[Laicite-info] La laïcité ne doit pas devenir un tabou

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 25 Oct 08:45:33 CEST 2013


La laïcité ne doit pas devenir un tabou

Publié par : LE MONDE
Le : 22.10.2013
Par Abdennour Bidar (philosophe) (Membre de l'Observatoire national de 
la laïcité)

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Pourquoi n’ai-je pas voté en faveur de l’avis rendu le 15 octobre par 
l’Observatoire national de la laïcité, dont je suis membre? Cet avis 
énonce que l’Observatoire ne se prononce pas en faveur d’une nouvelle 
loi, qui étendrait au secteur privé le principe de laïcité selon des 
modalités à définir. Une prudence excessive a prévalu quant à une 
"option législative" large visant l’ensemble du secteur privé. Il en a 
été de même, à un niveau plus restreint, pour les structures d’accueil 
de la petite enfance… cas de la crèche Baby-Loup, à laquelle je redis 
mon soutien.

J’ai choisi de voter blanc, de suspendre mon jugement. D’une part, je 
n’ai pas voté contre, dès lors que cet avis me semble aller dans le sens 
de l’apaisement souhaitable autour de la question de la laïcité. Je suis 
conscient du risque qu’une loi – mal faite – pourrait alimenter une fois 
de plus le grief que les religions sont stigmatisées, en particulier 
l’islam.

D’autre part, je n’ai pas voté pour cet avis pour des raisons plus 
décisives à mes yeux. La première est qu’il est particulièrement en deçà 
de l’ambition intellectuelle et de la responsabilité politique qui ont 
été données à l’Observatoire par le président de la République. 
Intellectuellement, il n’y a rien d’assez décisif dans ce texte, 
c’est-à-dire aucune proposition singulière susceptible d’éclairer les 
débats d’une façon nouvelle et féconde. Le philosophe que je suis est 
déçu, et j’ai le sentiment très net que nombre de compétences d’autres 
membres de l’Observatoire restent pour l’heure sous-employées. J’espère 
qu’elles le seront bien davantage par la suite.

A l’arrivée, la position de l’Observatoire reprend textuellement, mais 
aussi purement et simplement, l’avis rendu le 26 septembre par la 
Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH): "En 
matière de laïcité, un équilibre juridique a été trouvé" et "il n’y a ni 
pertinence ni utilité à légiférer aujourd’hui". L’Observatoire aurait-il 
été créé comme chambre d’enregistrement des avis de cette Commission? Je 
ne le savais pas. Néanmoins, je crois toujours en l’utilité possible de 
cet Observatoire, et je reste confiant quant à ses propositions 
ultérieures, mais il va devoir se choisir un destin personnel au plus 
loin de deux impasses.

PARALYSIE DE LA PENSÉE ET DE L'ACTION

La première est celle de la droite dure et de l’extrême droite: dévoyer 
le sens de la laïcité pour en faire une arme contre la diversité, un 
instrument d’exclusion au service d’une conception réactionnaire de 
l’identité française. Avec ce premier avis, il me semble que le risque 
de cette première impasse est momentanément écarté, même si cela ne 
règle rien sur le fond: la volonté d’apaisement, le choix de la laïcité 
comme principe de rassemblement et outil de paix sociale y ont été 
certes affichés, mais de façon bien trop générale et sans engagement 
suffisant.

Or, c’est là justement que nous guette la seconde impasse. Elle est tout 
aussi redoutable que l’autre, et malheureusement, quant à ce deuxième 
risque, cet avis n’offre pas les mêmes garanties. Je veux parler de 
l’impasse du renoncement et de la faiblesse politique. Du renoncement à 
dire quoi que ce soit d’un peu "puissant" ou ambitieux sur la laïcité, 
de peur que cela passe pour de la stigmatisation des religions, 
notamment de l’islam. Tel est bien le piège où les républicains de 
gauche et de droite semblent pris aujourd’hui: la paralysie de la pensée 
et de l’action par préjugé que toute réaffirmation du principe de 
laïcité sera "inévitablement" récupérée par les forces d’exclusion et de 
division. Voilà comment un principe de la République finit par devenir 
un mot tabou. Un principe auquel on ne veut plus se référer que pour des 
proclamations trop générales et vagues, mais au nom duquel on ne veut 
plus rien tenter de grand. Résultat, on abandonne le principe de laïcité 
aux extrêmes – et ici en l’occurrence dans cet avis on choisit de se 
replier prudemment sur le droit existant. Voilà donc pourquoi j’ai voté 
blanc: l’apaisement oui, le renoncement non.

Que vaut en réalité ce parti pris ou ce calcul du «ne faisons rien car 
tout ce qu’on ferait remettrait le feu aux poudres»? Electoralement 
rien: les Français en ont assez de l’absence de courage politique, et 
ils continueront de se jeter dans les bras de l’extrême droite tant que 
la gauche et la droite républicaines n’oseront pas fabriquer un discours 
alternatif sur la laïcité, l’immigration, l’intégration, l’islam. Ce 
discours est possible. Il s’agit de la laïcité dans le secteur privé: 
oui on peut étendre la règle laïque au secteur privé, et on peut le 
faire de façon telle qu’on ne risquera pas d’être accusé de stigmatiser 
les musulmans. Comment? En proposant une loi qui donne une base 
juridique au choix laïque de l’entreprise, autrement dit une loi de 
liberté et non pas d’interdiction – une loi qui fasse appel à la 
concertation de tous les collaborateurs de l’entreprise dans 
l’élaboration du règlement intérieur, au sujet de la laïcité. Une loi 
ainsi formulée ne s’exposerait pas au grief d’une prise de contrôle de 
l’Etat sur la vie des entreprises, ni d’une restriction abusive de la 
liberté d’expression, puisqu’au contraire elle donnerait aux acteurs du 
secteur privé un motif de choix supplémentaire de leurs règles.

FABRIQUER DU COMMUN

Cette loi de liberté permettrait surtout aux acteurs du privé d’être 
davantage des salariés citoyens en leur donnant les moyens de prendre 
leur part de l’exigence républicaine de laïcité des espaces sociaux, 
tandis qu’aujourd’hui il y a sur ce point un gouffre idéologique énorme, 
au beau milieu du monde du travail, entre public et privé. Voilà 
l’ambition, la "puissance" que j’évoque ici: réunifier le champ social 
tout entier autour de l’idéal laïque.

Une loi de ce type aurait une vertu symbolique considérable, parce 
qu’elle fabriquerait ce dont nous manquons le plus: du commun! Un espace 
commun partagé et partageable, homogène entre public et privé tout en 
respectant la spécificité de chacun – une exigence imposée de neutralité 
des agents publics, une participation "libéralement" proposée aux 
salariés du privé. La compréhension de la laïcité comme outil du 
vivre-ensemble serait à nouveau possible, parce qu’elle apparaîtrait 
comme une exigence dont le souci mobilise tous les travailleurs!

Avons-nous donc le luxe de nous passer de telles occasions de nous 
rassembler autour de nos valeurs? Une loi laïque n’est pas contre la 
liberté religieuse: elle lui donne le cadre de droits et devoirs qui 
rend possible la conciliation du maximum de liberté pour chacun et du 
maximum de respect entre les libertés de tous. Mais pour le comprendre, 
encore faudrait-il avoir une autre ambition qui manque aujourd’hui: 
celle d’entreprendre une pédagogie de la laïcité, de la loi et de la 
liberté. Seule l’Ecole assume actuellement dans notre société une telle 
ambition.

Abdennour Bidar (philosophe) (Membre de l'Observatoire national de la 
laïcité)

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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