[Laicite-info] L'école piégée par la question laïque ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 6 Jan 10:34:57 CET 2014


L'école piégée par la question laïque ?

Publié par : http://www.cafepedagogique.net/
Le : 27/12/13

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La dernière recommandation de V Peillon à propos des accompagnatrices 
voilées s'ajoute à une longue série de décisions similaires de ses 
prédécesseurs. Or dans le contexte de l'Ecole française, ces 
instructions ministérielles sont particulièrement contre productives. 
L'expérience montre qu'elles pourraient avoir des suites dommageables. 
Elles vont exactement à l'opposé de la politique affichée par le 
ministère qui dit défendre une école juste, inclusive et vouloir lutter 
contre le décrochage.

Lancé et alimenté par la droite, le nouveau débat sur la laïcité 
empoisonne la vie scolaire depuis une dizaine d'années. Chaque échéance 
électorale rallume une mèche nauséabonde car le débat vise, chacun le 
sait, l'Islam. Rappelons-nous, pendant la dernière campagne des 
présidentielles, le "pacte républicain" diffusé par l'UMP qui ciblait 
précisément cette religion. "Alors que l’Europe sécularisée avait 
presque oublié la question religieuse, le développement de l’islam la 
remet à l’ordre du jour et rend nécessaires certaines clarifications 
parce que des valeurs essentielles de la République sont remises en 
cause... et que cela fragilise l’ensemble de la communauté nationale", 
écrivait l'UMP. Rappelons nous les propos de Nathalie Kosciusko-Morizet, 
alors ministre, à propos "des enfants de 6 ans qui refusent de manger du 
hachis Parmentier à la cantine sous prétexte que le boeuf n'a pas été 
égorgé comme il est prescrit rituellement"... Force est de constater que 
la loi de 2004 n'y a pas mis fin. La charte de la laïcité non plus.

Ces campagnes trouvent une appui formidable dans une histoire et une 
conception de l'Ecole. Après tout, l'école républicaine s'est construite 
sur la méfiance envers les parents. Elle a développé , et la société 
française à sa suite, une conception de l'intégration qui repose sur 
l'uniformité. Parents et élèves n'ont pas de droits réels dans une Ecole 
qui se veut une institution étanche au monde. Ses références chrétiennes 
lui semblent aller de soi. L'Ecole accueille et fait se développer des 
élèves sur des parcours homogènes. L'hétérogénéité comme la diversité 
lui posent problème. Enfin, l'Ecole a pu longtemps mettre de coté une 
proportion énorme d'élèves sans que cela pose de problème à la société 
qui ne voyait pas chez elle le principal moteur d'ascension sociale.

Aujourd'hui ce débat laïc ne pèserait pas si lourd si le contexte de 
l'Ecole française n'était devenu discriminatoire. Pisa vient de nous 
rappeler que l'Ecole française est particulièrement injuste socialement. 
La même enquête montre aussi qu'en France les résultats scolaires sont 
liés à l'origine ethnique. A condition sociale égale, on observe un fort 
écart (environ une année d'école) entre un jeune autochtone et un 
allochtone. Les travaux de G Felouzis ont mis en évidence les phénomènes 
discriminatoires dans le système éducatif. En 2004, il nous disait " On 
ne peut pas parler de xénophobie ou de racisme. Mais on observe en effet 
de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes 
que d'autres : c'est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, 
d'Afrique noire ou de Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et 
non. Oui car cela crée une situation sociale qui produit une 
identification de l'individu sur une base ethnique qu'il soit allochtone 
ou autochtone. Dans les collèges, on observe que ça incite à produire 
des identités centrées sur l'ethnicisation". Ce ne sont évidemment pas 
les personnels qui créent cette situation. Mais l'organisation même de 
l'Ecole. Par exemple le fait que l'on trouve normal que la scolarité 
post bac des enfants des milieux favorisés coute 4 fois plus cher que 
celles des collégiens de zep et 2 fois plus cher que le cout d'un 
étudiant... Cet "apartheid scolaire", pour reprendre la formule de G 
Felouzis, est devenu si banal qu'il ne suscite même plus de réactions 
lors des visites d'établissements, de lycées professionnels par exemple. 
Dans ce contexte, toute mesure qui cible une catégorie déjà discriminée 
accentue le sentiment de discrimination. Or c'est bien le cas des jeunes 
de tradition musulmane.

La mesure prise par V Peillon intervient aussi à un moment où l'Ecole 
semblait vouloir repartir sur de nouvelles bases. La loi d'orientation a 
rompu avec l'ancienne conception de l'Ecole en adoptant l'idée d'une 
école inclusive. C'est à dire non pas une Ecole où l'élève doit se 
fondre dans le moule pour être inclus mais une Ecole qui accepte la 
différence. En même temps, elle fait de la lutte contre l'échec et le 
décrochage scolaires des priorités absolues. Et c'est aussi ce que nous 
imposent les résultats de Pisa. Pour l'Ecole française, la scolarité des 
jeunes issus de l'immigration devrait devenir l'objectif principal.

Or on aurait tort de croire que les propos ministériels sont sans 
conséquences. En 2011, avant même l'écriture de la circulaire de 2012, 
après les déclarations de Luc Chatel soutenant une directrice qui avait 
interdit d'accompagnement des sorties des mères voilées, on avait vu les 
incidents se multiplier. Dans tel collège une mère portant un fichu à 
fleurs était interdite d'entrée. Dans tel autre des élèves portant une 
robe trop ample menacées d'exclusion. Pourtant Luc Chatel avait pris la 
précaution d'équilibrer sa décision avec la création d'un "conseil 
scientifique sur les discriminations à l'école", confié à François 
Héran, qui n'a pas laissé un grand souvenir..

Peut-on mettre un terme à la surenchère sur la laïcité en la récupérant 
? C'est bien ce que fait V Peillon qui en tente une lecture de gauche en 
faisant inscrire dans la loi d'orientation l'enseignement de la morale 
laïque puis en publiant sa "charte de la laïcité". La décision 
ministérielle de se rabattre sur les thèses sarkozistes de L. Chatel 
est-elle à même de clore le débat ou va-t-elle alimenter les fantasmes ? 
Elle interroge en tous cas sur les priorités éducatives du ministère. 
Faudrait-il un rééquilibrage ?

François Jarraud





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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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