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Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 14 Nov 16:12:49 CET 2014
Laïcité : pourquoi Najat Vallaud-Belkacem a raison
Publié par :
http://www.marianne.net/Laicite-pourquoi-Najat-Vallaud-Belkacem-a-raison_a242771.html
Le : Vendredi 14 Novembre 2014
Par : Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène
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Le président de l'Observatoire de la laïcité et son rapporteur général
ont peu goûté la lettre à la ministre de l'Education nationale que nous
avons récemment publiée
(http://www.marianne.net/Laicite-lettre-a-Najat-Vallaud-Belkacem_a242626.html).
Celle-ci lui reprochait sa vision de la laïcité et le fait qu'elle
accepte les mères avec voile dans les sorties scolaires. "Quelle serait
votre position sur un papa portant une kippa pour accompagner sa fille
?", interrogent-ils. Et de poursuivre : "Chacun de ses individus a une
raison de le faire, ce n’est justement pas à l’Etat laïque de juger de
la pertinence de cette raison".
En conclusion de sa tribune à laquelle nous réagissons aujourd’hui,
Alban Ketelbuters, doctorant à l’université de Montréal, cite une
essayiste célèbre pour évoquer une « laïcité défensive ».
Nous lui rétorquons que la laïcité n’a pas à être adjectivée. Elle n’a
pas à être « défensive » pas plus qu’elle ne doit être de « combat »,
comme l’a très justement rappelé Najat Vallaud-Belkacem lors de son
audition devant l’Observatoire de la laïcité.
La laïcité n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise
toutes, sous réserve du respect des principes de liberté de conscience
et d'égalité des droits. C’est pourquoi, elle n’est ni pro, ni
antireligieuse. L’adhésion à une foi ou à une conviction philosophique
relève ainsi de la seule liberté de conscience de chaque femme et de
chaque homme.
Une des missions de l’Observatoire de la laïcité consiste bien à
défendre la laïcité. Tout court. C’est-à-dire, la liberté de croire ou
de ne pas croire, et de l’exprimer dans les limites de l’ordre public et
de la liberté d’autrui. Également, la séparation de l’Etat et des
organisations religieuses. Cette séparation « des Eglises et de l’Etat »
implique que l’Etat ne reconnaît, ne subventionne, ni ne salarie, aucun
culte et, par suite, ne se mêle pas du fonctionnement des Eglises. De
cette séparation se déduit la neutralité de l’Etat, des collectivités et
des services publics, mais pas celle des citoyens. La France, République
laïque, « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion ». Le service public ne
peut donc montrer une préférence, ou faire preuve d’une attitude
discriminatoire, selon l’appartenance ou la non-appartenance religieuse,
réelle ou présumée, de ses usagers.
Cette définition de la laïcité découle de la loi du 9 décembre 1905,
dont nous souhaitons d’ailleurs voir commémorer chaque année
l’anniversaire, à travers des animations interactives. Elle est un
principe majeur du vivre ensemble et suppose le refus de son
instrumentalisation à des fins stigmatisantes.
Monsieur Ketelbuters, votre obsession sur le foulard et le monde arabe
est contestable. On peut être troublé par certains vêtements, certains
peuvent mêmes les considérer, comme vous, comme un « étendard de la
domination masculine ». Mais il s’agit d’une opinion parmi d’autres. Les
femmes concernées pourront vous dire l’inverse, vous expliquer chacune
ce qui motive le port du voile. Quelle serait votre position sur un papa
portant une kippa pour accompagner sa fille ou un sikh portant un turban
pour accompagner ses jumeaux au musée ? N’y aurait-il pas une pointe de
sexisme paternaliste dans votre manière de prendre la défense des femmes
? Chacun de ses individus a une raison de le faire, ce n’est justement
pas à l’Etat laïque de juger de la pertinence de cette raison.
En effet, le respect de la laïcité ne suppose pas de se concentrer sur
la seule apparence. D’une part, cela serait une porte ouverte aux
discriminations, d’autre part, nous ne saurions où placer le curseur.
Jusqu’à quel point une femme (puisqu’il s’agit des femmes dans votre
texte) peut être vêtue ou dévêtue ? Aristide Briand, « père » de la
laïcité française, le disait déjà en 1905 : il serait « ridicule, que de
vouloir par une loi (…) de liberté, imposer (…) l’obligation de modifier
la coupe des vêtements ».
Monsieur Ketelbuters, vous parlez d’une norme sociale que vous voudriez
voir mise en place, pas de la laïcité. Rêvez-vous d’un monde où tout le
monde s’habillerait selon la modernité validée par on ne sait qui, avec
des jupes dont la longueur convient à la femme libérée et des coiffes
proclamant l’insoumission ?
Le respect de la laïcité suppose en revanche de se concentrer sur les
comportements agressifs ou les pressions religieuses qui peuvent être
exercées ici ou là. Ce sont ces comportements qui doivent être fermement
refusés et sanctionnés.
Monsieur Ketelbuters, connaissez-vous vraiment la réalité de terrain ?
Vous énumérez les éternels mêmes exemples bien connus, mais en quoi
sont-ils le reflet de la réalité ? Quels sont les chiffres et quels sont
les données objectives ? Nous n’en saurons rien car vous préférez
impressionner par l’anecdote plutôt qu’éclairer par la statistique.
Pour cause, la réalité est toute autre. Notre première tâche a été de
réaliser un état des lieux le plus objectif et impartial possible, à
partir des remontées d’associations privées, des administrations
concernées et des acteurs de terrain. Et il nous a surpris nous-mêmes
tant il diverge d’un certain traitement médiatique.
Mais, à l’inverse de ce qu’affirme de façon péremptoire Monsieur
Ketelbuters, si nous considérons que la France « n’a pas de problème
avec sa laïcité » parce que ce principe est partagé par la
quasi-totalité des citoyens, ni l’Observatoire de la laïcité ni même son
président n’a dit qu’il n’y avait « pas de problème ».
Il y en a et il faut y répondre fermement. Ils sont peut-être plus
visibles qu’auparavant, parfois plus violents, plus « explosifs » et
soumis à une plus forte médiatisation, via les chaînes d’informations en
continue, Internet, les réseaux sociaux, etc. Mais ils sont finalement
assez rares et dans la quasi-totalité des cas, se règlent par le
dialogue et le simple bon sens.
Bien sûr, dans un but de « clientélisme électoral » inavoué, afin de
justifier les peurs qu'ils voudraient voir partager ou, même, de
maquiller leur racisme en noble cause, certains, en particulier à
l’extrême droite, prennent le risque d’alimenter ou d’encourager par la
pression constante ou la stigmatisation permanente l’apparition de
nouveaux problèmes. Ils réécrivent les faits ou mélangent les genres et
procèdent à la mise en scène de leurs prophéties. Ils font souvent peu
de cas de la rigueur, saturent l’espace de leur présence, réussissant la
prouesse d’imposer dans l’espace commun une idée du réel qui n’existe
pas, ou peu. Les récents sondages sur la perception du poids des
musulmans en France ou sur la réalité du communautarisme en ont donné un
aperçu inquiétant.
Nous pensons à l’inverse que, collectivement et en particulier les élus,
les acteurs de terrain et les médias, nous devons être responsables dans
nos actions et dans nos déclarations.
C’est pourquoi nous vous appelons, non pas à l’exacerbation des
problèmes, mais à la recherche de solutions aux problèmes réels qui se
posent sur le terrain.
Nous vous invitons donc, Monsieur Ketelbuters, à lire nos premiers
travaux, nombreux et tous adoptés à l’unanimité des membres de
l’Observatoire (sauf un, adopté à une très large majorité).
Vous pourrez ainsi découvrir nos « guides pratiques » rappelant le droit
et ce que la laïcité permet et ce qu’elle interdit. Vous ne les
mentionnez pas, pourtant, ces guides sont très bien reçus et utilisés
par les acteurs de terrain, dans le secteur socio-éducatif, dans les
collectivités locales, et même dans les entreprises privées.
À l’Observatoire de la laïcité, nous cherchons des solutions. Nous
refusons donc d’alimenter une polémique stérile et dépassée sur les
adjectifs qu’il faudrait associer à la laïcité, qui pour nous se suffit
à elle-même.
* Jean-Louis Bianco est président de l'Observatoire de la laïcité auprès
du Premier ministre et Nicolas Cadène en est le rapporteur général.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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