[Laicite-info] A quoi sert vraiment la Charte de la laïcité ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 16 Sep 09:30:59 CEST 2013


A quoi sert vraiment la Charte de la laïcité ?

par : Henrik Lindell
Publié par : http://www.lavie.fr/d
Le : 13/09/2013

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La Charte de la laïcité, présentée le 9 septembre par le ministre de 
l'Education Vincent Peillon, suscite un écho très favorable dans les 
milieux politiques et auprès de la plupart des syndicats du monde de 
l'éducation. Il faut dire que le contenu de la Charte semble incontestable.

Affichés dans tous les établissements scolaires publics de France, les 
15 principes de la « Charte de la laïcité » énoncent des principes 
généraux de la Constitution, de la Déclaration des droits de l’Homme et 
de la loi de 1905, dite de « séparation des Eglises et de l’Etat », qui 
régissent les relations entre les religions et la République. Parmi les 
innombrables réactions positives à l'égard de cette charte, citons celle 
de Michel Richard, secrétaire général adjoint du Snpden (le syndicat des 
chefs d’établissements), directeur d’un collège à Versailles. Pour lui, 
il s'agit d'un « nécessaire rappel des valeurs communes ». Autre 
réaction, celle de l'Observatoire de la laïcité pour qui cette charte 
est tellement importante qu'il faudrait l'afficher également dans 
l’école privée sous contrat. Ce qui est délicat pour les écoles 
catholiques, qui, par définition, sont des établissements confessionnels.

Néanmoins, la forme de la Charte et son degré d'utilité posent problème 
pour de très nombreux observateurs, notamment dans les milieux 
religieux. De fait, le gouvernement n'a pas expliqué pourquoi cette 
charte serait particulièrement utile en ce moment (la laïcité 
serait-elle moins respectée qu'avant ?). Il n'a pas non plus consulté 
les institutions religieuses du pays.

Côté catholique, l'agacement est manifeste. Il n'y a pas eu de 
communiqué officiel, mais Mgr Bernard Podvin a fait connaître la 
réaction critique des évêques, en tant que porte-parole de la Conférence 
des évêques de France. Dans une interview accordée à La Croix sur la 
Charte de la laïcité, il dit l'attachement de l'Eglise à une « laïcité 
constructive, mais aussi son souci que les religions soient connues et 
estimées ». Ainsi, pour Mgr Podvin, « la laïcité ne doit pas être 
creuse, ni se borner à la négation, l’empêchement des religions. Elle 
doit au contraire se traduire par l’apprivoisement de la culture 
religieuse, de leur contribution positive à la société, à l’esprit 
civique. Une laïcité responsable ne peut se vivre uniquement dans la 
coercition. »

Au téléphone, Mgr Podvin nous a expliqué qu'il comprenait que le 
gouvernement voulait endiguer les expressions identitaires et 
fondamentalistes des religions. « L'Eglise le soutient évidemment dans 
ces efforts-là ». Néanmoins, le texte le « laisse perplexe ». « Il élude 
toutes les questions qui fâchent, comme par exemple les préceptes 
alimentaires ou les mamans voilées qui viennent avec leurs enfants à 
l'école ». Il s'inquiète par ailleurs de l'absence de sympathie ou de 
regard positif à l'égard des religions. Au contraire, il y voit une « 
exaltation de la laïcité ». La laïcité pour Mgr Podvin « doit être un 
service, mais on dirait qu'à travers cette charte qu'elle est vue 
pratiquement comme une religion de substitution. »

La Charte de la laïcité véhicule-t-elle une vision négative du fait 
religieux ? C'est assurément le point de vue de maints responsables 
musulmans. Pour le président du Conseil français du culte musulman Dalil 
Boubakeur, le texte risque surtout de renforcer le sentiment de 
stigmatisation dans la communauté musulmane. « 90 % des musulmans vont 
avoir l'impression d'être visés par cette charte alors que, dans 99 % 
des cas, ils ne posent aucun problème à la laïcité », a déclaré à l'AFP 
le président du CFCM. Il se demande notamment pourquoi il faudrait un 
rappel à la loi de 2004 qui interdit les signes religieux ostentatoires 
à l'école. Et se demande ce que vient faire le rappel à l'égalité 
fille-garçon dans ce texte sur la laïcité, si ce n'est pas pour jeter le 
soupçon sur les musulmans. Pour lutter aux atteintes à la laïcité, mieux 
vaudrait, selon lui, « s'attaquer aux ressorts socio-économiques ».

Les professeurs ne sont-ils pas trop souvent trop négatifs à l'égard des 
religions ? C'est le point de vue d'Édith Tartar-Goddet, psychologue 
clinicienne et psychosociologue, par ailleurs présidente de 
l’Association protestante pour l’éducation et l’enseignement, membre de 
la Fédération protestante de France. Citée par un article de La Croix, 
elle craint que la Charte ne soit qu’un « coup d’épée dans l’eau », 
alors que « ce qu'il faudrait est un rapport plus apaisé à la laïcité et 
d’une juste distance avec les religions ».

Autre critique du texte, celle portée par le directeur de la rédaction 
de La Vie, Jean-Pierre Denis, qui dans son dernier éditorial s'interroge 
sur l'utilité de ce qu'il appelle la politique de la punaise. 
C'est-à-dire une politique qui « prétend régler les problèmes en 
placardant des solutions officielles. En désignant « le bien », elle 
croit faire disparaître « le mal », ou feint de le croire. Or, si un 
affichage peut afficher beaucoup, en pratique il ne règle pas grand-chose. »

« Sur le fond, écrit Jean-Pierre Denis, on ne trouvera évidemment rien à 
reprendre au texte, qui rappelle l’essentiel du pacte laïque et du pacte 
éducatif de manière claire, intelligible, aimable. » Mais : « Pourquoi 
faut-il donc que cette valeur ultra-dominante nous soit sans cesse 
présentée comme menacée, agonisante, presque noyée par une sorte de 
déluge identitaire ou réactionnaire ? » Et : « Puisque des problèmes 
existent ici ou là, pourquoi ne pas se contenter, tout simplement, de 
faire appliquer les textes et les règlements en soutenant les éducateurs 
qui s’y emploient ? »

Ceux qui s'y connaissent le mieux sont sans doute les professeurs. Si 
plusieurs syndicats des enseignants soutiennent massivement le texte, 
bien des professeurs s'interrogent sur son utilité. Ainsi, Bernard 
Girard, prof d'histoire qui alimente un blog sur rue89. Pour lui, la 
Charte pour la laïcité est une « overdose de grands principes » qui, au 
demeurant, ne sont pas respectés de toute façon. A commencer par 
l'affirmation de l'égalité dans le premier article de la Charte. Un « 
imbuvable prêchi-prêcha » qui ne trompe personne – les élèves savent que 
« l'école de la République est le lieu d'une sélection et d'une 
ségrégation sociales brutes » - et qui relève même de « l'escroquerie ». 
« Depuis quand les élèves bénéficient-ils de la « libre expression de 
leurs convictions » (principe 3) ou de « l’exercice de la liberté 
d’expression » (principe 8), alors même que la règle générale ou les 
pratiques majoritaires des enseignants exigent qu’ils se taisent sous 
peine de représailles ? »

Bien entendu, bien des professeurs blogueurs ne partagent absolument pas 
ce point de vue tranché. Certains défendent franchement le gouvernement. 
Ainsi Yves Delahaie, professeur de lettres modernes dans un collège. 
Tout en reconnaissant que rares sont ceux qui ne respectent pas la 
laïcité et que la charte ne permet pas de résoudre plusieurs vrais 
problèmes comme ceux concernant les repas (halal ou non?), il pense « 
qu'il faut applaudir cette gauche (...) qui explique avec fermeté mais 
pédagogie, que la laïcité n’est pas un principe négociable, que l’on 
adapte en fonction des origines ou des convictions de chacun. »

Quant à nous, voilà de quoi débattre !

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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