[Infoligue] Avoir 20 ans en 2018 : le militantisme, oui, mais 2.0
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 26 Mar 09:02:00 CEST 2018
Avoir 20 ans en 2018 : le militantisme, oui, mais 2.0
Avoir 20 ans en 2018 (1/5). Cinquante ans après Mai 68, « Le Monde »
consacre une série d’articles aux jeunes d’aujourd’hui. Premier volet :
leur rapport à l’engagement.
Publié par : LE MONDE
Le : 26.03.2018
Par Charlotte Herzog et Jean-Baptiste de Montvalon
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Militer. L’étymologie miles (« soldat ») subsiste, mais l’ardeur
militaire (militare, « être soldat »), elle, est passée de mode. La
marche forcée, l’embrigadement, l’encadrement ne collent pas avec
l’individualisme en vogue. Le militantisme, lui, n’est pas mort. Il a
juste fait sa mue. Les formes d’engagements ont été revues, la jeunesse
s’est affranchie de la tradition, et milite à sa façon.
« A ceux qui pensent qu’il n’a plus de sens, je rétorque qu’au
contraire, le militantisme pour un autre monde n’a jamais été autant
d’actualité. Nous devons nous engager et ne pas laisser les autres
décider de notre avenir sans nous bouger. » Léonard, 23 ans, ne
supportait plus « de [s] e sentir impuissant ». « Réveiller la flamme de
l’engagement » est un désir largement partagé par la jeunesse française.
Demander « si les jeunes ont encore des idées qui leur tiennent à cœur »
courrouce Pauline, 22 ans, militante en faveur d’une « meilleure
transparence du débat politique ». Dans ce monde « trop souvent sourd à
la parole des jeunes », Gratien, étudiant lillois, ne se reconnaît pas.
D’après une enquête du Credoc menée entre 2015 et 2016 auprès de 4 000
jeunes âgés de 18 à 30 ans, près de la moitié (47 %) des jeunes estiment
que leur avis ne compte « plutôt pas ».
Il y a cinquante ans, de part et d’autre des barricades de Mai, on
agissait sous des bannières florissantes qui rassemblaient et
unifiaient. Les drapeaux étaient multiples, les groupes parfois
groupusculaires, mais le collectif était la norme ; le débat interne –
interminable, empoignades comprises – était l’usage. C’était le cas en
particulier au Parti communiste, où l’adhésion – sous toutes ses formes
– valait parfois pour une vie entière. Depuis plusieurs années, les
partis politiques subissent de plein fouet la crise de défiance que
connaissent les différents rouages de la démocratie représentative, et
enregistrent une hémorragie de militants. Pour la contenir, ils
instaurent des procédures pour le moins souples, où un simple clic vaut
adhésion. « Aujourd’hui, lorsque les jeunes se mobilisent, c’est en
décalage par rapport à la politique institutionnelle, partisane et
gouvernementale. Le moteur de l’engagement, c’est la cause, pas
l’affiliation », explique Anne Muxel, directrice de recherches au Centre
de recherches politiques de Sciences Po, auteure de nombreuses études
sur le rapport des jeunes à la politique.
Dépolitisés mais hyperconnectés, les jeunes sont loin de se
désintéresser de la vie en société. Ils se sentent concernés, protestent
et manifestent. Depuis les attentats du 13 novembre 2015, près d’un
jeune sur deux considère que ses libertés se sont réduites. Toutes
celles et ceux qui ont répondu à l’appel à témoignages lancé sur
Lemonde.fr expriment, chacun à leur façon, un même refus : celui de «
rester les bras croisés ». Ils et elles ont fait le « choix de
l’insoumission », souhaitent « défendre leurs idées », reprendre la
liberté d’expression « à ceux qui ont le pouvoir et qui se l’accaparent
», « dénoncer l’absurdité et les actes graves », « lutter contre les
injustices ».
« Grand bricolage idéologique »
Dans le contexte actuel « de harcèlement et d’attentats », les jeunes
comme Sonia, 22 ans, sentent en eux « l’expression d’un sentiment d’une
plus grande solidarité ». Ils considèrent que parler « d’amour et de
partage, de bonheur et de solidarité » est « très sérieux ». Gratien,
l’étudiant lillois, n’hésite pas à citer Gandhi (« Sois le changement
que tu veux voir dans le monde ») quand il s’agit de « raviver [son]
esprit de révolte et d’indignation ». Ils refusent « les fausses
promesses » et « la poudre aux yeux » et veulent se battre pour un «
avenir en commun », pour ce qu’ils pensent « être juste ». Alors, ils
s’activent. Dans l’écologie, le sport, le féminisme, la lutte contre les
discriminations, la solidarité, la paix dans le monde, l’éducation, la
santé, entre autres. La politique, aussi.
C’est vrai, les jeunes ne s’engagent plus pour la vie jusqu’à la mort.
Ils n’ont pas l’intention de s’inscrire dans l’Histoire, mais parient
sur le concret. L’efficacité d’un engagement ponctuel pour des causes
spécifiques. Déjà, dans les années 1990, le sociologue Jacques Ion
qualifiait cette forme d’engagement de « Post-it ». Qu’on colle et qu’on
décolle, avec un « moindre souci d’implantation durable et massive ».
Une posture bien distancée des engagements sacrificiels de Mai 68, comme
il y en eut chez les marxistes ou les trotskistes, par exemple.
« L’engagement est aujourd’hui désidéologisé. Il refuse tout leadership
» Anne Muxel, directrice de recherches au Centre de recherches
politiques de Sciences Po
Là, maintenant, tout de suite. Il faut « marquer le coup ». Avec
ferveur, faire plier un gouvernement. Avant l’heure, empêcher une
réforme de passer. Mais à la faveur d’une « porte de sortie », d’un «
libre arbitre » préservé, d’une « réversibilité » possible, comme le
souligne Anne Muxel. Un jour, ils descendent dans la rue pour « gueuler
» ce en quoi ils croient. Ils boycottent, occupent ou font grève, par
solidarité. Un autre jour, ils se sentent « manipulés », « récupérés »,
« invisibles », ou « dégoûtés », et jurent alors que « finalement, ça ne
sert à rien ». Et le lendemain, ils protestent à nouveau. C’est selon
leur humeur, leurs besoins. La révolte du moment et les rêves environnants.
Si certains ingrédients d’antan restent utilisés, comme en témoigne le
porte-à-porte (à grande échelle) des campagnes de Barack Obama aux
Etats-Unis ou d’Emmanuel Macron en France, l’essentiel a changé. «
L’engagement est aujourd’hui désidéologisé. Il refuse tout leadership »,
poursuit Anne Muxel. Elle évoque l’exemple du mouvement Nuit debout, qui
portait « beaucoup d’aspirations différentes », s’est refusé à désigner
un chef de file et a buté sur la question de son débouché politique. «
On vit dans un très grand bricolage idéologique », estime Mme Muxel.
Selon la chercheuse, les jeunes les plus actifs ne représentent que 1 à
2 % de leur classe d’âge. Mais le volontarisme et l’engagement dépassent
de loin cette frange marginale :
« Les jeunes ne sont ni endormis ni apathiques. L’individualisation
du rapport à la politique ne signifie nullement qu’ils n’ont pas un sens
du collectif. »
« Génération réseaux sociaux »
Tous les moyens sont bons. Mathieu, 25 ans, est auteur, comédien et
metteur en scène. Par le biais de l’art et de la fiction, il entend
passer des « messages efficaces par en dessous ». C’est ainsi qu’il
conçoit l’art, son « engagement à [lui] » : « Défendre des causes et des
points de vue en étant sincère sans jamais être moralisateur ». Arnaud,
19 ans, étudiant lyonnais, croit aussi « au très grand pouvoir de
militantisme de la culture libre et gratuite sur Internet et sur
YouTube. L’essor de la communication laisse place à un militantisme
culturel “soft” mais bel et bien influent ».
Le manque de temps serait le premier frein à l’engagement des jeunes,
comme en témoigne l’enquête du Crédoc. Alors, les réseaux, ça n’est pas
si mal. Pour Mathilde, 23 ans, agent de collectivité dans une station
d’épuration, « militer, ce n’est plus dans la rue mais sur les réseaux
sociaux sur des sources sérieuses ». Si le bénévolat doit faire face à
une forme de concurrence des activités, « concilier sa vie
professionnelle et son engagement, c’est possible, essentiellement grâce
à Internet », estime Cordelia, 24 ans, chargée de communication. Pour
K.C., 18 ans, étudiant en histoire, « on ne se force pas sur les
réseaux. On le décide. On ne peut s’en empêcher. C’est donc un
militantisme des tripes et du cœur pour défendre sa conception du monde ».
La notion même de « militer », aujourd’hui tombée en désuétude, est
glissée entre guillemets. « Je ne suis pas ce qu’on peut appeler une
vraie “militante” : Je ne manifeste pas, je ne fais pas de politique et
je ne fais partie d’aucun groupe, reconnaît Lilou, 20 ans, partie
étudier à Montréal. Néanmoins, je milite silencieusement par mes choix
quotidiens. Je pousse les gens à s’informer, je m’insurge sur les
réseaux sociaux. » Comme elle, Soleane est « de la génération réseaux
sociaux ». Dès son adolescence, elle a « vite compris qu’en étant
lesbienne, [sa] vie serait une lutte permanente ». Alors elle a décidé
de « “militer” pour [son] identité et étendre [ses] horizons pour parler
aux minorités et lutter contre les persécutions ».
Sur Internet, les jeunes se renseignent sur l’opinion des gens, des
dirigeants, des dissidents, celles et ceux qui influencent ou «
balancent ». Ils se confrontent aussi à la manipulation, à la violence
accrue des interactions virtuelles. Parfois confus, ils ne savent à quel
saint se vouer, ni sur quel pied danser. Et pourtant. La sensation de ne
pas souhaiter être uniquement témoin du temps qui passe, ou apprentis
des générations précédentes, est prégnante. A travers le
cybermilitantisme, ils s’impliquent et assument des positions en signant
des pétitions en ligne, aiguisent leurs arguments en polémiquant,
affûtent leur esprit critique en refusant le « fake ». Ils remettent en
question « les acquis qu’on leur a appris », se forgent leur « propre
opinion », prennent part aux débats de société générés par des
mouvements tels que #metoo.
« La meilleure façon de dire, c’est de faire »
Entreprenants, ils n’ont pas peur de se mettre en scène. Selfies,
vidéos, chaîne YouTube, pour être « suivis » (comme un leader
d’autrefois ?), il faut fédérer, sortir de l’ordinaire. Et pour ça,
constate Anne Muxel, « ces générations sont fortes. Ils n’hésitent pas à
faire preuve de dérision, à utiliser le détournement, le décalage pour
envoyer des messages aux différents organes de pouvoirs ».
Si la culture de la protestation politique ainsi que le pouvoir
incomparable du numérique ont, selon Anne Muxel, « banalisé la
manifestation », une partie des jeunes demeure en retrait. Par manque de
« sentiment de légitimité », « de modèle », ou « de confiance ». « Les
jeunes peu diplômés, inactifs non étudiants ou qui cumulent un retrait
de l’activité et un faible niveau de diplôme semblent avoir plus de
difficulté à identifier une cause pour laquelle ils pourraient s’engager
», conclut l’enquête du Credoc. Et Benjamin, étudiant de 18 ans, d’ajouter :
« L’engagement est, selon moi, présent et possible, dans une
certaine couche de la société. Il n’est pas évident pour les étudiants
issus de CSP inférieures. »
A ce sentiment d’« invisibilité sociale » se mêle, de temps en temps, «
une perte de sens » chez les jeunes « en galère, plus que d’autres dans
la vie », qui semble démobilisatrice. Alexis, 18 ans, stagiaire dans une
PME, déplore, mais « sans désespoir », « une France qui se morfond » : «
Nombre de gens lambda ont l’illusion de protester en réagissant d’un
simple bouton sur les réseaux sociaux, mais cela est bien vain. Nous
vivons une époque où tout le monde donne son avis sur tout, tout de
suite, mais peu le défendent. » Ce à quoi répond en écho, Flora, en
poste au sein d’un incubateur d’entrepreneurs sociaux : « La meilleure
façon de dire, c’est de faire. »
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/26/avoir-20-ans-en-2018-le-militantisme-oui-mais-2-0_5276271_3224.html#c46EWdhxlbylZlBq.99
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Denis Lebioda
Chargé de mission
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