[Laicite-info] Henri Pena-Ruiz : Laïcité: halte au double jeu

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 15 Avr 09:14:03 CEST 2014


Laïcité: halte au double jeu

Publié par : 
http://blogs.mediapart.fr/blog/henri-pena-ruiz/140414/laicite-halte-au-double-jeu
Le : 14 avril 2014
Par : Henri Pena-Ruiz

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Maltraitée, adjectivée, caricaturée, la laïcité va si mal qu’elle en 
devient un thème de racolage électoral à finalité antilaïque. La faute à 
qui ? Un double coup de gueule s’impose. D’une part contre l’imposture 
véhiculée par le Front national, d’autre part contre la démission des 
politiques qui a rendu possible cette imposture. Expliquons-nous.

Premier coup de gueule. Laïque, le Front national ? A d’autres ! Qui n’a 
cessé de vanter les fondements chrétiens de la civilisation occidentale 
et de revendiquer pour eux une reconnaissance publique évidemment 
discriminatoire, puisqu’elle fait silence sur les autres religions et 
l’humanisme athée ou agnostique? Le Front national, dans sa volonté 
d’opposer une civilisation à une autre et d’en vanter le particularisme 
exclusif. D’où l’insistance sur le thème des « racines chrétiennes » qui 
déracine et stigmatise tous ceux qui ne croient pas en Dieu ou croient 
en lui autrement. D’où une amnésie sélective et le silence sur les 
violences perpétrées dans l’occident chrétien, non par la religion, mais 
par ses clercs si zélés qu’ils ont cru pouvoir envoyer à la mort les 
hérétiques et « raturer le cerveau de l’humanité » (Victor Hugo 
dénonçant l’Inquisition).

Simple passé que tout cela ? Allons bon ! Les victimes ont changé, et 
les institutions cléricales ne manient plus le glaive de fer prêté par 
le pouvoir temporel qu'elles dominaient, comme le voulait la théorie des 
« deux glaives » chère à Bernard de Clairvaux, dit Saint Bernard. Reste 
que les femmes, les homosexuels, les athées, les francs-maçons, et bien 
d’autres sont encore trop souvent victimes de stigmatisation. 
L’avortement, la contraception, l’homosexualité, le mariage librement 
ouvert à tous, sont dans le collimateur du Front national, qui se range 
aux côtés des intégrismes pour rejeter les émancipations promues par le 
découplage de la loi commune et du pouvoir religieux.

Ainsi Bruno Gollnisch défend l’idée d’un salaire maternel, sans doute 
afin que les femmes s’en tiennent à leur rôle traditionnel de femmes au 
foyer. Avec l'appui de la conférence des évêques allemands, il a fait 
échouer les propositions émancipatrices, notamment pour les femmes, de 
la députée portugaise Edite Estrella au parlement européen. Quant au 
droit élémentaire de donner la vie quand elle le décide, et non pas 
seulement en situation de détresse, la femme se le voit refuser par 
Bruno Gollnisch, qui prend à partie sur ce point la ministre des droits 
de la femme, Najat Vallaud-Belkacem. Drôle de laïcité que celle qui veut 
maintenir les préjugés patriarcaux sacralisés par les trois monothéismes!

De grâce, cessons d’accorder la label « laïques » à ceux qui n'invoquent 
la laïcité que pour critiquer les manifestations de l’islam et ne le 
font jamais pour celles du catholicisme intégriste, comme la Manif pour 
tous ! Madame Le Pen lance: « Nous n’accepterons aucune exigence 
religieuse dans les menus des écoles. » Soit. Alors pourquoi ne pas 
protester contre les menus sans viande du vendredi ? On imagine la 
réponse traditionnelle du Front national : « C’est notre culture, et 
nous sommes chez nous ! » Bref, le choc des civilisations. La référence 
au « chez nous » est inepte, car le “ nous ” est variété, et le « 
Français de souche » n’existe plus depuis belle lurette. C’est ainsi que 
s’insinue le geste d’exclusion, ou de discrimination. Accord troublant, 
sur ce point, avec le Cardinal Vingt-Trois qui écrit: « La place du 
christianisme dans la tradition française n’est pas la même que celle du 
bouddhisme ou de l’islam (…) La manière de traiter les religions doit 
tenir compte de leur apport historique et culturel. » La volonté de 
privilèges est ici explicite. Madame Le Pen ne dit pas autre chose. On 
ne peut approuver les ostensions religieuses catholiques sur la voie 
publique, tout en condamnant les prières musulmanes dans les rues. Dès 
lors qu'il y a trouble à l'ordre public, la laïcité implique de les 
interdire toutes les deux.

On n’a jamais entendu le Front National s’indigner des privilèges 
concordataires en Alsace-Moselle, qui mettent à la charge des 
contribuables athées ou agnostiques les salaires des prêtres, des 
rabbins, et des pasteurs. Il reste également muet sur le versement de 
fonds publics à des écoles privées religieuses. Pourtant de tels 
privilèges bafouent la laïcité, qui implique l’égalité de traitement des 
divers croyants et des athées. A quand des écoles privées dont le 
caractère propre serait la promotion de l'humanisme athée ou maçonnique, 
financées par la puissance publique? Il n'est pas souhaitable de 
communautariser l'argent public. Mieux vaut supprimer les privilèges.

Un second coup de gueule contre certains politiques plus soucieux de 
flatter les communautarismes que de promouvoir la laïcité et ses 
exigences. Le clientélisme électoral rend parfois pusillanime. Les 
convictions sombrent alors devant les ambitions, et ne sont plus 
attestées que par des hymnes incantatoires à la laïcité, accompagnées de 
pratiques anti-laïques. Ceux qui pratiquent ce double jeu se 
reconnaîtront. Ils ne font guère honneur à la politique. De quoi 
dégoûter les électeurs, s'ils jugent sur les actes et non sur les 
paroles. On encense la Loi du 9 Décembre 1905 qui interdit le 
financement public du culte, mais on s'arrange pour la bafouer ou la 
contourner à des fins électoralistes. Un exemple parmi d'autres: on ne 
peut se dire laïque en confondant à dessein le culturel et le cultuel 
pour financer le culte sur fonds publics, et bafouer ainsi le deuxième 
article de la loi de 1905.

Est-il pourtant si difficile à un maire de refuser d'aider les religions 
avec l'argent public en expliquant à leurs fidèles que l'argent public 
doit aller au seul intérêt général? Une politique de logement social, un 
dispensaire de soins gratuit, un soutien scolaire gratuit, organisés par 
la commune, feront faire des économies à ces mêmes fidèles, voire les 
convaincront qu'ils n'ont rien à perdre avec la laïcité, puisque 
celle-ci leur permet de jouir des services publics universels, et ne 
laisse à leur charge que le financement de leur culte, affaire privée 
qui ne saurait peser sur les finances publiques.

Louer un terrain destiné à un lieu de culte pour un euro symbolique par 
an, c'est appauvrir la commune et par conséquent nuire au bien commun. 
L'argent ainsi perdu est autant de moins pour les services d'intérêt 
général. Quant aux cantines publiques, leur seul devoir est de servir 
des repas diététiques équilibrés, non de respecter les interdits 
religieux. D'ailleurs le choix entre deux plats principaux relevant 
d'une telle exigence peut y être généralisé.

Ceux des politiques qui renoncent à faire respecter les lois laïques 
compromettent la vertu civique en faisant croire qu'il peut y avoir des 
droits sans devoirs. Aujourd'hui ils assistent effarés à un effet 
déplorable dont ils sont pourtant la cause. Ils aiment alors brouiller 
les cartes en affublant la laïcité d’adjectifs destinés à l’édulcorer : 
« ouverte », « plurielle », « inclusive », etc. Confusion. Parle-t-on de 
république « ouverte » ? De justice « ouverte », d'égalité « ouverte »? 
Non bien sûr. Ce recours aux qualificatifs est à l'évidence une 
tentative de disqualification de la laïcité. Et il aide les politiques 
opportunistes à travestir leur vénalité en réalisme. La laïcité en 
ressort affaiblie, et les faiseurs de mensonges renforcés. Ainsi s'ouvre 
un boulevard à la caricature de laïcité que pratique le FN.

La laïcité est une condition du vivre ensemble, donc une exigence. Il 
faut avoir le courage de l'affirmer, de la promouvoir par des actes, au 
lieu de se vendre en achetant les voix des électeurs, et d'en faire 
cadeau à l'extrême droite.

Henri Pena Ruiz, dernier ouvrage paru : Dictionnaire amoureux de la 
laïcité (Plon)

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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