[Laicite-info] L'Elysée poussé à agir sur la laïcité au travail
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 28 Mar 10:23:04 CET 2013
L'Elysée poussé à agir sur la laïcité au travail
Publié par : LE MONDE
Le : 26.03.2013
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Le gouvernement assure vouloir éviter toute "décision caricaturale et
précipitée". Mais il est fort probable que la décision de la Cour de
cassation rendue mardi 19 mars dans le dossier de la crèche Baby Loup
aura des conséquences "législatives ou réglementaires" dans les semaines
à venir. "Nous regardons de près les différentes options, en nous
appuyant sur des expertises juridiques et en évitant toutes les
solutions radicales. Une décision sera prise dans les prochains jours",
explique-t-on dans l'entourage du président de la République.
Comme le précédent gouvernement, qui avait finalement renoncé à
légiférer sur la restriction de la liberté religieuse dans le secteur
privé, l'actuel exécutif se voit donc contraint d'agir sur un dossier
qui mobilise de manière récurrente responsables politiques,
intellectuels, institutions et opinion publique.
L'arrêt de la Cour de cassation, qui a annulé le licenciement d'une
salariée voilée, a en effet suscité de nouvelles interrogations sur la
compréhension du principe de laïcité et de neutralité dans la société
française. Et, de tous côtés, émergent des propositions, plus ou moins
solides juridiquement d'un point de vue français ou européen.
"UNE VOLONTÉ POLITIQUE QUI TRANSCENDE LES PARTIS"
Pour l'opinion publique, l'affaire est entendue : le voile islamique
n'est pas le bienvenu. Un sondage BVA pour Le Parisien et i-Télé, paru
lundi 25 mars, montre que 86 % des personnes interrogées sont favorables
à une loi interdisant le "port visible de tout signe d'appartenance
religieuse ou politique dans les lieux où l'on s'occupe d'enfants
(écoles, crèches publiques ou privées)" et que 83 % pensent qu'il faut
aussi proscrire tout affichage dans les entreprises privées. "De tels
chiffres nous incitent à prendre le sujet à bras-le-corps", reconnaît-on
à l'Elysée.
Convaincu que "la liberté religieuse n'est pas absolue", le député UMP
Eric Ciotti a dégainé le premier, déposant, vendredi 22 mars, une
proposition de loi visant à "donner la possibilité aux entreprises
d'inscrire dans leur règlement intérieur le principe de neutralité à
l'égard de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches
exercées". Devançant les souhaits des Français, sa proposition va donc
au-delà des structures accueillant des enfants et des restrictions
actuelles liées à la sécurité ou à l'hygiène. "Au lieu d'être à
l'initiative, on donne encore l'impression d'être dans les cordes",
regrette un député PS, peu convaincu par la proposition Ciotti.
"Je ne me résous pas à ce qu'on installe une différence entre le secteur
public et le secteur privé", insiste pour sa part le député des
Alpes-Maritimes, en contradiction avec la jurisprudence actuelle. "C'est
une volonté politique qui transcende les partis", défend-il. C'est
aussi, selon lui, une piste de travail rendue "nécessaire par
l'insécurité juridique provoquée par la décision de la Cour de
cassation". "Il faut sécuriser les règlements intérieurs pour que les
employeurs puissent restreindre de façon partielle l'expression
religieuse de leurs salariés."
PÉTITION DANS L'HEBDOMADAIRE "MARIANNE"
A gauche, où les divergences perdurent sur ces questions, d'autres
propositions pourraient se formaliser. Des responsables socialistes ont
signé une pétition publiée dans l'hebdomadaire Marianne, demandant une
nouvelle loi pour limiter le port de signes religieux dans le monde
professionnel, notamment dans les structures accueillant les enfants.
Ainsi, le député Jean Glavany et – plus surprenant au regard de ses
positions passées sur les débats concernant le voile à l'école – le
premier secrétaire du PS, Harlem Désir, ont rejoint les pétitionnaires.
Le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, avait, lui, publiquement
regretté l'arrêt de la Cour de cassation, y voyant "une mise en cause de
la laïcité". A l'Elysée, on se penche sur la législation relative à
"l'accueil de la petite enfance", aux "missions d'intérêt général ou de
service public"...
Le ministre de la ville, François Lamy, qui devait se rendre mardi 26
mars à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), ville où est implantée la
crèche Baby Loup, se montre plus prudent. "Il ne faut pas légiférer dans
l'urgence, comme l'a fait trop souvent le gouvernement précédent. Je ne
crois pas que la laïcité soit menacée. On risque avec une loi bâclée
d'aboutir à ce que les femmes voilées ne travaillent plus et à favoriser
les crèches confessionnelles."
Dans un autre registre, le député (PS) Philippe Doucet, attaché à "une
réaffirmation politique de la laïcité", vient de proposer au président
de la République d'intégrer au premier article de la Constitution un
ajout disposant que "la laïcité implique la neutralité et l'impartialité
de l'Etat, des autres collectivités publiques, de leurs services et de
leurs agents". Convaincu que "le service public ne passe plus seulement
par la fonction publique ", il propose aussi "d'étendre la notion de
service public aux crèches privées ou aux colonies de vacances, dès lors
qu'il y a une part de financement municipal".
"LIGNE DE CRÊTE"
Il rejoint là des positions défendues par l'UMP lors des débats de 2010
et 2011 sur l'islam ; positions que le gouvernement précédent avait
préféré enterrer, face à "leur fragilité constitutionnelle". M. Doucet
estime par ailleurs que, "dans le privé, c'est aux employeurs de gérer.
On est sur une ligne de crête mais les zones de conflictualité ne sont
pas là".
"Vouloir étendre les obligations liées à la laïcité à l'ensemble du
secteur privé est une impasse au niveau du droit européen", estime
Nicolas Hervieu, juriste, spécialiste du droit européen des droits de
l'homme. "En revanche, protéger des entreprises qui ont un caractère
particulier, comme la crèche Baby Loup, n'est pas impossible,
estime-t-il. On pourrait avoir recours à la notion d''entreprises de
tendance' dans lesquelles l'éthique est fondée sur des convictions
spirituelles ou autres incluant la laïcité ; mais cette approche ne
pourrait être qu'exceptionnelle."
Alors que beaucoup souhaitaient un "apaisement" sur les questions
relatives à l'islam et à la laïcité, de nouveaux débats s'annoncent qui
pourraient une nouvelle fois diviser les familles politiques. Dans ce
contexte, l'Observatoire de la laïcité, dont la composition devrait être
connue courant avril, aura, selon l'Elysée, une "mission d'expertise
face à l'extrême diversité des situations, notamment dans l'enseignement
supérieur et dans les entreprises". A condition que la demande sociale
et les pressions politiques lui laissent le temps de la réflexion.
Stéphanie Le Bars
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Les subtils équilibres du droit européen
Deux décisions rendues le 15 janvier par la Cour européenne des droits
de l'homme montrent le souci de celle-ci de respecter la "logique de
proportionnalité" entre les intérêts d'un employeur et la liberté de
religion des employés. Dans une première affaire, la Cour a donné raison
à une hôtesse d'accueil de British Airways qui s'était vue interdire de
porter de manière visible un crucifix durant son service. La Cour a
estimé que les tribunaux britanniques avaient accordé "trop de poids" au
souhait de l'employeur de véhiculer une certaine image de marque, par
rapport "au désir de la requérante de manifester sa foi". Elle a estimé
qu'il y avait violation de la liberté de religion. Dans la seconde
affaire, la Cour a au contraire conforté les juges britanniques qui
avaient estimé qu'un hôpital était fondé à interdire à une infirmière le
port de son pendentif orné d'une croix pour des raisons de sécurité et
d'hygiène.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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