[Infoligue] L’art de donner envie de lire

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 8 Sep 12:42:38 CEST 2017


L’art de donner envie de lire

Cette année encore, 18 000 bénévoles vont intervenir pendant les heures 
de classe pour donner le goût de la lecture à des élèves du primaire en 
leur lisant des livres, raconte dans sa chronique, Michel Guerrin, 
rédacteur en chef au « Monde ».

Publié par : LE MONDE
Le : 08.09.2017

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CHRONIQUE. La rentrée des classes a été pimentée par une pe­tite 
polémique dont le mon­de éducatif raffole : quelle est la meilleure 
méthode pour apprendre à lire ? Cette question permet d’en occulter une 
autre, plus épineuse : comment donner aux enfants envie de lire ? Car la 
lecture est en chute libre chez les jeunes. Ouvrir un roman les ennuie. 
Ça ne leur vient même pas à ­l’esprit.

Un constat dit l’étendue du problème : le livre est vécu comme un pur 
bonheur en maternelle, un objet toléré en classe élémentaire et un 
instrument de torture au collège. Parce qu’il se résume au manuel 
scolaire, à la contrainte. Ce qui se perd en route, c’est le plaisir. Or 
comme le dit l’écrivain François Bégaudeau, « Toute connaissance non 
désirée est aussitôt oubliée ».

« Il faut lire le livre jusqu’à ce que l’enfant s’en empare et vous dise 
: “c’est moi qui le finis.” »

On pense à ce que nous a confié un retraité de 78 ans : « Dire à un 
gamin, “vas-y, lis”, c’est con, car ça ne va pas de soi. » Il explique : 
« Pour qu’il aime la lecture, il faut lui lire des livres quand il est 
petit. Et continuer même quand il sait lire. Jusqu’au moment où il n’en 
peut plus, s’empare du livre et vous dit : “C’est moi qui le finis.” » 
Ce retraité s’appelle Maurice Guerrin. C’est un bénévole, qui, toute 
l’année scolaire, lit des livres pendant une heure chaque semaine à des 
élèves de l’école primaire Jules-Ferry, à Nice. Maurice est mon ­oncle – 
qu’on nous pardonne ce témoignage familial.

Un auditoire de douze enfants

Maurice a choisi d’intervenir dans une école d’un quartier populaire, 
avec beaucoup d’enfants d’origine étrangère, dont la quasi-totalité ne 
lit pas de livres, parce que les parents ne lisent pas non plus, sont 
parfois illettrés, n’ont pas de livres à la maison – « C’est dans ce 
mi­lieu que je suis le plus utile. » Son heure de lecture est prise sur 
le temps scolaire, elle est donc obligatoire, mais placée en fin de 
journée, quand les élèves sont moins attentifs – les heu­res de grand 
éveil étant réservées logiquement aux enseignants.

En début d’année, quand Maurice découvre son auditoire de douze enfants, 
il fixe les règles. Il se présente, dit son âge – « Oh, t’es vieux ! » A 
ceux qui veulent l’appeler maître, il répond qu’on n’est pas en classe 
(du reste, il officie dans la bibliothèque), qu’il n’est pas là pour 
enseigner, même s’il pense leur apprendre beaucoup de choses. Il ajoute 
qu’il ne rend de comptes à personne pour le déroulement de ses séances. 
Il est juste là pour faire découvrir des livres et donner du plaisir, ce 
qui est beaucoup. « Souvent, ils ou­vrent des yeux tous ronds. On ne 
leur a jamais parlé comme ça. »

Le récit, le suspense et l’intonation sont les alliés du conteur pour 
captiver les enfants.

Des bénévoles affectionnent les gamins de maternelle. Maurice préfère 
les 8 à 10 ans, afin de choisir des romans plus élaborés. Qu’il leur 
montre d’abord. Les Contes du chat perché, de Marcel Aymé, L’Œil du 
loup, de Daniel Pennac, les Contes pour enfants pas sages, de Jacques 
Prévert, et des adaptations de la guerre de Troie, d’Homère ou du mythe 
grec des douze travaux d’Hercule… Ce sont des versions pour enfants, « 
mais bien écrites ». Et puis, avant de commencer, il prévient : « Vous 
me posez une question quand vous voulez. »

La première fois, Maurice s’est assis comme Jésus parmi les ­apôtres. « 
Ce fut un désastre. » Ça chahutait sec et il ne voyait rien. Alors il 
s’est mis debout, devant une grande table avec les enfants autour. Les 
plus turbulents, il les installe près de lui. Parfois, il pousse un coup 
de gueule. C’est un défi de rester concentré une heure durant. Mais ça 
se travaille. Son allié, c’est le récit, le suspense. L’intonation 
aussi, prendre son temps, donner envie aux gosses de connaître la suite 
de l’histoire.

De grands écarts culturels

Il y a l’enfant qui boit ses paroles, et l’autre qui montre qu’il s’en 
fiche. Maurice fait comme si de rien n’était. L’écoute finit par 
s’im­poser. « Il y a pourtant beaucoup de personnages dans la 
mythologie, avec des histoires enchevêtrées, mais ils suivent. La 
­vio­lence, les massacres, ça passe très bien. Et puis ils sont 
crédules. L’Olympe, les dieux ne posent aucun problème. Ils sont 
habitués avec Dark Vador. » Enfin, ce constat : « Quand j’ai fini un 
livre, je vois à leur tête qu’ils sont déçus. Comme une fatalité. »

Quand il raconte l’histoire du cheval de Troie, Maurice sent que ce 
cheval en bois avec des soldats cachés à l’intérieur ne dit rien aux 
enfants, alors il leur fait un dessin. Même chose pour Les Contes du 
chat perché. « Je lis et dessine ce que je raconte. »

Certaines situations sont délicates. Raconter que Zeus se fait passer 
pour Amphitryon pour faire un enfant (Hercule) à la reine Alcmène « est 
une situation un peu compliquée à faire accepter, surtout aux enfants 
musulmans ». Quand un mot est ardu, il lance : « Vous comprenez ? » Ce 
sont toujours les mêmes qui répondent. « C’est là qu’on voit des écarts 
­culturels terribles d’un enfant à l’autre. La lecture est le révélateur 
des milieux familiaux. »

« L’histoire, elle était trop bien »

Et puis il y a quelques surprises. « Je racontais l’enlèvement d’Hélène, 
au début de l’histoire de la guerre de Troie, qui dure quand même dix 
ans. Mais Hélène, on l’oublie un peu. Quand je suis arrivé à la fin de 
l’histoire, après plusieurs séances, un gamin dont j’étais persuadé 
qu’il n’écoutait pas, m’a interpellé : “Monsieur, et la meuf, qu’est-ce 
qu’elle est devenue ?” »

Maurice se souvient d’un autre élève dont il était persuadé que ses 
histoires ne l’intéressaient pas. Jusqu’au moment où il croise son père 
: « Mon fils me répète tout ce que vous lui lisez. » Il évoque aussi ce 
môme qui, une fois le livre fini, va le revoir dans la cour, lui prend 
la main et lui lance : « L’histoire, elle était trop bien. »

Des Maurice, il y en a 18 000 en France – qui sont à 80 % des femmes. 
Ils et elles font partie de l’association Lire et faire lire, créée en 
1999 par le romancier Alexandre Jardin et Pascal Guénée. Ils lisent à un 
peu moins de 10 % des élèves de la maternelle à la 6e. C’est faible. Le 
ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a dit récemment qu’il 
voulait intensifier cette initiative. C’est une excellente idée.

En savoir plus sur 
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/08/l-art-de-donner-envie-de-lire_5182803_3232.html#o8QgHQ2cCqWQxo6l.99

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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