[Infoligue] L’important, c’est de participer
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 1 Juin 08:10:34 CEST 2015
L’important, c’est de participer
Publié par : LE MONDE
Le : 01.06.2015
Par Catherine Rollot et Pascale Krémer
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Six mille cinq cents euros. « Mince ! » Sur le coup, Gwendoline
Jourdain, maraîchère à Pont-Melvez, dans les Côtes-d’Armor, en aurait
presque pleuré. Depuis, syndrome du miraculé, elle ne cesse de
s’interroger. Pourquoi elle ? Qu’est-ce qui a poussé 120 personnes à
verser, sur la plate-forme de financement participatif Ulule, de quoi
lui permettre de bâtir un laboratoire de conserves bio, avec seulement
un panier de carottes et poireaux offert en contrepartie ? Son principal
soutien, Valéry Lion, un architecte nantais, n’avait jamais mis une
botte dans un potager. Il a donné 2 000 euros.
C’est un mystère sympathique dans une époque qui ne l’est pas toujours.
Depuis huit ans que le crowdfunding existe, plus d’un million de
Français ont financé les rêves des autres, prenant sur leurs deniers
pour que la classe de mer d’une école maternelle, la rénovation des
écuries d’un château ou les lunettes de soleil en bois deviennent
réalité. Au point de faire de la France la championne d’Europe du
financement participatif, sous toutes ses formes – dons, prêts avec ou
sans intérêt, prises de participation au capital. Sept pour cent des
Français ont déjà contribué, un quart l’envisagent cette année… Le
crowdfunding, cette « foule qui finance » grâce au Web, ne cesse d’enfler.
Une forme d’engagement
Pour ce qui concerne les seuls dons, 90 millions d’euros ont été levés
depuis 2009. Et cela double d’année en année. Quels sont les ressorts de
cette étonnante générosité de temps de crise, qui s’exprime souvent
envers de parfaits inconnus, et sans espoir de déduction fiscale ?
Gwendoline Jourdain a une piste : « Les gens ont l’air de ne penser qu’à
eux-mêmes. Mais en fait, ils ont envie d’aider. C’est juste qu’ils ne
savent pas comment s’y prendre, n’osent pas aller vers l’autre. Dès
qu’on ouvre une possibilité, ils s’engouffrent. »
Bien sûr, ce sont d’abord les proches qui se mobilisent. Ils apportent
de la « love money », comme disent les spécialistes, ajoutant au soutien
moral de longue date le petit coup de pouce financier. Mais pour le
succès d’une collecte, il faut dépasser ce cercle, convaincre des
dizaines, des centaines de quidams de se convertir en mécènes, même pour
quelques euros. Les projets culturels sont en général les plus
fédérateurs. « On est toujours enclin, en France, à financer un
photographe qui veut monter son expo, ou un designer qui lance un jeu
vidéo », constate Vincent Ricordeau, cofondateur et PDG de KissKissBankBank.
« Serial mécènes »
On se souvient du chanteur Grégoire, première success-story de la
plate-forme française MyMajorCompany, en 2007. C’était deux ans avant la
naissance de l’américain Kickstarter, désormais leader mondial avec 1,7
milliard de dollars récoltés, qui débarque fin mai dans l’Hexagone. Ses
deux principaux concurrents, les français Ulule et KissKissBankBank,
retiennent, eux, des projets à dimension collective, pour la plupart
tournés vers l’écologie et l’éthique. Contribuer, c’est donc soutenir
ces valeurs. La production biologique, les circuits courts, les
distributeurs automatiques de légumes comme ceux qu’a installés
récemment en ville Gwendoline… Son principal mécène souhaitait défendre
tout cela. Faire la nique, aussi, aux banques trop frileuses et « aider
les gros bosseurs qui entreprennent et courent des risques ». Dans les
propos des donateurs, une formule revient souvent : « Je suis engagé
[sur telle ou telle plate-forme]. »
Agir plutôt que pester contre le système. Pour le prix d’un paquet de
cigarettes, le crowdfunding permettrait de se sentir en prise avec cette
partie de la société qui avance. Et participer… même par procuration.
Devenir « un peu propriétaire de ruches, même si je n’ai pas mon nom
dessus », comme Sandrine Chauffourier, pharmacienne et fan d’apiculture.
Ou « un peu embringué dans une dynamique de création culturelle », tel
Eric Lehmann, cadre en recherche d’emploi qui a trouvé « gratifiant » de
soutenir une cinquantaine d’initiatives.
Il fait partie de ces « serial mécènes », qui, en décembre 2014, ont été
décorés au ministère de la culture. A ses côtés, certains avaient
contribué plus de 200 fois. « Ils achètent un bout de l’histoire,
décrypte Mathieu Maire du Poset, chez Ulule. Un lien avec un projet, un
artiste, une entrée dans une communauté. » Comme celle « fondée » par
Sandrine Frapier, à Limoges, autour de sa boutique d’accessoires de mode
en tissus vintage. « Parmi les 139 personnes qui m’ont permis de réunir
4 700 euros pour un salon à Paris, une cinquantaine est venue visiter
mon atelier », se souvient-elle. Piles de tissus, machines à coudre et
W-C psychédéliques. « Tout le monde est reparti avec le sourire et le
sentiment de faire partie de quelque chose. » Depuis, la petite boutique
a ses fidèles.
« Machine à optimisme »
La relation privilégiée tissée aveccelui ou celle qui ose entreprendre
séduit. Parfois, les mécènes ont aussi le privilège de tester le produit
en cours d’élaboration, d’influer sur sa conception, de suggérer l’idée
suivante. Les donateurs du jeu pour smartphone A Blind Legend (de
Dowino) ont ainsi coécrit le scénario, inventé les affreux de fin de
niveau, enregistré leur voix en studio. Et fait évoluer le projet :
pensé pour les aveugles, ce jeu sans images devrait plaire à tous.
« Nous avons fabriqué une machine à créer de l’optimisme. Pour les
contributeurs, il y a un énorme retour sur investissement émotionnel »,
lance comme un slogan le patron de KissKissBankBank. Il faut entendre
Claudine Lecuyer, 88 dons, au smic, expliquer combien elle « y trouve
son bonheur ». Ou Sébastien Fleureau, Orléanais au RSA, évoquer les «
horizons qui s’ouvrent », le bien-être que donner lui procure.
Certains en deviendraient même « accros ». « J’y passais des heures
chaque jour », raconte Elian Cadis, facteur à La Voulte-sur-Rhône
(Ardèche). Après une séparation qui l’a mené au bord de la déprime, il a
sponsorisé 120 projets – plutôt à coups de 5 que de 40 euros, son smic
en aurait trop pâti. « Ouah, pour si peu, je suis utile, je fais plaisir
! Ça m’a redonné l’envie d’avancer. » Et même de refaire, pour la
première fois depuis son enfance, le voyage jusqu’à Paris. Il y a lui
aussi reçu la médaille du donateur. « Beaucoup plus efficace que les
antidépresseurs. »
Catherine Rollot
Journaliste au Monde
Pascale Krémer
Journaliste au Monde
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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