[Infoligue] Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement : une histoire politique (1866-2016)

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 26 Juin 08:22:59 CEST 2017



Fin d’un modèle associatif laïque


Publié par : 
http://www.laviedesidees.fr/Fin-d-un-modele-associatif-laic.html
Le : 22/06/17

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À propos de : Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement : une 
histoire politique (1866-2016), PUR
par Chloé Gaboriaux , le 22 juin




La Ligue de l’enseignement fête ses 150 ans. À cette occasion, Jean-Paul 
Martin retrace les mutations qui ont affecté son mode d’organisation, 
son rapport à l’État et son combat laïque. L’historien invite, ce 
faisant, à réfléchir sur le rôle de la société civile en France.
Recensé : Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement : une histoire 
politique (1866-2016), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 
605 p., 29 €.

Le livre que Jean-Paul Martin signe ici, avec la collaboration de 
Frédéric Chateigner et Joël Roman, répond à une commande des dirigeants 
de la Ligue de l’enseignement, soucieux d’offrir au public un ouvrage de 
référence sur leur mouvement. Qui mieux que J. P. Martin pouvait en 
effet retracer l’histoire longue et complexe de cette nébuleuse 
associative ? Fin connaisseur de la Ligue, à laquelle il a consacré un 
doctorat et dont il est par ailleurs l’un des compagnons de route, 
Jean-Paul Martin a eu carte blanche, à condition de publier les 
résultats de son enquête en trois ans, pour les 150 ans de l’association.

L’auteur souligne dès l’introduction combien le délai imposé fut pour 
lui contraignant. Il lui interdisait notamment la consultation des 
archives « de Moscou » (57 cartons), restituées par la Russie en 2000 et 
confiées par la Ligue aux Archives nationales en 2014, le conduisant à 
s’appuyer essentiellement sur la documentation rassemblée à l’occasion 
de sa thèse, les publications du mouvement et les recherches existantes, 
généralement centrées sur des périodes restreintes.

Il en résulte un livre dense, parfois aussi touffu que l’enchevêtrement 
des réseaux de la Ligue, qui met surtout l’accent sur l’histoire 
politique du mouvement. La structure de l’ouvrage, chronologique dans 
ses grandes lignes, permet de suivre finement les évolutions de la Ligue 
selon trois perspectives, dont l’articulation est régulièrement mise en 
valeur par des chapitres plus thématiques : la laïcité, le rapport à 
l’État, la fonction politique de l’association.

La genèse du « modèle associatif laïque »

La première partie décrit les débuts de la Ligue de l’enseignement « des 
origines à 1914 ». Jean Macé en a l’initiative en 1866, autour d’une 
cause en apparence restreinte mais fondamentalement politique : pour cet 
adversaire du Second Empire, la diffusion de l’instruction doit en effet 
déboucher sur une société enfin prête à s’émanciper. L’organisation de 
la Ligue est alors relativement lâche : elle est surtout le moyen 
d’encourager et de rassembler sous un label commun des initiatives 
diverses – bibliothèques, conférences, groupes de lecture – que le 
cercle parisien tend peu à peu à fédérer.

Les premiers pas de la Ligue semblent ainsi s’inscrire dans la 
reconquête silencieuse du pays, bien décrite par Philip Nord ([1995], 
2013) : en deçà des quelques succès électoraux des années 1860, qui 
constituent pour ainsi dire la partie émergée de l’iceberg, les 
opposants libéraux, républicains ou socialistes font vivre une société 
civile dont le soutien se révèle ensuite crucial dans la proclamation et 
l’enracinement de la République.

C’est alors surtout que la laïcité devient le mot d’ordre de la Ligue, 
au moment où l’instauration de la République suscite la résistance du 
monde catholique. En réaction, dans l’un de ces mouvements de balancier 
dont l’histoire politique française est coutumière, les républicains 
raidissent leurs positions. La Ligue de l’enseignement n’est pas 
épargnée : le relatif pluralisme religieux et politique de ses cercles 
disparaît au profit d’un combat laïque de plus en plus marqué à gauche.

Elle adopte ainsi une position où Jean-Paul Martin voit le fondement du 
« modèle associatif laïque ». Ce dernier valorise l’engagement public de 
structures privées à condition qu’elles adhèrent à un projet civique 
dont la définition est aussi étroite qu’implicite : républicain et 
rationaliste, ce qui implique à la fois coopération des œuvres laïques 
avec l’État et exclusion des œuvres confessionnelles hors de la sphère 
publique.

La culture civique à la française

L’Union sacrée, suscitée par la guerre et prolongée dans le Bloc 
national jusqu’en 1924, ne remet que provisoirement en cause le 
militantisme de la Ligue. Dans une deuxième partie, Jean-Paul Martin 
décrit sa montée en puissance, des années 1920 à 1960. Réorganisée à la 
fin des années 1920 en Confédération générale des œuvres laïques, elle 
devient la tête de pont d’un maillage serré d’associations, elles-mêmes 
structurées à la fois localement par les Fédérations des œuvres laïques, 
départementales, et verticalement par les Unions françaises des œuvres 
laïques, thématiques. Les instituteurs s’y impliquent désormais 
massivement, contribuant à faire vivre en dehors et au delà de l’école 
une citoyenneté républicaine qui conjugue loisir éclairé et engagement 
laïque.

À l’exception de la période vichyste, qui tente de lui substituer une 
organisation corporatiste, le mouvement est largement soutenu par l’État 
enseignant, qui met à sa disposition subventions et personnels, délègue 
des missions de service public à ses œuvres, implique ses dirigeants 
dans les commissions et conseils où se décide la politique scolaire et 
périscolaire. C’est l’apogée du modèle associatif laïque, qui voit la 
Ligue contribuer à la définition et à la réalisation de l’intérêt 
général aux côtés de l’État, qu’elle veut seconder mais aussi 
influencer, à la manière d’un groupe de pression.

À ses yeux, la République est en effet bien plus qu’un type de régime 
politique, bien plus qu’un mode de gouvernement : c’est une société tout 
entière mobilisée pour défendre ses valeurs émancipatrices, au premier 
rang desquelles la laïcité, alors indissociable du rationalisme et de 
l’anticléricalisme.

De la reconquête à la refondation

La troisième et dernière partie rend compte des efforts d’adaptation de 
la Ligue de l’enseignement à la nouvelle donne politique, sociale et 
culturelle inaugurée dans les années 1960. La loi Debré sur les 
relations entre l’État et l’enseignement privé, qu’elle a vigoureusement 
combattue, fragilise les liens privilégiés entretenus jusqu’ici avec le 
ministère de l’éducation nationale. Dans ce domaine, les défis auxquels 
elle doit alors faire face étaient en réalité en germe dès la 
Libération. La mise en place de l’État-providence s’accompagne en effet 
d’une segmentation des politiques publiques relatives à l’éducation. Le 
ministère de l’éducation nationale comme la Ligue voient ainsi leur 
échapper un certain nombre de secteurs, la jeunesse, le sport, la 
culture, le tourisme, etc., désormais pris en charge par des directions 
qui n’hésitent pas à faire appel aux représentants des associations 
confessionnelles.

Mais la Ligue est aussi confrontée à des évolutions affectant les 
conditions mêmes de son succès. L’urbanisation tend à modifier 
profondément la sociabilité souvent rurale dans laquelle s’inséraient 
les associations du mouvement. Le foisonnement associatif du moment, qui 
vient les concurrencer, va de pair avec une mutation de l’engagement 
civique, dont Jacques Ion (1997) a montré comment il se faisait peu à 
peu plus restreint dans ses causes et dans son implication, plus rétif 
aussi aux hiérarchies organisationnelles. Les activités de loisirs 
connaissent en outre un mouvement de professionnalisation, qui entre en 
contradiction avec la logique militante de la Ligue.

Jean-Paul Martin explique comment, peu à peu, non sans difficulté, la 
Ligue est conduite à l’aggiornamento. Restructurée en 1967, date à 
laquelle elle change à nouveau de nom, la Ligue française de 
l’enseignement et de l’éducation permanente croit un temps à la 
reconquête laïque, que le programme commun de la gauche puis la victoire 
de François Mitterrand à la présidence de la République semblent rendre 
possible. Mais le retrait du projet Savary, qui aurait conduit à 
l’intégration de l’enseignement privé au sein d’un grand service public 
d’éducation, impose au mouvement un travail de refondation, dont 
l’ampleur surprend. Convertie au pluralisme, y compris lorsqu’il 
implique qu’elle renonce à son rapport privilégié à l’État au profit 
d’autres associations, elle défend désormais une laïcité humaniste, qui 
valorise la vitalité de la société civile tout en s’inscrivant dans un 
républicanisme renouvelé, plus critique à l’égard du néo-libéralisme que 
de la religion. Elle s’affirme ainsi comme un espace de débats et de 
réflexion, peu à peu recentré sur l’école qu’elle souhaite voir plus 
attentive au développement de l’enfant et plus ouverte à la diversité 
culturelle.

Un modèle pour la République ?

Comme le souligne Jean-Paul Martin en introduction, l’histoire de la 
Ligue ‒ résumée ici trop rapidement ‒, est aussi un point d’entrée 
stimulant pour saisir une certaine culture politique française, celle 
qu’elle cherche à forger chez ses adhérents (jusqu’à 47 000 associations 
et 3,5 millions de membres en 1982, à l’apogée du mouvement), celle 
qu’elle impose dans une certaine mesure à l’État enseignant, du moins 
sous la Troisième République où la collaboration avec l’administration 
est souvent très étroite. Mais adopter le point de vue de la Ligue ne 
conduit-il pas à surestimer la puissance de ce modèle associatif laïque 
? Vigoureusement soutenu par la Ligue, ce dernier permet-il pour autant 
de décrire les relations que l’État entretient effectivement avec les 
associations ?

Les travaux consacrés à la nébuleuse réformatrice des débuts de la 
Troisième République (Topalov dir., 1999) suggèrent une réponse nuancée. 
Aux heures les plus anticléricales du régime, scandées par la loi 1901 
ou la mise en œuvre de la loi 1905, l’État ne ferme pas la porte aux 
initiatives privées, qu’elles soient laïques ou confessionnelles. En 
matière de politique pénale, d’assistance aux indigents, malades ou 
vieillards, de protection de l’enfance, etc., on le voit au contraire 
s’appuyer sur un réseau associatif multiforme, qui fait la part belle à 
ceux qui, parmi les vaincus d’hier, ont renoncé à l’engagement politique 
au profit de la philanthropie. Présents dans les conseils et commissions 
où se fabriquent les lois, assidus dans les congrès nationaux et 
internationaux qui en définissent les enjeux, ils contredisent largement 
l’idée d’une co-construction de l’intérêt général réservée aux 
associations laïques.

Même après l’instauration de la loi 1901, dont la Ligue a contribué à 
faire un instrument du combat laïque, le Conseil d’État fait en outre 
preuve d’une certaine réticence à l’égard des associations rationalistes 
trop militantes, qui obtiennent rarement la reconnaissance d’utilité 
publique. La Ligue de l’enseignement doit elle-même attendre 1930 pour 
décrocher le précieux sésame ! La quasi-cogestion mise en place avec le 
ministère de l’instruction publique, qui prend alors le nom de ministère 
de l’éducation nationale, n’est donc pas généralisable à tous les 
services de l’État et nous renseigne davantage sur les rapports de la 
République à l’éducation plutôt qu’à la société civile dans son ensemble.

La fin du modèle associatif laïque renvoie donc sans doute moins à une 
mutation du rapport de l’État aux associations confessionnelles, qui ont 
toujours su peu ou prou en tirer des ressources et en infléchir la 
marche, qu’à une transformation profonde de la culture laïque, dont 
Jean-Paul Martin montre avec finesse combien elle a pesé et pèse encore 
sur les recompositions de la laïcité dans le débat public.


Aller plus loin

- Jacques Ion, La Fin des militants ?, Paris, Les éditions de l’Atelier, 
1997.
- Philip Nord, Le Moment républicain. Combats pour la démocratie dans la 
France du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2013 (édition originale en 
anglais 1995).
- Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse 
réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de 
l’EHESS, 1999.
Pour citer cet article :

Chloé Gaboriaux, « Fin d’un modèle associatif laïque », La Vie des idées 
, 22 juin 2017. ISSN : 2105-3030. URL : 
http://www.laviedesidees.fr/Fin-d-un-modele-associatif-laic.html

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Denis Lebioda
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