[Infoligue] Education populaire: un capital social en voie de disparition?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 21 Aou 15:15:26 CEST 2017


Education populaire: un capital social en voie de disparition?

Publié par : 
https://blogs.mediapart.fr/rouby-gilles/blog/180817/education-populaire-un-capital-social-en-voie-de-disparition
Le : 18 août 2017
Auteur : ROUBY GILLES

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Absence d'un ministère de plein exercice, suppression annoncée des 
emplois aidés, recours aux Appels à projet, suppression de subventions 
dans les Ministères comme dans les politiques ciblées (politique de la 
ville, culture... ) ou de la réserve parlementaire... Le modèle de 
société que représentent le monde associatif est en danger. Patrick 
Viveret évoque un «sinistre majeur». Qu'en est-il ?

« Nous sommes en train d’aller vers un sinistre majeur des associations 
parce que elles n’ont plus de véritables financements par subventions 
publiques d’Etat ou de collectivités territoriales, l’essentiel de leurs 
moyens d’accès à leur capacité d’existence est en train d’être menacé. 
C’est tout le « capital social » d’une nation qui est en cause. »

C’est par ces mots que le philosophe Patrick VIVERET [1] interpelle en 
fin de débat Jean-Paul Delevoye lors de l’émission de France Inter « le 
débat de midi » ce jeudi 10 août, dont le thème était « N’y-a-t-il de 
démocratie que locale ? », et dont les invités sont issus d’associations 
de maires. Mais que viennent faire les associations dans ce débat ? 
Invoquer le secteur associatif n’est-il pas déjà une accusation du monde 
politique qui n’a pas su donner une place au débat, au conflit, à la 
prise de parole dans la sphère publique, et dont le modèle de démocratie 
représentative tourne à vide. N’est-ce pas situer le secteur associatif 
au-delà de son rôle d’acteur, et signifier ce qu’il représente dans ce 
combat pour la démocratie et la nécessité de redonner aux habitants 
toute leur place dans la société ? Nous y reviendrons, mais d’abord où 
en est-on en ce début de mandature ?

ABSENCE D’UN MINISTERE DE PLEIN EXERCICE

Pour la première fois depuis 1957, un ministère de plein exercice ne 
fait plus référence à la jeunesse. La vie associative est logée à la 
même enseigne. « Le ministre de l'éducation nationale a autorité sur la 
direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie 
associative». Comment ne pas craindre de voir ces attributions un peu 
noyées dans l'immense champ de compétences du ministre de l’éducation ? 
Les associations auraient pourtant besoin d’un interlocuteur qui incarne 
une volonté politique. La mise en œuvre des relations contractuelles 
Etat-Collectivités-Associations (charte d’engagement réciproque) doit 
être portée politiquement pour trouver une réalité locale, sauf si les 
associations ne sont pensées que comme actrices dans la mise en œuvre 
des politiques publiques. Ainsi  la « transition écologique et solidaire 
» s'occupera désormais de l'ESS ; la « cohésion des territoires » 
portera les politiques territoriales, les discriminations et le 
logement. Culture, sport, enfance-famille-personnes âgées, droit des 
femmes, handicap dépendent également de ministères de plein exercice. La 
vie associative est morcelée, rendant plus difficile son existence 
politique.

EMPLOIS AIDES

La Ministre de l’emploi a été très claire lors de la séance du  9 août à 
l’Assemblée. Les emplois aidés sont un coût pour la nation (2,8 
milliards d’euros pour 293.000 emplois). La raison économique est donc 
celle du plus fort. Et après avoir ouvert en 2008 ces contrats au 
secteur marchand (CIE), il est facile de n’en faire qu’un outil pour 
l’emploi et ne retenir que le caractère économique pour juger de 
l’efficacité du dispositif. Le secteur associatif sera une nouvelle fois 
le grand perdant, et surtout ces milliers d’associations ne s’inscrivant 
pas dans les lois du marché concurrentiel et ne dégageant donc pas de 
ressources propres suffisantes. Calcule-t-on ce qu’apporte la plus-value 
sociale des milliers d’associations qui ont recours aux emplois aidés ? 
A quel budget devra-t-on affecter les conséquences de cette réduction 
d’activités menées grâce aux emplois aidés ? Il ne s’agit pas là 
d’opposer emploi aidé et  emploi qualifié ; le recours à une aide d’Etat 
s’inscrit dans une dynamique d’utilité sociale et les associations 
connaissent trop l’importance de la qualification de leurs salariés, 
notamment ceux intervenant auprès des publics les plus en difficulté, 
pour ne pas lier CAE et formation. Les principaux motifs de la 
difficulté d’embauche à l’issue du contrat tiennent peut-être à d’autres 
raisons : d’une part la diminution constante des engagements pérennes 
des collectivités à travers des conventions pluriannuelles, permettant 
de sécuriser le travail des associations, et d’autre part les 
incertitudes permanentes sur les dispositifs contractuels de subventions 
dans le cadre de politiques ciblées. Et l’absence d’un Ministère dédié 
n’est pas faite pour rassurer les fédérations associatives quant à la 
volonté de l’Etat de porter ce modèle acté dans la Charte d’Engagement 
Réciproque.

APPELS A PROJET OU CONVENTIONS PLURIANNUELLES

Le temps de l’incertitude règne dans le mouvement associatif. Le modèle 
de Fédérations « Tête de Réseau » pour l’animation de politiques 
publiques est mis en cause. On assiste impuissants  au démantèlement des 
politiques mises en places avec un fort désengagement  des conventions 
pluriannuelles liant les collectivités aux associations et à leurs 
fédérations. Ainsi, les MJC qui sont organiquement liées à des 
conventions de mise à disposition entre Commune, Association locale et 
Fédération en sont un exemple criant. Sens, Aubagne, Lons-le-Saulnier, 
plusieurs MJC emblématiques de l’Essonne, de grandes fédérations 
régionales, mais aussi de nombreuses MJC en milieu rural, moins exposées 
médiatiquement, mais toutes victimes du même argument : « ça coûte cher, 
on a moins de budget ». Et derrière ce prétexte, chacun peut entendre « 
vous êtes trop indépendants, on veut reprendre en main un équipement 
municipal … » Michel Guerrin (Le Monde du 16 juin) en fait le constat en 
posant, in fine, cette question : « que fait l’Etat ? » Mais que va-t-il 
faire si la vie associative n’est pensée que comme sectorielle, n’ayant 
pour seule finalité la mise en œuvre d’actions à moindre coût et mises 
en concurrence ? Les associations ont besoin de garanties pour mener un 
projet politique d’éveil et de formation d’individus conscients ! C’est 
le sens de l’éducation populaire.

DOTATION AUX COLLECTIVITES, TAXE D’HABITATION …

Sans entrer dans le détail des réformes territoriales qui segmentent 
l’action publique, transférant les compétences à un niveau territorial 
sans s’assurer ni de leur mise en œuvre réelle, ni de la place assignée 
aux acteurs, et supprimant la clause de compétence générale, la simple 
diminution de la dotation aux collectivités a un effet immédiat sur le 
secteur associatif. L’Association des Maires de France dénonçait en 2015 
une baisse cumulée de 28 milliards. C’est pour les collectivités locales 
la nécessité d’opérer des choix. Les associations sont les premières 
impactées. Il suffit de consulter la cartocrise en matière de 
programmation culturelle pour constater la diminution ou la suppression 
de nombreuses aides, des initiatives locales aux plus gros festivals.  
La catrocrise associative du Collectif des Associations Citoyennes porte 
le même constat. Et l’annonce de la suppression de la Taxe d’Habitation 
ne peut être qu’une crainte supplémentaire pour les associations, les 
communes ne pouvant plus développer une fiscalité propre pour leur 
territoire. Sans mobilisation forte l’action associative, comme la 
culture, risque d’être la variable d’ajustement des budgets des 
collectivités. Ici ou là ce sera les politiques sociales ou culturelles, 
celles de solidarité, ou favorisant le lien social … Ici ou là 
l’entreprenariat social ou  privé répondra aux Appels à Projets, 
construira une offre de consommation, investira dans « l’économie de la 
misère ». Car dans cette logique d’entreprise, des marges même faibles 
restent conséquentes quand elles concernent l’immense majorité de la 
population.

POLITIQUE DE LA VILLE ET TERRITOIRES RURAUX

Comme si ce n’était pas assez, le gouvernement annonce encore 300 
millions de suppression de subventions sur l’exercice en cours, dont 
46,5 millions d'euros de crédits d'État destinés aux contrats de ville 
2017 qui touchent cinq millions d’habitants, comme le dénonce le 
secrétaire général de l’Association des Maires de Ville&Banlieue.  C’est 
ici 10000€ à un centre social, ou là 500€ pour la fête des voisins … Les 
contrats liés à la Politique de la Ville sont déjà en constante 
diminution. Le mécanisme de subventions attribuées annuellement ne 
permet plus de se projeter dans l’avenir… C’est une des raisons de la 
difficulté à pérenniser l’emploi, aidé ou non.

L’Association des Maires Ruraux de France partage la même crainte, 
s’inquiétant de « la fragilité des contrats de ruralité » et dénonçant 
leur aspect médiatique. L’AMRF développe une autre ambition, celle de 
«réintroduire les aides aux associations à vocation sociale ou 
d'éducation populaire dès lors qu'elles exercent dans un domaine 
d'intérêt général. »

RESERVE PARLEMENTAIRE

70% des fonds de la réserve parlementaire globale viennent soutenir des 
projets associatifs sur les territoires (52% pour l’Assemblée Nationale, 
18% pour le Sénat). Peut-être faut-il s’interroger sur le bien-fondé de 
ces subventions que certains dénoncent aujourd’hui, flairant l’air du 
temps, comme clientélistes. Mais il faut surtout s’inquiéter de la 
disparition de ressources indispensables aux associations pour mener à 
bien un projet ponctuel, ou permettant l’acquisition d’un équipement 
nécessaire à son action. Dès lors, sous quelle forme cette économie pour 
l’Etat sera-t-elle compensée pour ses bénéficiaires ? D’autres 
alternatives étaient possibles, comme la répartition de la réserve 
parlementaire dans le cadre d’assemblées citoyennes où chacun pourrait 
exposer son projet, entendre celui des autres, et délibérer sur 
l’attribution d’une aide financière (quand on parle de démocratie 
locale…) ou comme le propose le Mouvement Associatif une réattribution 
au Fonds National de Développement de la Vie Associative.

DES POLITIQUES SECTORIELLES LIEES AUX MINISTERES

Peut-être s’il fallait encore soulever un point, et non des moindre car 
il touche une conception politique de la place des associations dans la 
société, ce serait cette identification de ministères autour de 
spécificités, certes majeurs, mais reléguant les associations à des 
substrats de l’action politique, et renvoyant à chaque Ministère ses 
responsabilités en la matière.

"Les associations féministes interviennent chaque année auprès de 
centaines de milliers de femmes victimes de violences masculines et de 
discriminations. Elles ont des besoins spécifiques d'accès aux droits, à 
l'avortement, d'accompagnement à l'emploi, à l'autonomie, au logement, 
et une prise en charge spécifique en cas de violences (sexuelle, 
physique, psychologique, administrative...)". C’est en ces termes qu’un 
collectif d’associations et d’acteurs agissant pour le droit des femmes 
proteste contre la diminution de 7,5 Millions d’euros, soit 25% du 
budget d’un ministère dont l’appellation résume leur combat à la seule 
notion d’égalité.

  Les associations dans leur ensemble jouent un autre rôle que celui de 
simple acteur. Elles posent une expertise et construisent des réponses 
en suivant le seul fil conducteur du droit. Sur la question complexe de 
l’accueil des populations migrantes, Emmaüs International coordonne un 
appel de plusieurs centaines d’acteurs pour demander la tenue d’une 
conférence nationale associant les acteurs de l’accueil pour construire 
le droit de demain. Dans le cadre de la Cop21, le travail des 
associations agissant pour la sauvegarde de l’environnement est 
essentiel face aux lobbies de l’industrie et de l’énergie. La lutte 
contre l’exclusion, le racisme, s’appuie sur les acteurs associatifs, 
tout comme les personnes les plus démunies trouvent appui auprès des 
associations caritatives. Et que serait une politique des rythmes 
scolaires sans l’expertise des associations complémentaires de l’école, 
leur capacité d’agir et de former ? Réforme aujourd’hui mise en cause 
sans concertation ni évaluation, sans s’inquiéter de l’investissement de 
ces associations ces dernières années, ni du préjudice causé.

LES ASSOCIATIONS UNE RICHESSE POUR LA NATION

Parlons société. Le secteur associatif c’est 1,3 millions 
d’associations, 13 millions de bénévoles et 1,8 millions de salariés. 
Neuf associations sur 10 fonctionnent sans salariés. Selon l’INSEE, le 
volume de travail des bénévoles représente 680.000 emplois à temps 
plein. Dans toutes leurs diversités, les associations incarnent un 
modèle de société qui a structuré la France en profondeur. Voilà ce qui 
est menacé, pour les associations elles-mêmes, mais surtout pour tous 
les bénéficiaires des actions associatives, c'est-à-dire l’ensemble des 
habitants de notre pays.

Parlons économie. Le secteur associatif représente 60 milliards d’euros, 
soir 3,5% du PIB. Selon un sondage CSA de 2009, son intervention dans 
l'aide aux personnes en difficulté (81%) ou dans le maintien et le 
développement du lien social (79%) est essentielle aux yeux de 68% des 
français qui jugent son action efficace, loin devant l’entreprise (49%). 
Ne faut-il pas y voir l’existence d’un marché dans lequel le monde de 
l’entreprise entend bien gagner des parts ? Mais pour cela il faut 
d’abord affaiblir les associations.

Parlons Education populaire. La Ligue de l’Enseignement a été créée en 
1866 par Jean Macé, 15 ans avant les lois Ferry qui rendent 
l’enseignement primaire gratuit et obligatoire. Dans tous les domaines, 
le mouvement associatif d’Education Populaire a institué le droit avant 
qu’il ne soit institutionnalisé. C’est ce moteur qui va être mis  
l’arrêt. La société civile, organisée collectivement au sein 
d’associations et de fédérations, a toujours été en avance sur les 
problèmes de la société.

Les enjeux auxquels nos sociétés ont à faire face sont immenses. Des 
incivilités et leur « sentiment d’insécurité » aux attentats et le « 
débat de civilisation » que certains tentent de promouvoir, il y a un 
gouffre énorme que l’appel à un vivre-ensemble républicain n’arrive pas 
à combler. L’abstention est un des symptômes de cet échec démocratique. 
Le détachement du peuple à l’égard du monde politique, un autre. Et une 
loi de « confiance » n’y suffira pas, surtout si elle n’agit qu’à la 
marge, sans s’attaquer aux causes réelles, celle d’un appareil au 
service de la domination sans partage du Monde. Le dialogue civil existe 
au sein de la vie associative. On s’y rencontre, on y côtoie l’autre, on 
échange ses points de vue, les conflits s’y expriment dans un cadre 
apaisé. On y apprend la société et ses recompositions.

Les associations, et notamment celles comptant parmi les fédérations 
historiques,  portent leur part de responsabilité. Nombreuses 
aujourd’hui ont épousé les formes de la société. Animation 
socioculturelle, projet social, délégations de service public, 
professionnalisation, label qualité… en sacrifiant parfois leur propre 
regard pour répondre à des commandes et s’engager dans des politiques 
définies par le pouvoir politique. Beaucoup ont renoncé à agir sur la 
société pour être actrices de sa transformation. Lorsque les 
associations contribuent à offrir des services pour lesquels elles ont 
de moins en moins de moyens, à s’inscrire dans une « démarche qualité », 
à accepter la marchandisation de leur secteur par la mise en place de « 
Contrats à Impact Social » et la complexification des procédures qui 
capte le temps des professionnels et éloigne les bénévoles de la prise 
de responsabilités, elles en portent une part de responsabilité car ce 
faisant elles renoncent elles-mêmes à l’action citoyenne.

A l’opposé il est temps de se relever. Les associations, dans leur 
diversité, représentent à la fois un modèle pour la société et 
constituent la société elle-même. Un modèle qu’ensemble elles peuvent et 
doivent revendiquer.



[1] Fondateur de l’observatoire de la décision publique et du Collectif 
Roosevelt 2012 ; co-auteur notamment de l’ouvrage collectif « « pour un 
nouvel imaginaire politique » (Fayard 2006)



par Gilles Rouby

Militant de l’Education populaire

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