[Laicite-info] Un chef d'entreprise se met hors la loi pour relancer le débat sur la laïcité

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 10 Fév 11:50:28 CET 2014


Un chef d'entreprise se met hors la loi pour relancer le débat sur la 
laïcité

Publié par : LE MONDE
Le :  10.02.2014
Par Denis Cosnard

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L'entreprise privée doit-elle devenir un lieu laïc, neutre, où le port 
de tout signe religieux ostensible est prohibé, comme dans les services 
publics ?

Jean-Luc Petithuguenin, le PDG et fondateur du groupe Paprec, spécialisé 
dans la collecte et le recyclage des vieux papiers, des piles, etc., en 
est convaincu. Et ce patron, militant antiraciste revendiqué, a décidé 
de joindre le geste à la parole.

FAVORISER LE « VIVRE-ENSEMBLE »

Inquiet de la montée tant de l'intégrisme que du Front national, il 
vient de rédiger une « charte de la laïcité et de la diversité » pour 
que son entreprise reste, dit-il, un havre de paix, où les salariés 
travaillent ensemble quelles que soient leurs origines et leurs 
convictions. Pour relancer le débat, aussi, après l'affaire de la crèche 
Baby Loup, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), où une salariée voilée a 
été licenciée en 2008.

Validé par le personnel, le texte doit être présenté lors d'une 
conférence de presse, mardi 11 février. Il est désormais censé 
s'appliquer aux 4 000 salariés du groupe fondé à La Courneuve 
(Seine-Saint-Denis).

Plusieurs des huit points de cette charte relèvent de la déclaration de 
bonnes intentions. Il s'agit de favoriser « la cohésion d'entreprise, le 
respect de toutes les diversités et le vivre-ensemble », indique, ainsi, 
le premier paragraphe.

« DEVOIR DE NEUTRALITÉ »

Jean-Luc Petithuguenin entend à la fois formaliser ce qui se pratique 
déjà dans le groupe, où coexistent 52 nationalités, et poser des règles 
pour l'avenir. Un exemple ? « Nous n'avons pas de salle de prière, 
indique le PDG. Avec ce corps de doctrine, nous pourrons dire niet si 
des salariés en font la demande. »

Deux paragraphes vont nettement plus loin. L'un assigne un « devoir de 
neutralité » aux salariés : « Ils ne doivent pas manifester leurs 
convictions politiques ou religieuses dans l'exercice de leur travail. »

L'autre édicte une seconde interdiction : « Le port de signes ou tenues 
par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une 
appartenance religieuse n'est pas autorisé. » Cela vise en particulier 
le foulard islamique.

Avec ces deux principes, la direction de Paprec va au-delà de la loi. La 
législation française donne la priorité à la liberté de conviction, qui 
comprend celle de manifester sa religion. Dans ces conditions, « 
l'entreprise ne peut être érigée en lieu neutre », rappelle le 
gouvernement dans son guide La Gestion du fait religieux dans 
l'entreprise privée, publié mi-décembre 2013.

« ON PREND LE RISQUE D'ÊTRE ATTAQUÉS AU TRIBUNAL »

« L'interdiction générale de toute conversation à caractère religieux ou 
du port de tout signe religieux ne peut être imposée aux salariés », 
confirme l'Association française des manageurs de la diversité, en 
rappelant la jurisprudence du Conseil d'Etat : « Imposer un devoir de 
neutralité serait une négation de la liberté religieuse. »

Seules sont autorisées des limitations précises, justifiées, par 
exemple, par l'hygiène ou la sécurité : un maçon ne peut pas refuser de 
mettre son casque au motif que ses convictions lui interdisent de couper 
ses cheveux.

Ces règles, le patron de Paprec les connaît, et ses juristes les lui ont 
rappelées. C'est en connaissance de cause qu'il a choisi de s'inscrire 
hors la loi. « C'est vrai, en théorie, on peut venir au travail avec des 
signes distinctifs religieux, reconnaît M. Petithuguenin. Mais nous n'en 
voulons pas. On prend le risque d'être attaqués au tribunal. »

Un risque mûrement pesé. Le patron estime que sa charte s'appuie sur une 
forte légitimité. Elle a été validée par les délégués du personnel, et 
par référendum dans les usines où il n'y en a pas. « On a obtenu 100 % 
», se félicite le PDG.

« MONTÉE DU FANATISME »

« En Yougoslavie, j'ai vu la montée du fanatisme, appuie Miroslav 
Rancic, l'un des délégués. Cela a commencé par de petites blagues entre 
collègues. Quand je vois comment cela monte aujourd'hui en France, cela 
fait peur. »

Surtout, M. Petithuguenin juge nécessaire de « faire bouger les lignes 
». Il espère que d'autres patrons le suivront, et que les règles changeront.

Le terrain peut être jugé favorable. Actuellement, la justice peine à 
fixer sa doctrine sur la laïcité dans les secteurs associatif ou privé, 
comme l'ont montré les multiples rebondissements de l'affaire de la 
crèche Baby Loup.

En mai 2013, le député (UMP) Eric Ciotti a voulu clarifier la situation 
et a rédigé une proposition de loi visant à interdire tout port de signe 
religieux dans les entreprises. Elle n'a pas été adoptée, mais le sujet 
pourrait revenir à l'ordre du jour, d'autant que les demandes à 
caractère religieux sur le lieu de travail tendent à augmenter.

Mais, en lançant le débat, le PDG de Paprec prend un autre risque. Celui 
de susciter des crispations, alors que, reconnaît-il, le sujet n'a, pour 
l'heure, provoqué aucun problème dans son groupe

     Denis Cosnard
     Journaliste au Monde

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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