[Infoligue] Former le citoyen en 2040 ? : La notion d’esprit critique, plus importante que jamais

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 19 Juin 17:05:03 CEST 2017


La notion d’esprit critique, plus importante que jamais

Publié par : Ligue de l'enseignement
Le :  19/06/17

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La notion d’esprit critique, plus importante que jamais

*La Ligue de l’enseignement se lance dans une démarche de prospective 
autour du sujet : « Former le citoyen en 2040 ? » L’objectif est 
d’imaginer des futurs possibles (et souhaitables) pour interroger nos 
actions d’aujourd’hui et de demain. François Taddéi, chercheur, 
biologiste et directeur du CRI (Centre de recherches 
interdisciplinaires) a accepté de se plier à l’exercice.*

*Les Idées en mouvement : Quelles sont les évolutions à venir, celles 
qui vous paraissent fortement probables, dans le monde des technologies ?*
*François Taddéi :* Les tendances lourdes qui nous sont annoncées sont 
que la robotique, l’intelligence artificielle et le numérique vont 
continuer leur développement exponentiel. Certains parlent de la fin du 
travail, de la supériorité de l’intelligence de la machine sur l’Homme, 
d’autres pensent que nous serons directement interfacés avec le Web par 
le biais d’électrodes. Il existe de multiples scénarios possibles, plus 
ou moins intéressants et plus ou moins souhaitables. Ce qui me paraît 
assez sûr, c’est que plus les machines seront puissantes, plus il faudra 
travailler sur ce qui fera le propre de l’Homme. Si les machines, 
l’intelligence artificielle, le big data sont plutôt capables de 
prolonger les tendances, ils ne peuvent, en revanche, ni penser les 
ruptures, ni donner du sens. Selon Bill Gates, on surestime l’impact du 
digital à court terme, et on le sous-estime à long terme. Finalement, la 
question principale est quelles sont les technologies acceptables pour 
les humains, quelle sont celles auxquelles on a envie de contribuer ? 
Ces technologies nous sont-elles imposées ? Ou peut-on être des auteurs 
et des acteurs du développement de celles-ci ? Ces technologies 
sont-elles open source et ouvertes afin que tout le monde puisse se les 
approprier ou sont-elles propriétaires et fermées ? Ce sont des vrais 
choix de société : être simplement des consommateurs ou des acteurs et 
des auteurs du futur.

*Face à ces choix de société, la place de la formation des jeunes est 
interrogée…*
La formation des formateurs est clé car les jeunes que l’on forme 
aujourd’hui formeront la prochaine génération en 2040. Entre 2017 et 
2040, le besoin est de former des formateurs encore plus ouverts que la 
moyenne des gens : des chercheurs de solutions, des acteurs du 
changement, des citoyens engagés, des personnes capables de s’approprier 
ces nouvelles technologies. Et tout cela, en plus de choses plus 
traditionnelles comme l’accompagnement bienveillant des jeunes, la 
gestion des conflits au sein d’un collectif, etc. La compréhension des 
dynamiques du changement est fondamentale. Elles viennent de la 
technologie, de la recherche et de la formation. Le formateur doit être 
chercheur, comprendre et s’approprier les technologies, contribuer à en 
produire ou savoir quand les couper, c’est-à-dire avoir un regard 
critique. Les formateurs, ce sont l’ensemble des gens qui ont la 
responsabilité de l’accompagnement des jeunes : enseignants, animateurs 
périscolaires, parents…

*Avec le numérique, et le flux continu et massif des informations, il y 
a une certaine remise en question de la place du « sachant » mais aussi 
du statut même du savoir. Ce qui pose, en creux, la question de la 
légitimité…*
Traditionnellement, les personnes légitimes sont issues de la génération 
d’avant et/ou sont celles possédant des diplômes. Dans un monde où il y 
a une accélération de la production de connaissances et une 
démocratisation de l’accès, on s’interroge toujours davantage sur cette 
légitimité. Aujourd’hui, ce qui fait autorité peut ne plus être 
l’autorité hiérarchique d’hier. Le mot de Michel Serres, qui revient à 
l’étymologie du mot « autorité » – ce qui augmente, ce qui fait grandir 
– est probablement intéressant. Demain, nous serons, je pense, tous des 
citoyens actifs et engagés ; des acteurs et des auteurs ; des chercheurs 
et des personnes capables de questionner l’existant et de créer des 
solutions pertinentes à des problèmes qui nous toucheront en montant des 
collectifs qui auront s’auto-organiser. Cela peut sembler utopique mais 
en réalité il existe pleins de signes avant-coureurs de ce genre de 
choses aux quatre coins de la planète : des projets de sciences 
citoyennes, d’open source comme Wikipédia. Il faut cependant faire 
attention à la bêtise collective. Il existe des tas de bulles 
informationnelles dans lesquelles on peut s’enfermer. Sur Internet, on 
trouve le meilleur comme le pire. La notion d’esprit critique devient 
alors plus importante que jamais.

*Comment former à cet esprit critique ?*
Nous avons des biais cognitifs, des biais sociaux et des biais liés aux 
technologies. Ces trois types de biais, si nous n’en avons pas 
conscience, peuvent se renforcer et donner des choses très négatives 
(élire un président qui professe de fausses vérités). Parmi les biais 
cognitifs, citons ceux dits de confirmation : quand nous croyons 
intuitivement à quelque chose, nous cherchons des informations qui 
confortent notre pensée : « Il ne fait pas plus chaud qu’hier, nous 
cherchons des informations, nous tombons sur les sites 
climato-sceptiques, qui nous confortent et nous nous convainquons qu’il 
n’y a pas de réchauffement climatique. » Il a été montré que ce n’est 
pas tant le nombre d’années d’études scientifiques que l’on suit qui 
protège contre le fait de devenir climato-sceptiques ou créationnistes, 
c’est la curiosité. Et la capacité, quand on est curieux, à aller 
chercher l’information qui nous surprend et à changer de perspective. 
C’est là que la formation des formateurs est clé. Dans le monde 
éducatif, il y a aujourd’hui des enseignants qui invitent leurs élèves à 
comprendre la théorie du complot, à chercher en quoi elles sont 
manipulatoires. Et quand les élèves ont bien compris le mécanisme, ils 
élaborent eux-mêmes une théorie du complot pour montrer à quel point 
cela est facile de manipuler les autres (lire l’article p. 13). Cette 
capacité à développer un esprit critique face aux pubs, à certains 
discours politiques est extrêmement important. Le rôle des éducateurs 
s’en trouve renforcé… Les éducateurs seront plus nécessaires encore mais 
leur mission principale ne sera pas forcément la même. Pour faire 
simple, hier, leur mission consistait à transmettre des connaissances. 
Demain, il s’agira de transmettre des valeurs mais aussi une 
méthodologie, un esprit critique, une capacité à douter, à questionner 
l’existant, à aider les jeunes à se connaître eux-mêmes : être des 
mentors, comme dans l’Antiquité. Ce n’est pas si nouveau mais du temps 
de Socrate, cela s’est mal terminé. Un mentorat bienveillant, ce n’est 
pas tout connaître ni imposer ses solutions, c’est accompagner le jeune 
dans ses explorations.

*Quels sont les enjeux pour un mouvement d’éducation populaire comme la 
Ligue ?*
Quand on a une histoire longue, on peut s’interroger sur le présent pour 
mieux se projeter dans l’avenir. La Ligue, qui a une des plus belles 
histoires du monde associatif et éducatif, a su se réinventer. Si elle 
s’interroge aujourd’hui sur ses valeurs fondamentales, son message et sa 
contribution au futur, alors, elle a de belles années devant elle. Mais 
ce sont aux acteurs de la Ligue de répondre à ces questions. 
S’interroger sur comment s’incarnent ces valeurs, ce n’est pas se 
questionner sur ce qu’on faisait hier ni même aujourd’hui mais sur ce 
qu’on faisait il y a un siècle, quand on avait repéré un besoin dans la 
société, pour l’ensemble de la population, des jeunes… Aujourd’hui, la 
notion de citoyenneté doit être pensée à une échelle globale. Le rôle de 
la Ligue, qui est d’accompagner les citoyens dans leur émancipation, 
doit s’interroger sur les échelles de son action, sur les manières dont 
elle va former le citoyen du XXIe siècle et sur comment mettre les 
jeunes au coeur de ce questionnement, en co-construisant avec eux le 
monde de demain.

Propos recueillis par Ariane Ioannides

(Interview publiée dans /Les Idées en mouvement/ n° 232 – été 2017)



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