[Infoligue] Participation des habitants : les conseils citoyens changeront-ils la donne ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 10 Déc 09:52:10 CET 2015


NB : Lire notamment les paragraphes concernant la ville de Gap...


Participation des habitants : les conseils citoyens changeront-ils la 
donne ?

Publié par : http://www.localtis.info
Le : mercredi 9 décembre 2015

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Mesure phare du pilier "participation" de la loi Lamy, les conseils 
citoyens sont encore en cours d'installation dans la majorité des 
quartiers prioritaires. Les habitants pourront-ils raccrocher les wagons 
des contrats de ville, qui seront bientôt signés un peu partout ? 
Périmètre, désignation des membres, rôle des conseils et relations avec 
la commune... Panorama des questions que se posent les élus pour tenter 
de se saisir de cet "ovni institutionnel".

La participation des habitants constitue depuis l'origine le serpent de 
mer de la politique de la ville. La loi du 21 février 2014 de 
"programmation pour la ville et la cohésion urbaine", dite loi Lamy, a 
introduit plusieurs obligations en la matière, dont celle de mettre en 
place un conseil citoyen dans chaque quartier prioritaire. Définis par 
la loi, le rôle et les modalités de constitution et de fonctionnement de 
ces comités ont été détaillés par la suite dans un "cadre de référence".

A la différence du conseil de quartier qui n'a qu'un rôle consultatif, 
l'ambition du conseil citoyen est de permettre aux habitants de 
participer au processus d'amélioration de leur quartier, dans une 
logique de coconstruction. Il est ainsi prévu que les conseils citoyens 
soient "associés à l'élaboration, à la mise en œuvre et à l'évaluation 
des contrats de ville" et, qu'à ce titre, ils soient représentés dans 
"toutes les instances de pilotage du contrat de ville".

Cas "rarissimes" : le conseil citoyen signe le contrat de ville

Le processus d'élaboration des contrats de ville touche à sa fin. Fin 
novembre, 397 contrats sur 437 étaient signés, selon le Commissariat 
général à l'égalité des territoires. Les conseils citoyens, en revanche, 
sont encore "en majorité en cours de constitution", indique Kaïs 
Marzouki, chef du bureau Soutien aux associations et participation des 
habitants au CGET. En septembre, selon une projection du CGET, environ 
800 conseils devaient être encore installés, en plus des 380 déjà en place.
Parmi les conseils déjà installés, certains - "rarissimes" selon Kaïs 
Marzouki – sont signataires du contrat de ville, au même titre que les 
collectivités, l'Etat et les autres partenaires. C'est le cas à Gap, où 
des membres du conseil citoyen participent également à toutes les 
réunions politiques et techniques du contrat de ville. "Pour la plupart" 
des conseils, on n'en est "pas encore là", estime Kaïs Marzouki.

En effet, explique Benoît Boissière, chargé de développement à 
l'Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain 
(Irdsu), "on a eu deux calendriers un peu en parallèle" : le calendrier 
"institutionnel" (et pressé d'aboutir) de la contractualisation et le 
montage (nécessairement ancré localement, mené "dans la durée") des 
conseils citoyens. Si ces derniers mettent du temps à émerger, ce n'est 
pas forcément mauvais signe, selon lui ; cela peut signifier que chaque 
territoire prend le temps de trouver ses propres réponses aux questions 
qui se posent.

Et, face à cet un "ovni institutionnel" qu'est le conseil citoyen pour 
Kaïs Marzouki, il ne semble pas forcément interdit de prendre quelques 
libertés avec la loi.

1.500 quartiers, 1.200 conseils... Quel périmètre ?

A commencer par le périmètre d'intervention des conseils. Si le CGET 
s'attend à en dénombrer moins de 1.200, c'est bien qu'il n'y en aura pas 
un pour chacun des 1.500 quartiers prioritaires. Les équipes locales – 
Etat-commune-intercommunalité – ont souvent opté pour des regroupements 
(un conseil pour deux quartiers ou plus). C'est le cas à Plaine Commune 
(Seine-Saint-Denis). Dans les 24 quartiers prioritaires des neufs villes 
de l'agglomération, 18 conseils citoyens devraient bientôt émerger, 
selon Sandrine Joinet Guillou, responsable de la politique de la ville à 
la communauté d'agglomération.

A l'inverse, dans certains territoires, les conseils citoyens seront 
plus nombreux que les quartiers prioritaires. Certaines villes se sont 
en effet saisies de l'alinéa 2 de l'article 7 de la loi Lamy autorisant 
le maire à décider que "le conseil citoyen (…) se substitue au conseil 
de quartier". A Mulhouse, les six conseils citoyens installés en avril 
2015 ont ainsi remplacé les 16 conseils de quartier préexistants. En 
constituant des ensembles cohérents comprenant à chaque fois une partie 
de territoire prioritaire et une partie qui ne l'est pas, le parti pris 
a été de "rassembler, [d'] aller vers de la mixité de quartier", précise 
Christine Edel, directrice de la participation citoyenne à Mulhouse.

Tirage au sort : "aucune liste en elle-même n'est suffisante"

Selon la loi, "le conseil citoyen est composé, d'une part, d'habitants 
tirés au sort dans le respect de la parité entre les femmes et les 
hommes et, d'autre part, de représentants des associations et acteurs 
locaux". Et le cadre de référence précise : "sans qu’un pourcentage ne 
soit imposé, le collège 'habitants' doit constituer a minima 50% des 
membres du conseil citoyen".
La question du choix de la liste ou des listes d'habitants pour le 
tirage au sort a été sans conteste l'une des plus épineuses à résoudre. 
N'ayant pas obtenu l'autorisation des services fiscaux pour utiliser les 
listes liées à la taxe d'habitation, les villes de Plaine Commune se 
sont finalement rabattues sur les listes électorales. Insatisfaisantes, 
puisqu'elles ne comprennent pas les personnes de nationalité étrangère, 
ces listes ont pour seul avantage de capter "les jeunes" inscrits 
désormais automatiquement à l'âge de 18 ans, rappelle Sandrine Joinet 
Guillou. Finalement, le tirage au sort s'effectuera sur la base de 
listes issues d'un croisement entre les listes électorales et celles de 
la Caisse d'allocations familiales (CAF).

N'aurait-il pas été plus simple d'avoir une seule liste de référence, 
mise à disposition des acteurs locaux ? "Le CGET n'en a préconisé aucune 
car absolument aucune liste en elle-même n'est suffisante", répond Kaïs 
Marzouki. Ce dernier admet toutefois que, faute de pouvoir disposer des 
listes des bailleurs ou d'autres, "beaucoup" de territoires ont dû se 
résoudre à utiliser les listes électorales.

Mobiliser les habitants par cercles concentriques

Autre solution qui semble avoir été souvent privilégiée : la 
constitution de listes de volontaires, établies à l'issue d'actions de 
communication plus ou moins poussées (tracts dans les boîtes aux 
lettres, réunions d'information, porte-à-porte, etc.). Parmi les 
volontaires, une partie des membres du conseil sont alors désignés par 
tirage au sort.

A Gap, la mobilisation des habitants a été menée par cercles 
concentriques : les professionnels (responsables de centre social, 
équipes de prévention spécialisée, etc.) ont d'abord chacun invité deux 
ou trois habitants volontaires à participer à une réunion ; puis, ces 
habitants sont eux-mêmes allés déposer des tracts dans les boîtes aux 
lettres pour "inviter les habitants en leurs noms" à la prochaine 
réunion, rapporte Viviane Lefeuvre, directrice de la politique de la 
ville et de l'emploi à la ville. Le conseil citoyen est finalement 
composé uniquement d'habitants, les professionnels intervenant dans le 
quartier du Haut Gap étant tous liés d'une façon ou d'une autre à la 
municipalité.

Pour répondre à l'ensemble des critères – mobiliser les habitants les 
plus éloignés des dispositifs, des femmes pour obtenir la mixité, des 
jeunes… -, la ville de Mulhouse s'est en partie appuyée sur ses anciens 
conseillers de quartier. A l'issue d'un tirage au sort parmi 500 
candidats (dont 37% d'anciens membres des conseils de quartier), "un 
vrai renouvellement" peut être observé, selon Christine Edel. A 
Mulhouse, chaque conseil citoyen est composé de trois collèges : les 
habitants des quartiers prioritaires, les habitants des autres quartiers 
et les "acteurs".

En février 2015, selon une enquête menée par l'Irdsu, "la répartition 
50/50 [était] largement majoritaire" entre le collège "habitants" et le 
collège "acteurs", pour la minorité de territoires qui avaient déjà 
précisé la composition de leur conseil.

Le défi de la collectivité : aider le Conseil à trouver sa place sans 
"interférer"...

Jusqu'à présent, "les communes ont été la plupart du temps 
surinvesties", observe Kaïs Marzouki. Les conseils citoyens ne sont donc 
pas encore "complètement adultes". C'est l'autre défi de taille pour les 
pouvoirs publics locaux : celui de parvenir à trouver le juste équilibre 
entre, d'une part, la nécessité d'apporter un appui au conseil pour lui 
permettre de démarrer et de fonctionner et, d'autre part, l'atteinte du 
réel objectif de la loi, à savoir l'autonomie, l'indépendance d'un 
conseil appelé à voler de ses propres ailes…
"L'installation d'un mode de fonctionnement un peu serein ne va pas de 
soi, ça prend du temps", confie Christine Edel. A Mulhouse, une "agence 
de la participation citoyenne", chargée d'accompagner les habitants, a 
été mise en place dans le cadre de la démarche "territoire hautement 
citoyen". L'agence – au statut de régie personnalisée – rassemble dans 
son conseil d'administration des élus municipaux, des partenaires 
institutionnels et associatifs et des représentants des conseils 
citoyens. L'équipe municipale est dans ce cadre "à disposition, mais ne 
s'impose pas", selon Christine Edel.

L'intervention d'un tiers semble, dans un premier temps, inévitable. 
Après l'installation des conseils en décembre, Plaine Commune proposera 
une mission d'accompagnement à maîtrise d'ouvrage (AMO) pour fournir un 
apport en ingénierie et un appui institutionnel et juridique aux conseils.

De l'ingénierie, des locaux, des moyens...

Il s'agira notamment d'aider chacun à opter pour le statut le plus 
adapté. En février 2015, selon l'enquête de l'Irdsu, le portage 
associatif était plébiscité, "en particulier par une association dédiée 
ou par un centre social". Pour Sandrine Joinet Guillou, un tel 
accompagnement doit cependant n'être que transitoire, il pourrait être 
suivi à Plaine Commune de formations adaptées aux besoins spécifiques 
des membres du conseil (formation aux techniques d'animation, par exemple).

Outre cet apport en ingénierie et en formation, la question des moyens 
mis à disposition des conseils se pose. Selon la loi, "un lieu et des 
moyens dédiés" doivent être prévus et inscrits dans le contrat de ville 
– des avenants portant sur les conseils citoyens devront, plus 
globalement, être apportés aux contrats déjà signés. Selon le nombre de 
quartiers prioritaires et les facilités mises à la disposition des 
communes et intercommunalités, ces moyens pourraient être assez 
différents d'un territoire à l'autre. Un abondement de l'Etat est 
toutefois prévu dans le cadre du contrat.

A Gap, la ville a mis à disposition une salle et l'Etat a alloué au 
conseil, en 2015, une enveloppe de 5.000 euros ayant servi à financer 
des équipements informatiques, des actions de communication et la 
première action du conseil – l'organisation d'un forum citoyen.

A quoi sert un conseil citoyen ?

Une fois toutes ces questions - périmètre, composition, moyens… - 
résolues, les conseils citoyens pourront enfin se concentrer sur 
l'essentiel : se demander que faire et dans quel but. A Gap, le conseil 
citoyen constitué en association – "association citoyenne du Haut-Gap" – 
en est là. Pour être présents partout, ses membres se sont répartis les 
différentes instances du contrat de ville – comité de pilotage, réunions 
techniques sur l'éducation, l'emploi, etc. S'appropriant petit à petit 
le contrat de ville, ils pourront bientôt s'en faire l'écho auprès des 
autres habitants. Lors du forum citoyen qu'ils ont organisé en octobre, 
les membres du conseil citoyen ont cherché à se faire connaître et à 
valoriser les porteurs de projets du contrat de ville. Ces derniers 
sollicitent désormais le conseil sur leur projet.

Pour Viviane Lefeuvre, toute la difficulté sera, pour les membres du 
conseil, de bien clarifier leur positionnement, d'être en appui, de 
faire le lien, sans pour autant participer eux-mêmes à la mise en œuvre 
des projets. Les membres du conseil, bénévoles, ont déjà déployé 
"beaucoup d'énergie"… Pour assurer à la fois de la souplesse et de la 
continuité, le conseil de Gap a convenu qu'il était possible de 
démissionner au cours du mandat, mais que la personne devrait alors 
trouver son remplaçant.

Autre difficulté relative au positionnement : comment "faire le lien" 
avec les habitants sans les "représenter" ? Dans l'esprit du dispositif, 
les membres des conseils citoyens sont invités à être, en quelque sorte, 
des "experts du vécu" de leur quartier, à échanger avec les acteurs 
institutionnels comme avec les autres habitants, mais à ne parler qu'en 
leurs noms…

"Les conseils citoyens, on les verra à mi-mandat"

Pour Benoît Boissière, la simple présence des habitants dans le comité 
de pilotage du contrat de ville a déjà démontré des effets. Cela oblige 
selon lui les acteurs locaux à "une sorte d'exigence globale, de 
pédagogie". Il ajoute : "l'enjeu de la mobilisation du droit commun est 
très lié à celui des habitants : les habitants parlent d'école (et non 
pas de réussite éducative), de logement… Ils ont de fait une vision 
transversale".

L'équation, complexe, nécessite cependant du travail, des efforts 
d'adaptation et de l'humilité – de la part des habitants comme de celle 
des élus et des professionnels. Pour que les habitants membres du 
conseil soient suffisamment motivés pour maintenir leur implication dans 
la durée, ils doivent pouvoir cerner précisément leur rôle, comprendre 
comment ils vont pouvoir influencer les pouvoirs publics.

Cet enjeu sera l'un des points à l'ordre du jour du prochain comité de 
suivi national des conseils citoyens, qui aura lieu en février 2016 sous 
la présidence du ministre de la Ville, précise Kaïs Marzouki. Il y sera 
aussi question de la mise en place de réseaux, de "regroupements de type 
départemental pour favoriser le dialogue et l'échange de pratiques entre 
les conseils citoyens eux-mêmes". D'ici là, le CGET aura conduit une 
nouvelle enquête sur la mise en œuvre des conseils. Avant de mettre en 
place des indicateurs permanents de suivi, dans le cadre du nouvel 
observatoire de la politique de la ville, en cours d'installation. "Les 
conseils citoyens, on les verra à mi-mandat, conclut Kaïs Marzouki, il 
faut du temps."

Caroline Megglé

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Denis Lebioda
Chargé de mission
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