[Infoligue] Le territoire, « machine à trier les jeunes » ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 30 Jan 11:16:14 CET 2015
Le territoire, « machine à trier les jeunes » ?
Publié par :
http://www.lagazettedescommunes.com/320720/le-territoire-machine-a-trier-les-jeunes/
Le : 30/01/2015
Par : Michèle Foin
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L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep)
remet en cause la capacité des politiques publiques à enrayer les
inégalités sociales et territoriales dont sont victimes les jeunes. Dans
son rapport « Parcours de jeunes et territoires », rendu public le 27
janvier 2015, il invite collectivités territoriales à innover dans
l’accompagnement des jeunes dans leurs parcours vers l’autonomie.
« Est-ce que c’est parce que tu vis ici que tu as moins de chances, ou
est-ce que c’est parce que tu as moins de chances que tu vis ici ? »,
s’interroge sur le blogzep cette étudiante de 22 ans qui a décidé
d’habiter dans une banlieue « difficile » de Grenoble pour bousculer ses
préjugés et « connaître d’autres modes de vies ».
C’est aussi la question qui sous-tend le deuxième rapport de l’Institut
national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), « Parcours
de jeunes et territoires », présenté le 27 janvier 2015 lors d’une
journée de rencontres et de débats organisée à Paris par l’Injep. Un
rapport qui explore les liens qu’entretient la jeunesse avec son
territoire de vie dans la transition vers l’âge adulte, et qui montre
aussi comment le territoire, et les disparités territoriales s’imposent
aux jeunes et contribuent à façonner leurs pratiques et leurs trajectoires.
Ghettos - Ce rapport prend une résonnance particulière, trois semaines
après les attentats de Paris et de Montrouge, une semaine après que le
Premier Ministre Manuel Valls ait dénoncé « l’apartheid territorial,
social, ethnique », dont sont victimes les habitants de certains
quartiers, pointant du doigt la « relégation périurbaine » et « les
ghettos ».
« Le chômage frappe 10% de la population française, 20% des jeunes et
40% des jeunes des quartiers ! », a rappelé Jean-Benoît Dujol, délégué
interministériel à la jeunesse. Le territoire produit-il pour autant ces
inégalités sociales ou n’en est-il que le reflet ? Si les scientifiques
(sociologues, géographes…) n’ont pas trouvé de terrain d’entente,
l’enjeu de cette question est surtout politique, ont tenu à rappeler les
chercheurs de l’Injep, car en fonction de la lecture retenue, l’action
publique privilégiera les territoires ou les individus.
Métropolisation - Pour Francine Labadie, chef de projet Observatoire de
la jeunesse et des politiques de jeunesse et qui a dirigé la rédaction
du rapport, certes, les inégalités territoriales reflètent les
inégalités sociales, mais « les transformations territoriales à l’œuvre
aujourd’hui, et notamment les phénomènes de métropolisation qui touchent
les grandes agglomérations, provoquent des inégalités inédites. La
métropolisation implique une concentration des richesses et du capital
humain, au détriment des périphéries ». Un constat d’autant plus
saillant pour les jeunes.
D’un côté, les métropoles attirent les jeunes les mieux formés, les plus
diplômés, de l’autre, l’augmentation du coût de la vie et des logements,
empêche les plus pauvres d’y rester. Ils sont alors rejetés en
périphérie ou contraints de changer de région. « Cette machine à trier
renforce le clivage entre les jeunes », analyse Francine Labadie.
Déconnectés - Selon Thomas Kirszbaum, chercheur associé à l’ENS Cachan,
et convié à la tribune, il faut questionner la lecture mécaniste de la
Politique de la ville qui sous-entend que le territoire jouerait un rôle
prépondérant sur le parcours des jeunes.
« Jusqu’à présent, les pouvoirs publics ont cherché à remettre à niveau
les territoires « handicapés », sans prendre en compte la mobilité des
habitants, en présumant que le « quartier » n’avait pas d’interaction
avec ce qui l’entoure. Or les gens ont un usage différencié des
services. La question de la mobilité n’est pas suffisamment prise en
compte », souligne-t-il.
Remise en cause de l’effet « quartier » - Une remarque étayée par la
recherche de Nicolas Oppenchaim, sociologue, présentée dans le rapport
de l’Injep. Il s’est penché sur les pratiques de mobilité quotidienne
des adolescents vivant en zone urbaine sensible (ZUS) et remet en cause
« l’effet de quartier » : « les adolescents ont des pratiques de
mobilité très différentes selon les habitudes qu’ils y ont prises. Le
quartier serait leur seul territoire de socialisation. Or beaucoup ne
font qu’y dormir ! La mobilité quotidienne participe de cette
socialisation », explique-t-il. Et de conclure : « Ces adolescents
doivent pouvoir profiter d’espaces de fixation et d’espaces de mobilité
afin de se séparer de leur environnement familier sans sacrifier les
attaches qu’ils y ont tissées. »
Injonction à la mobilité - Représentants associatifs, élus, chercheurs :
ce 27 janvier, tous ont en effet dénoncé la tendance à faire de la
mobilité un mot d’ordre politique. « Il faudrait bouger pour s’en
sortir. Cette nouvelle injonction fait violence aux jeunes ! », a
dénoncé Régis Cortesero, chargé d’études et de recherche à l’Injep. Car
il ne faudrait pas sous-estimer les liens sociaux de proximité qui
sécurisent aussi les jeunes dans leur quartier.
Pour sortir de « l’impuissance » des politiques actuelles – politiques
sociales et redistributives qui s’adressent aux individus en fonction de
leur statut, et politique de la ville qui privilégie un « traitement
territorialisé de la pauvreté concentrée dans des quartiers » – l’Injep
préconise « d’inventer des catégories d’action plus dynamiques prenant
en compte la situation territoriale et les mobilités. »
Mise à l’épreuve de la mobilité - « Une politique jeunesse doit à la
fois partir des territoires enclavés en offrant des services publics de
plus grande qualité, et s’adresser à tous les jeunes, pour leur donner
envie et les moyens de dépasser leur craintes, et de mettre à l’épreuve
leur mobilité. Le rôle des politiques jeunesse est des les accompagner
dans cet apprentissage progressif », a témoigné pour sa part Matthieu
Angotti, directeur du Centre communal d’action social de Grenoble.
Le mille feuille des politiques jeunesse - Or sur le terrain, de
véritables politiques jeunesse peinent toujours à se dessiner, et ce
malgré les deux comités interministériels à la jeunesse (CIJ) qui se
sont tenus en 2013 et 2014.
Les dispositifs à l’égard des jeunes sont très souvent morcelées, portés
par de multiples acteurs, qui ne parviennent pas à se coordonner,
rendant tout cela illisible pour les jeunes. « Dans le cadre de la
métropolisation la question du chef de file doit se poser. Quand j’ai en
face de moi des élus qui pensent que les politiques jeunesse ne doivent
s’adresser qu’aux jeunes à risques, droguées, délinquants et
décrocheurs, il est difficile de monter une politique globale ! », s’est
insurgé Mathieu Cahn, adjoint au maire de Strasbourg, en charge des
politiques jeunesse, et vice président de la communauté urbaine de
Strasbourg.
Maîtrise de sa destinée sociale - Pour Francine Labadie, il est
maintenant essentiel d’aborder la question de la jeunesse sous l’angle
du développement : « Que fait-on pour avoir des jeunes en bonne santé,
qualifiés, qui contribuent au développement du territoire ? Il faut par
exemple permettre aux jeunes de s’emparer des offres de formation ce qui
renvoie à la question de l’orientation et des parcours individualisés »
insiste-t-elle.
Et le rapport de l’Injep de conclure à l’urgence de penser le
développement territorial en termes de « développement humain et pas
seulement économique ».
« Il ne s’agit plus tant de réparer et secourir mais, de manière
préventive, d’investir socialement dans le développement des capacités
des jeunes ».
Pour cela, l’Injep en appelle à des innovations sociales dans
l’accompagnement des individus « afin que chacun puisse véritablement
s’approprier les ressources en vue d’une réelle maîtrise de sa destinée
sociale ».
Investissements d’avenir – Des innovations qui pourraient émerger dans
le cadre du programme des investissements d’avenir (PIA) pour la
jeunesse. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des
sports, qui concluait ces rencontres, a en effet annoncé, outre un 3ème
CIJ « décentralisé », que le lancement de l’appel à projets, doté de 60
millions d’euros, interviendrait dans deux semaines.
Des projets qui devraient favoriser « l’émergence de politiques de
jeunesse globales et intégrées, qui permettent de traiter les
problématiques des jeunes de façon globale et cohérente à l’échelle d’un
territoire, en évitant l’écueil d’une juxtaposition d’initiatives
sectorielles non harmonisées », comme le stipule la convention du 10
décembre 2014 entre l’Etat et l’Anru.
La jeunesse sera-t-elle enfin considérée comme un investissement d’avenir ?
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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