[Laicite-info] Incessantes concessions à l’école privée - Laïcité, le triomphe de l’équivoque
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 18 Fév 08:20:49 CET 2013
Incessantes concessions à l’école privée - Laïcité, le triomphe de
l’équivoque
Auteur : Eddy Khaldi
Publié par : http://www.monde-diplomatique.fr/2012/03/KHALDI/47478
Le : mars 2012
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Parmi les soixante propositions du candidat socialiste à l’élection
présidentielle française figure l’inscription dans la Constitution de la
loi de 1905 instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat… mais
aussi du concordat en Alsace-Moselle. M. François Hollande témoigne
ainsi de la valse-hésitation des pouvoirs publics à l’égard des
religions. Alors que l’islam focalise l’attention, les Eglises
chrétiennes mènent l’offensive contre la laïcité, en particulier à l’école.
par Eddy Khaldi, mars 2012
Pierre angulaire du modèle républicain, la laïcité fait aujourd’hui
l’objet d’un unanimisme trompeur. Cette récupération du mot participe
d’une dénaturation du concept, lequel revêt dorénavant des sens très
divers, et parfois antinomiques. Dans une attitude de façade, l’extrême
droite et la droite concentrent leurs feux sur l’islam, avec des
arrière-pensées évidentes : « Je veux bien qu’on se cache derrière son
petit doigt, mais les violations de la laïcité sont effectuées par un
certain nombre de groupes politico-religieux musulmans, qui cherchent à
imposer des lois religieuses au détriment des lois de la République.
C’est pour cela que la laïcité s’affaisse », déclarait ainsi la
présidente du Front national, Mme Marine Le Pen, le 3 avril 2011 (1).
Dans le domaine institutionnel, l’offensive menée sur le terrain de
l’école par l’Eglise catholique, avec l’appui d’élus locaux ou
nationaux, de gauche comme de droite, favorise la remise en cause de la
neutralité de l’Etat.
Certes, on ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de
l’école. Pour autant, l’en exclure serait une erreur, car c’est
principalement dans l’éducation que se joue l’avenir de ce principe
fondamental. Ainsi le secrétaire de la Congrégation pour l’éducation
catholique du Vatican, l’archevêque français Jean-Louis Bruguès,
souligne-t-il que l’école, « point crucial pour notre mission »,
pourrait devenir « le seul lieu de contact avec le christianisme ».
L’ecclésiastique conteste même la laïcité comme « principe constitutif
de la mission éducative universelle » et juge « agressive » (2) la
séparation avec l’Etat, votée en 1905. En 1987 déjà, lors de l’assemblée
de l’épiscopat, l’évêque Jean Vilnet déclarait que l’heure lui semblait
venue de « travailler avec d’autres à redéfinir le cadre institutionnel
de la laïcité », permettant à l’Eglise de conquérir de nouveaux privilèges.
Est-ce pour parvenir à cet objectif que l’enseignement catholique
devient, à la fin de 2008, un service national de la Conférence des
évêques de France ? Jusqu’alors, ce réseau fonctionnait sous la tutelle
d’une commission informelle encadrée par un évêque (3). Désormais, il
dépend directement de l’Eglise. La révision prochaine de ses statuts
confirmera ce verrouillage ecclésial des établissements sous contrat, en
institutionnalisant la place du directeur diocésain auprès des
collectivités publiques.
L’abandon, en 1984, du projet de loi Savary de grand service public
unifié et laïque de l’éducation nationale — quatre-vingt-dixième des
cent dix propositions du candidat François Mitterrand en 1981 — a
provoqué un appel d’air pour les revendications du privé, inaugurant un
conflit perpétuellement entretenu depuis. Les politiques libérales, qui
accordent une plus large place aux organismes privés, ont attisé ces
convoitises durant les dix dernières années. L’Eglise catholique y voit
un moyen d’agrandir la brèche ouverte par la loi Debré de 1959, qui
confère à des institutions confessionnelles (dites à « caractère propre
») un statut de droit public légitimant leur place dans l’enseignement.
En restant muette sur le dualisme scolaire institué par cette loi, la
gauche n’a-t-elle pas oublié qu’elle n’a de devoir que vis-à-vis du
service public laïque ?
Des louanges ministérielles
Facteur aggravant : l’éducation nationale subit une rigueur budgétaire
inégalée, alors que les écoles privées sous contrat attirent de plus en
plus les faveurs gouvernementales. A cet égard, les louanges adressées
par le ministre de l’éducation nationale à des établissements
catholiques lors de ses désormais rituelles visites de rentrée ne sont
pas anodines : « On me dit que ça va tellement mal dans l’enseignement
public que les Français seraient une majorité à mettre leurs enfants
dans le privé, déclare ainsi M. Luc Chatel le 23 septembre 2011. Je
réponds que l’enseignement privé sous contrat fait partie du service
public (4)… » Cependant, sans la laïcité, prétendre « faire partie du
service public » revient à bafouer la neutralité de l’Etat. L’école
laïque ouverte à tous procède d’une éthique politique du lien social,
pour de jeunes citoyens en devenir appelés à accéder à l’esprit critique
dans le respect de leur liberté de conscience.
Le paradoxe réside dans l’écart entre une France largement sécularisée,
qui connaît une chute vertigineuse de la pratique comme des vocations,
et une vie politique et sociale qui demeure sous l’influence de
religions œuvrant à la marchandisation de l’éducation. Un rapport de
l’enseignement catholique de 2007 explique ainsi : « L’Etat, dans ses
textes législatifs et réglementaires, ne reconnaît formellement que les
établissements privés d’enseignement, et ignore en tant que telles leurs
organisations institutionnelles qui les représentent et que sont les
directions diocésaines, les instances académiques ou régionales, ou le
secrétariat général. » Un objectif est donc fixé : « L’association de
l’enseignement catholique à l’Etat constitue une étape capitale dans
l’évolution du système éducatif français » (5).
La mise en œuvre de cette stratégie se fait par des transgressions
incessantes, souvent passées inaperçues. On exerce un chantage à la
guerre scolaire afin d’obtenir toujours plus de financements publics
pour le privé, au nom d’un traitement à « parité », mais sans que le
privé, au nom de sa « liberté », soit astreint aux charges et
obligations du secteur public. C’est ainsi que les accords Lang-Cloupet
(6) alignent la formation des maîtres du privé sur ceux du public, sans
accroître les obligations d’intérêt général des premiers.
Nouvelles cibles
Rien qu’au cours de ces derniers mois ont été concédés : un plan
banlieue qui favorise le privé pour mieux concurrencer le service public
(comme à Sartrouville, où un lycée privé Jean-Paul-II a ouvert grâce à
des fonds publics) ; la loi Carle, qui oblige les municipalités à
financer des écoles privées d’autres communes si leurs résidents ont
choisi d’y scolariser leurs enfants ; les jardins d’éveil confessionnels
— la mairie de Paris subventionne quatorze crèches Loubavitch — ; des
fondations catholiques pour défiscaliser les investissements d’écoles
privées.
Des centaines de millions d’euros publics ont ainsi été versés au privé.
En 2011, le conseil régional d’Ile-de-France a augmenté de 19 millions
d’euros (soit + 44 %) la subvention de fonctionnement, et verse 10
millions de crédits facultatifs d’investissement (sans compter les aides
diverses) à l’enseignement confessionnel. Cela donne raison au
conseiller d’Etat Olivier Schrameck qui proclamait la « fin de la
laïcité fiscale » lors du vote de la loi du 23 juillet 1987 (7) qui
instaure, par un discret amendement, la déduction fiscale pour les dons
aux Eglises.
L’offre d’éducation catholique vise, avec les moyens de la puissance
publique, de nouvelles cibles, des jardins d’éveil à l’enseignement
supérieur. Ses promoteurs veulent mettre en œuvre « un contrat global et
unique entre le ministère et le secrétariat général de l’enseignement
catholique pour toutes les écoles », avec un objectif affiché : « Cela
maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les
mettrait franchement en concurrence (8). »
De nouveaux champs de bataille s’ouvrent en permanence, et ce dans un
silence religieux, organisé à droite afin de mieux masquer le
démantèlement de l’éducation nationale et aidé à gauche par une atonie
frisant la complaisance. En outre, les organisations internationales
contribuent également à remettre en cause le principe de laïcité. Il en
est ainsi du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, laquelle, au
travers du traité de Lisbonne (article 16C), signé le 13 décembre 2007,
hisse les Eglises au rang de partenaires privilégiés de la Commission :
« Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union
maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises
et organisations. »
La question scolaire préfigure une politique construite sur la
reconnaissance institutionnelle des confessions, encourageant une
structuration communautaire de la société. Avant d’enchaîner les
déclarations hostiles aux musulmans, le ministre de l’intérieur, M.
Claude Guéant, proposait un code de la laïcité construit autour de la «
liberté religieuse » (9).
L’essor de l’islam et la conscience des discriminations qu’il subit par
rapport aux autres religions conduisent par ailleurs la gauche à
assouplir les règles de la laïcité en multipliant les « accommodements
raisonnables » à la loi de 1905. A mesure qu’elle abandonne le terrain
des luttes sociales, celle-ci se laisse en effet gagner par les discours
privilégiant les particularismes, le « caractère propre » confessionnel,
oubliant ainsi le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Les
religions plus anciennement établies en France, en perte de vitesse,
n’attendent que ces concessions pour faire réviser leur rapport à l’Etat
et favoriser un remariage.
Au final, les revendications d’un islam souvent discriminé servent
d’écran de fumée à une puissance publique oublieuse du communautarisme
de l’école catholique ; des déclarations conjoncturelles et trompeuses
brouillent les véritables enjeux.
Eddy Khaldi
Auteur, avec Muriel Fitoussi, de La République contre son école,
Demopolis, Paris, 2011.
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(1) Agence France-Presse (AFP), Paris, 3 avril 2011.
(2) Jean-Louis Bruguès, « Laicità alla francese », Osservatore Romano,
26 décembre 2011.
(3) La commission épiscopale du monde scolaire et universitaire (Cemsu).
(4) Le Parisien, Saint-Ouen, 23 septembre 2011.
(5) Secrétariat général de l’enseignement catholique, « Les effets de
la décentralisation et de la déconcentration de l’Etat français sur
l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement catholique »,
Paris, mars 2007.
(6) Protocole entre le ministre d’Etat Jack Lang et l’enseignement
catholique sous contrat, représenté par son secrétaire général, M. Max
Cloupet, 15 juin 1992.
(7) Olivier Schrameck, « La fin de la laïcité fiscale », Actualité
juridique du droit administratif, Paris, 22 juin 1989.
(8) AFP, 8 janvier 2002.
(9) Laïcité et liberté religieuse. Recueil de textes et de
jurisprudence, Les Editions des journaux officiels, Paris, 2011.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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