[Laicite-info] Jean Baubérot: “Dans la laïcité historique, il y a toujours eu une prise en compte des croyances”

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 18 Aou 09:14:19 CEST 2015


Jean Baubérot: “Dans la laïcité historique, il y a toujours eu une prise 
en compte des croyances”


Publié par : http://www.lesinrocks.com
Le : 17/08/2015

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Jean Baubérot, fondateur de la sociologie de la laïcité, réagit à la 
polémique sur les repas de substitution sans porc et précise sa vision 
d’une laïcité ouverte aux diverses croyances.


Gilles Platret, maire (Les Républicains) de Chalon-sur-Saône, s’est 
réjoui du rejet par le tribunal administratif de Dijon d’un recours de 
la Ligue de défense judiciaire des musulmans contre la suppression des 
repas de substitution sans porc dans les cantines scolaires de sa ville. 
Le tribunal estime qu’il n’y a pas urgence à statuer puisque aucun repas 
contenant du porc ne sera servi avant le 15 octobre à Chalon.

Quelle est votre réaction lorsque Gilles Platret invoque le “principe de 
laïcité” pour expliquer sa mesure ?

Jean Baubérot – Je pense que c’est une invocation fallacieuse. Quand 
Jules Ferry a créé l’école laïque, il a annoncé qu’il n’y aurait pas 
école le jeudi pour faciliter la tenue du catéchisme. Autrement dit, 
l’école laïque est neutre face à toutes les religions et les 
convictions, c’est-à-dire qu’elle n’enseigne pas une religion de manière 
doctrinale, mais elle respecte, autant que faire se peut, la liberté 
religieuse et convictionnelle des élèves. Traditionnellement, on servait 
du poisson le vendredi – et je pense que dans beaucoup de cantines 
scolaires c’est toujours le cas – à cause de l’interdiction, chez les 
catholiques, de manger de la viande ce jour-là.

Pourtant, pour justifier cette mesure, le maire de Chalon-sur-Saône fait 
lui aussi appel à la notion de neutralité de l’Etat : il affirme vouloir 
conserver “l’espace de neutralité” que sont les cantines scolaires.

Le problème est que Gilles Platret transforme en question de principe 
quelque chose qui peut présenter quelques difficultés pratiques – mais 
sans doute pas dans sa ville. Chez lui, c’est une décision clairement 
idéologique. Or, il a tort car il fait comme si la laïcité signifiait ne 
pas tenir compte des convictions religieuses, ce qui n’est pas du tout 
le cas. Il ne s’agit pas, aujourd’hui, de demander aux cantines de 
s’abstenir de servir du porc, seulement de tenir compte des croyances 
des élèves.

Dans la laïcité historique, il y a toujours eu cette prise en compte. La 
neutralité de Jules Ferry est une neutralité accommodante, bienveillante 
envers la liberté de croire ou de ne pas croire. Ce n’est pas une 
neutralité de combat, visant les minorités, comme celle qu’invoque le 
maire de Chalon. Celle-ci aura bien sûr, comme conséquence pratique : 
soit que certains enfants s’abstiendront de manger les jours où ne sera 
servi que du porc, soit l’éclosion d’écoles confessionnelles dans sa 
ville. Ce n’est pas le rôle des élus de la République de favoriser les 
écoles confessionnelles.

Pour vous, le discours de Gilles Platret est donc anti-laïc ?

Il a, au sujet de la laïcité, un double discours : je ne pense pas qu’il 
prendrait une mesure analogue si ça visait le catholicisme. Dernièrement 
Valérie Pécresse, qui appartient au même parti, a dit clairement: “Ce 
qu’on a donné aux catholiques et aux juifs par le passé, on doit aussi 
pouvoir le donner aux musulmans de France” (propos cités par le Canard 
Enchaîné du 29 juillet et démentis depuis par Valérie Pécresse elle-même 
sur son site de campagne – ndlr). C’est un discours qui me semble 
beaucoup plus laïc.

Au sein même du parti Les Républicains et à droite en général, il y a 
une coupure entre ceux qui défendent des positions laïques dans la 
filiation de la laïcité historique – on pourrait citer Alain Juppé – et 
d’autres qui courent après l’idéologie du Front national.

D’ailleurs, l’UDI Yves Jégo a proposé qu’on inscrive dans la loi des 
repas substitutifs végétariens – pour les élèves de confession juive ou 
musulmane ou pour des enfants qui, pour des raisons médicales ou de 
goût, préféreraient de tels menus. A mon avis, c’est difficile de créer 
une loi pour cela dans la mesure où il peut y avoir des obstacles 
pratiques : des écoles où il n’y a que quelques élèves dans ce cas et où 
organiser deux repas s’avérerait compliqué, par exemple.

Comment fait-on, alors, pour lutter contre cette mauvaise interprétation 
du concept de laïcité ?

C’est une position idéologique, donc on doit la combattre politiquement, 
comme une mesure anti-républicaine qui va contre le troisième terme de 
la devise de notre pays, la fraternité. La fraternité, ça ne se met pas 
dans des dispositifs juridiques.

Qui doit mener cette lutte, selon vous ? Le gouvernement ?

Je dirais plutôt que c’est à la société civile de combattre cette 
mesure. Les associations antiracistes doivent faire pression, les médias 
doivent jouer leur rôle également et, de manière plus large, les gens 
doivent prendre conscience que des mesures de ce genre favorisent 
l’extrémisme, parce qu’évidemment, les musulmans se sentent visés, 
stigmatisés. C’est du pain bénit pour les “prêcheurs en eaux troubles”. 
Devoir tout régler sur le plan juridique signifierait, en quelque sorte, 
une démission des citoyens.

Récemment, vous vous êtes montré favorable à ce que le gouvernement 
réinstaure la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour 
l’égalité (Halde, organisme indépendant mis en place par Jacques Chirac 
en 2005 et dissoute en 2011 par Nicolas Sarkozy, ndlr). Pourquoi 
serait-elle utile dans un cas comme celui des menus de substitution dans 
les cantines scolaires ?

La Halde avait un rôle infra-juridique. Elle pouvait dire “c’est une 
mesure discriminatoire” et la dénoncer comme telle. Elle n’aurait pas 
mis le maire en prison pour autant, mais il y aurait eu une publicité 
sur le caractère discriminatoire de cette position. Elle attirait 
l’attention du citoyen et éveillait sa conscience, et en général ça 
permettait de résoudre le problème.

Sous Jacques Chirac, la Halde a empêché la loi de 2004 (loi sur les 
signes religieux dans les écoles publiques françaises, ndlr) de déborder 
de son objet, mais Nicolas Sarkozy l’a supprimée – là encore on voit les 
deux cultures qui s’affrontent au sein du parti qui a été le RPR, puis 
l’UMP et qui s’appelle aujourd’hui Les Républicains.

Aujourd’hui, les missions de la Halde ont été transmises au Défenseur 
des droits. Qu’est-ce que ça change ?

“Qui trop embrasse mal étreint.” La fonction du défenseur des droits est 
vraiment très large, or une même personne ne peut pas tout faire. En 
faisant ça, Nicolas Sarkozy n’a pas fait un acte neutre sur le plan 
politique et idéologique : il a fait disparaître l’organisme qui était 
chargé de lutter contre les discriminations et d’attirer l’attention sur 
tel ou tel acte discriminatoire.

Pourquoi le gouvernement ne l’a pas remis en place, selon vous ?

Bien sûr, ce n’est pas évident car il ne faut pas que ça ait l’air d’un 
signe de défiance envers le Défenseur des droits. Quand j’explique 
l’importance de réinstaurer la Halde à des gens de gauche, ils le 
prennent comme ça.  Mais pour moi, c’est un insuffisance de réflexion 
théorique : la lutte contre les discrimination est une lutte spécifique. 
Je crois que la gauche n’est pas assez claire sur le plan idéologique à 
ce propos.

Dans une interview à L’Express, vous disiez que, lorsque Nicolas Sarkozy 
était au pouvoir, “la laïcité n’est pas pour tous les Français, mais un 
passeport obligatoire pour les immigrés”. Est-ce toujours le cas 
aujourd’hui, après trois ans avec la gauche au pouvoir ?

Non. Le gouvernement n’a pas rétabli la Halde, mais il a fait quelque 
chose de tout à fait positif à mon sens : il a enlevé le dossier 
“laïcité” au Haut Conseil à l’intégration – qui l’avait repris sous 
Sarkozy, acte notoirement discriminatoire –  et il a créé effectivement 
une instance que Jacques Chirac avait créée théoriquement mais qui 
n’avait pas eu d’application pratique, l’Observatoire de la laïcité. Ce 
petit organisme fonctionne bien et a une vision de la laïcité dans la 
logique de la loi de 1905. Mais on ne sort pas des années Sarkozy et 
d’un brouillage idéologique comme ça, et il y a toujours des gens qui se 
servent du terme de laïcité pour cacher leur islamophobie.


Les sept laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe 
pas, de Jean Baubérot,
éd. Maison des sciences de l’Homme, 12€


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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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