatif, connaissent les gens, les jeunes, les vieux. 
Ils sont reconnus, valorisés par leur cheminement social. On nous parle 
de plus en plus du risque de radicalisation islamiste. Ces 
adultes-relais doivent être mieux formés pour le repérer ». N’y a-t-il 
pas un risque de confusion entre un travail préventif et son 
prolongement répressif ? « Non. Quand un gamin « vrille », avec des 
petits délictuels, nous le signalons dans le cadre des comités 
intercommunaux de prévention de la délinquance et de la sécurité, où 
siègent des représentants de la police. Face à la radicalité islamiste, 
nous aurons à adopter le même comportement ».


Comment utiliser une parole citoyenne ?

Pour Damien Bertrand, directeur de Profession Banlieue, « la réussite de 
la participation citoyenne passe par un portage politique fort. Parce 
que la question que les élus se posent est de savoir comment utiliser 
une parole citoyenne qui, forcément, les bouscule, les remet en cause et 
parfois de façon injuste », assure-t-il. Sur un projet urbanistique, les 
acteurs de la concertation ont-ils intérêt à « techniciser » le débat en 
faisant intervenir urbanistes et autres architectes ? Le décalage entre 
la connaissance parcellaire de la population, directement concernée, et 
le langage quelque peu techno et donc inadapté des « sachants » ne 
brouille-t-il pas la communication ?

Il serait tentant de renverser les tables et de laisser entendre que 
l’éducation populaire est morte parce qu’elle a perdu son essence 
originelle. Il faut sans doute qu’élus et acteurs associatifs jettent 
les bases d’une charte de la transparence où l’action de terrain 
n’aurait qu’un seul objectif : saisir les attentes d’une population qui 
se sent reléguée… Utopique ?




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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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