[Infoligue] « Le paysage associatif se transforme nettement » - Par Hugues Sibille et Viviane Tchernonog

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 19 Nov 16:51:38 CET 2018


« Le paysage associatif se transforme nettement »

Publié par : LE MONDE
Le : 16 octobre

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Le monde des associations reste un corps social divers et actif, malgré 
le manque de diversité dans leur composition sociale et la baisse des 
financements publics, expliquent Hugues Sibille et Viviane Tchernonog 
dans une tribune au « Monde ».

Par Hugues Sibille et Viviane Tchernonog

Tribune. Vu de loin, le paysage associatif paraît immuable. De près, il 
se transforme. La base du tableau, les petites associations, s’élargit 
sensiblement, tandis que le sommet, les moyennes et grandes, se 
concentre. Au premier plan, le modèle économique change nettement : pour 
la première fois, le budget associatif consolidé stagne entre 2011 et 
2017, et les subventions publiques ne représentent plus qu’un euro sur 
cinq. Il est es­sentiel de disposer de données plus régulières pour 
suivre ces mutations, et l’actualité ­invite à mieux connaître ce que 
pourrait être une « société de l’engagement ».

La France compte 1,5 million d’associations, immense biodiversité 
citoyenne. Sa démographie est positive, avec 200 000 associations de 
plus qu’en 2011, soit une augmentation de 2,4 % par an. Ce sont pour 
l’essentiel de petites associations locales de bénévoles. Les 
associations employeuses, elles, amorcent un léger recul en nombre. Ces 
chiffres témoignent d’un fort désir d’engagement, corroboré par le 
rythme élevé de développement du bénévolat.

Le nombre d’heures bénévoles augmente de 4,9 % par an, soit 1,4 million 
d’équivalents temps plein. Ces chiffres ne sont pas assez pris en compte 
dans la comptabilité nationale et les indicateurs de ­richesse. Si l’on 
écarte tout critère de durée minimale, ce sont 22 millions de Français 
qui donnent de leur temps. De nouvelles attitudes émergent et des formes 
d’engagement « informel » se développent, tels les collectifs citoyens, 
sans personnalité morale.

Des « parcours d’engagement »

Il faut se réjouir d’un dynamisme témoignant d’une société française 
active, gage de démocratie et de lien social. Par comparaison, certaines 
sociétés d’Europe de l’Est, où la société civile ­organisée est menacée, 
inquiètent. Mais il ne faudrait pas pour autant céder à une euphorie 
française pour deux raisons.

La première tient aux gouvernances. De nombreuses associations peinent à 
renouveler leurs conseils ou leur présidence. Et ces gouvernances 
restent « monopolisées » par les hommes (64 %), les seniors (41 %) et 
les catégories socio-professionnelles supérieures (31 %). Cela conduit à 
une seconde alerte.

Les jeunes précaires ne s’engagent pas. Les personnes dont le niveau de 
qualification est bas s’engagent moins. De fait, le bénévolat est touché 
par la société à deux vitesses

Le bénévolat associatif apparaît insuffisamment ouvert à tous, en 
particulier aux personnes en difficulté. Les jeunes précaires ne 
s’engagent pas. Les personnes dont le niveau de qualification est bas 
s’engagent moins. De fait, le bénévolat est touché par la société à deux 
vitesses. Avec un risque de renforcement des fractures. La mise en place 
du Service civique concernant 150 000 jeunes en 2018 et les annonces 
faites sur le Service national universel cherchent à corriger ces risques.

Il faut saluer le rapport « Pour une politique de vie associative 
ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement », remis au 
premier ministre en juin 2018. Il fourmille de propositions pour 
promouvoir des « parcours d’engagement tout au long de la vie », 
scolaire, active, retraitée.

Ces propositions nécessiteront un dialogue durable avec l’éducation 
nationale, mais aussi avec les partenaires sociaux, ainsi que des 
moyens. Que représentent les 8 millions d’euros du Fonds de 
développement de la vie associative pour 5 millions de responsables 
bénévoles, quand le budget annuel de la formation professionnelle est de 
32 milliards ?

Faire plus avec moins

Il n’existe pas un, mais une multitude de ­modèles socio-économiques 
associatifs. Cependant l’économie associative fait apparaître ­plusieurs 
tendances.

Premièrement, le budget associatif français ne progresse pratiquement 
plus entre 2011 et 2017, stabilisé à 113 milliards d’euros, après 
plusieurs décennies de forte croissance. C’est une rupture historique. 
Une baisse aurait même été enregistrée si les départements n’avaient pas 
externalisé certaines de leurs activités vers les associations. Les 
associations doivent faire plus avec moins. Jusqu’où ? Des limites sont 
­atteintes, les Ehpad le montrent.

Les subventions publiques continuent de baisser ; leur poids est passé 
de 34 % des ressources en 2005 à 20 % en 2017

En outre, la privatisation des ressources est d’autant plus marquée que 
la baisse des financements publics s’accélère. Les ressources ­privées 
représentent 55 % du total de ressources en 2017, principalement grâce à 
la participation des ­usagers (42 %). Le service associatif « s’achète » 
désormais, avec de forts risques d’inégalité d’accès, y compris 
territoriale.

Les subventions publiques continuent de baisser ; leur poids est passé 
de 34 % des ressources en 2005 à 20 % en 2017. La commande publique est 
maintenant la modalité dominante de ­financement public. L’inscription 
de la subvention dans la loi de 2014 relative à l’économie ­sociale et 
solidaire l’a sécurisée en droit mais n’a pas arrêté sa chute en fait. 
Où s’arrêtera cette chute ? Un niveau raisonnable de subventions est 
nécessaire au paysage associatif.

Par ailleurs, la concentration s’accélère sous la pression des pouvoirs 
publics et de la mise en concurrence. Le nombre d’associations 
employeuses diminue, le secteur social se développe plus que les autres, 
le poids budgétaire des très grandes associations augmente : elles 
captent une part croissante des ressources publiques, marchandes mais 
aussi du mécénat. Jusqu’où iront la concentration et la mise en 
concurrence ?

Une redéfinition de l’intérêt général ?

Que faire ? Résister collectivement à la marchandisation et à la rigueur 
budgétaire, c’est, bien sûr, ce que fait le groupement Mouvement 
associatif. Mais au-delà ? Etre pragmatiques en s’assumant, lorsque 
nécessaire, comme entreprises associatives, être imaginatifs pour 
conjuguer innovation financière et innovation sociale, être coopératifs 
en renforçant les fédérations, les groupements et les mutualisations.
L’intérêt général (re)devient d’actualité, la mission « Entreprise et 
intérêt général », lancée en janvier, et la loi Pacte [Plan d’action 
pour la croissance et la transformation des entreprises] qui donnent une 
place plus grande aux ­impacts sociaux et environnementaux de l’activité 
de l’entreprise en témoignent.

Sa définition politique et fiscale peut transformer le paysage 
associatif. D’un côté, les associations jouent un rôle essentiel de 
coconstruction de l’intérêt général sur les territoires avec les 
­entreprises et les collectivités. De l’autre, des menaces apparaissent 
sur la spécificité du rapport associatif à l’intérêt général. 
Aujourd’hui la reconnaissance d’intérêt général associative repose 
principalement sur le rescrit fiscal délivré par Bercy. Est-ce normal ?

Surtout, les associations craignent, à travers la modification du Code 
civil ou l’émergence de sociétés à objet ­social étendu (SOSE), une 
banalisation de l’intérêt général et un recul de sa dimension « non 
lucrative ». Ce sujet n’est pas uniquement français et renvoie à 
l’Europe à travers la question des services sociaux d’intérêt général 
(SSIG). Les échéances européennes de 2019 seront une sérieuse 
préoccupation associative.

Hugues Sibille est le président du think tank Labo de l’ESS.
Hugues Sibille (Président de la Fondation Crédit Coopératif) et Viviane 
Tchernonog (Chercheuse invitée au Centre d’économie de la Sorbonne 
CNRS-université Paris-I-Panthéon-Sorbonne)

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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