[Laicite-info] Najat Vallaud-Belkacem contre la Manif pour tous : la défense de l'école laïque est en jeu
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 29 Aou 08:18:00 CEST 2014
Najat Vallaud-Belkacem contre la Manif pour tous : la défense de l'école
laïque est en jeu
Publié par : http://leplus.nouvelobs.com
Le : 27-08-2014
Par Bruno Roger-Petit
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À peine nommée à l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem est déjà
la cible d'attaques. Au sujet de sa nomination, la Manif pour tous,
Christine Boutin, Laurent Wuaquiez ou encore Nadine Morano parlent de
"provocation". Pour notre chroniqueur Bruno Roger-Petit, un front
s'ouvre dont l'enjeu est la préservation de la laïcité. La ministre
sera-telle à la hauteur de Jaurès ?
"Provocation", a décrété la Manif pour tous en apprenant l'arrivée de
Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l'Éducation nationale.
"Provocation !" a répété Christine Boutin.
"Provocation !" a entonné à son tour Laurent Wauquiez. Et Poisson, et
Morano, et tout ce que la droite française compte de populistes
chrétiens, le mot poli pour dire néo-vichystes, goupillon dégainé mais
sabre encore dissimulé, tous de reprendre encore et encore le mot qui
accuse : "provocation !"
La cible privilégiée des réacs'
Aux yeux de ces adeptes de la superstition érigée en nec plus ultra du
progrès humain, Najat Vallaud-Belkacem est doublement coupable.
C'est que la nouvelle ministre de l'Éducation nationale a été l'un des
plus fervents avocats de la cause du Mariage pour tous et, plus grave
encore, est suspecte à leurs yeux d'avoir voulu introduire ce qu'ils
appellent "Théorie du genre" à l'école, avec démonstration pratique de
toutes les façons de se masturber.
Cette campagne était mensongère et odieuse, mais elle a pris,
transformant une manipulation médiatique montée par divers groupes
extrémistes en succès politique, via le mouvement "journée de retrait de
l'école".
La Manif pour tous, Boutin, Wauquiez et les autres sont même aller
jusqu'à faire front commun avec Farida Beghoul et Alain Soral, Civitas
et les Intégristes pour parvenir à faire plier Benoit Hamon (ex-ministre
de l'Éducation nationale) et Najat Vallaud-Belkacem, les contraignant à
renoncer à un enseignement utile, porté par les ABCD de l'égalité, de
manière tout à fait contraire aux principes de la République, garante de
la laïcité de l'école publique, gratuite et obligatoire.
Ce sont donc les pires forces de la droite, libérée de son surmoi
gaulliste par le sarkozysme de gouvernement, qui s'attaquent aujourd'hui
à Najat Vallaud-Belkacem. Car il ne faut pas s'y tromper : la nouvelle
ministre de l’Éducation nationale est la cible qui cache le véritable
objectif.
La laïcité en ligne de mire
Avec cette campagne contre la ministre suspectée d'être l'otage du lobby
LGBT et complice des communautarismes les plus rétrogrades qui menacent
d'envahir la France, débute l'une de ces opérations de triangulation que
les éléments UMP les plus réacs, à l'instar de Marine Le Pen, savent
monter de manière adroite.
Dénoncer Vallaud-Belkacem la multi-communautariste, c'est le moyen le
plus sûr d'atteindre la véritable cible : la laïcité, fondement de
l'école publique.
Une fois de plus, nous allons assister dans les jours, semaines et mois
qui viennent à la triangulation de la laïcité par les forces qui lui
sont paradoxalement les plus hostiles. C'est au nom de la laïcité,
brandie contre les prétendus communautarismes incarnés par
Vallaud-Belkacem, que va se livrer le combat à venir pour la "protection
des familles".
Si Marine Le Pen a pu faire croire à sa conversion laïque, qui cache en
fait une campagne islamophobe qui ne fait pas de distinction entre les
uns et les autres, il n'y a pas de raison que la Manif pour tous,
Boutin, Morano, Wauquiez et les autres n'y parviennent pas à leur tour.
Si cette campagne peut prendre, c'est en grande partie, hélas, du fait
de Najat Vallaud-Belkacem elle-même. La Bérézina républicaine subie lors
de l'assaut mené par le mouvement "journée de retrait" de l'école
publique, avec capitulation en rase campagne de Benoit Hamon et Najat
Vallaud-Belkacem face à des forces politiques, par nature épouvantables,
n'incite pas, a priori, à considérer cette même Najat Vallaud-Belkacem
comme un ministre inspiré par la laïcité de Jaurès.
Une capacité de résistance compromise
La nouvelle ministre, en l'état, paraît peu capable de résister, au nom
de la République et de la laïcité, à des forces auxquelles il ne faut
jamais rien concéder. Sa capacité de résistance semble d'autant plus
compromise que la faiblesse du pouvoir atteint des niveaux jamais
enregistrés sous la Ve République.
Pour tout dire, la question de la capacité de Najat Vallaud-Belkacem à
porter l'héritage de Jaurès en matière d'école et de laïcité est posée.
Elle l'est d'autant plus qu'à de nombreuses reprises l'ex-ministre des
Droits des femmes s'est placée elle même dans des positions ambiguës,
prêtant le flanc à l'éternel reproche de communautarisme(s) rampant qui
lui est fait.
On citera ici, dernier exemple en date, les critiques formulées à son
encontre suite à sa dénonciation des propos de Nadine Morano
stigmatisant une femme portant un foulard sur une plage.
Certains détracteurs de l'étoile montante du hollandisme de gouvernement
(et pas nécessairement des extrémistes religieux, ce qui est un signe
alarmant) ont estimé que la ministre pratiquait une lecture de la
laïcité à deux vitesses, suivant que l'on soit femme musulmane ou pas.
C'est le cas de Lydia Guirous, fondatrice du club "Future, au féminin"
et secrétaire nationale du Parti radical en charge de la lutte contre
les discriminations et les Droits des femmes :
"Au nom d'un relativisme culturel et d'un 'politiquement correct' teinté
de culpabilité post-coloniale, il faudrait donc s'interdire de remettre
en question toute action ou comportement qui portent atteinte à
l'égalité, à la liberté et au respect de nos principes fondateurs, tels
que la laïcité ? Les Droits des femmes ne concerneraient donc plus les
femmes musulmanes de France. En somme, vous nous proposez donc un
ministère des Droits de certaines femmes, dont seraient exclues les
femmes musulmanes qui souffrent en silence, contraintes à porter le
voile, le hijab, le niqab ou la burqa…"
Le retrait des ABCD de l'égalité, un mauvais signal
Dans ce contexte, compte-tenu de la façon dont Najat Vallaud-Belkacem a
mené ses récents combats (y compris en faveur de l'indispensable
instauration du Mariage pour tous) de manière plus communautariste que
républicaine, les défenseurs de la tradition laïque de l'école ne
peuvent qu'être dubitatifs.
Le retrait des ABCD de l'égalité, défendu par la nouvelle ministre de
l’Éducation nationale, et quoi que l'on en pense, était par principe
intolérable dès lors que l'on pliait face à des communautarismes
religieux, qui plus est de la pire espèce. Le message implicite de la
séquence, comme si un communautarisme sociétal cédait face à un autre
communautarisme, de nature plus réactionnaire, était dévastateur pour la
laïcité républicaine.
Comme s'en réclamait François Mitterrand, Najat Vallaud-Belkacem
saura-t-elle se montrer "fidèle à l'enseignement de Jaurès" ?
Ce même Jaurès dont le discours de Castres (1904) mérite d'être ici cité
et médité, histoire de rappeler à Najat Vallaud-Belkacem, si besoin est,
mais aussi à la Manif pour tous, Boutin, Wauquiez et autres, le
fondement de la laïcité, inséparable de la démocratie, et imposant
l’établissement par la nation d'un enseignement laïque :
"Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation
de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant.
Comment l’enfant pourra-t-il être préparé à exercer sans crainte les
droits que la démocratie laïque reconnaît à l’homme si lui-même n’a pas
été admis à exercer, sous forme laïque, le droit essentiel que lui
reconnaît la loi, le droit à l‘éducation ?
Comment, plus tard, prendra-t-il au sérieux la distinction nécessaire
entre l’ordre religieux, qui ne relève que de la conscience
individuelle, et l’ordre social et légal qui est essentiellement laïque,
si lui-même dans l’exercice du premier droit qui lui est reconnu, et
dans l’accomplissement du premier devoir qui lui est imposé par la loi,
il est livré à une entreprise confessionnelle et trompé par la confusion
de l’ordre religieux et de l’ordre légal ?
Qui dit obligation, qui dit loi, dit nécessairement laïcité. Pas plus
que le moine, ou le prêtre ne sont admis à se substituer aux officiers
de l‘État civil dans la tenue des registres, dans la constatation
sociale des mariages ; pas plus qu’ils ne peuvent se substituer aux
magistrats civils dans l’administration de la justice et l’application
du Code, ils ne peuvent, dans l’accomplissement du devoir social
d‘éducation, se substituer aux délégués civils de la nation,
représentants de la démocratie laïque."
L'heure de vérité approche
Najat Vallaud-Belkacem saura-t-elle dire, à l'exemple de Jaurès, à la
Manif pour tous et ses supporters, que la meilleure façon de protéger
les enfants, c'est justement d'écarter de l'école laïque les parents mus
par des présupposés religieux, de leur interdire de la pervertir, de les
empêcher d'y imposer leurs croyances ?
Si la nouvelle ministre est l'héritière de Jaurès, républicaine, laïque
(et socialiste), elle saura dire à ces forces anti-laïques que l'école
de la République est aussi là pour libérer les enfants de leurs parents.
Et vite. Et sans tergiverser. Et sans négocier. Et sans ambiguïté.
L'heure de vérité approche.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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