[Laicite-info] Rentrée scolaire : la laïcité à marche forcée

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 31 Aou 09:41:05 CEST 2015


Rentrée scolaire : la laïcité à marche forcée

Publié par : LE MONDE
Le : 31.08.2015

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Après deux rentrées des classes marquées par le changement des rythmes 
scolaires, celle qui s’annonce mardi 1er septembre – la troisième 
préparée par la gauche – est résolument placée sous le signe de deux 
notions intimement liées : citoyenneté et laïcité. Au risque de 
hérisser, par un excès de zèle, une partie du corps enseignant et de la 
société.

L’école de la République avait été pointée du doigt au lendemain des 
attentats de janvier, l’éducation nationale mise en cause lorsqu’ont 
retenti des « Je ne suis pas Charlie » dans quelque 200 collèges et 
lycées. Huit mois ont passé et c’est en classe, du CP à la terminale, 
que la rue de Grenelle avance sa réponse. Ou plutôt ses réponses : 
nouvel enseignement moral et civique, « réserve citoyenne », prévention 
de la radicalisation, « commémorations patriotiques », journée de la 
laïcité… Une bonne partie des mesures déclinées par Najat 
Vallaud-Belkacem lors de sa conférence de presse de rentrée, le 24 août, 
entendent replacer l’école « au cœur de la République ». Toutes sont 
d’ailleurs issues de la « grande mobilisation de l’école pour la défense 
des valeurs républicaines » engagée par François Hollande, le 21 janvier.

Dans le périmètre immédiat de l’école, aussi, la référence à la laïcité 
est forte. Sur les temps périscolaires, des ateliers voient le jour, à 
Paris par exemple, pour sensibiliser les enfants au vivre-ensemble. 
L’enseignement supérieur n’est pas en reste avec la réédition, le 17 
septembre, du guide Laïcité et enseignement supérieur publié en 2004, 
année de la loi interdisant le voile à l’école.

Un thème de rentrée omniprésent… au risque de l’être trop ? Il faut dire 
que le paysage scolaire n’est pas bouleversé outre mesure par d’autres 
nouveautés. La réforme des zones d’éducation prioritaires (ZEP) est 
certes généralisée, mais c’est en 2014 qu’elle a fait débat, lorsqu’il a 
fallu sélectionner le millier de réseaux à labelliser. Quant au collège 
et à ses nouveaux programmes attendus pour 2016, c’est courant septembre 
– voire en octobre – que l’on saura si la mobilisation des opposants 
reprend.

« Excès de zèle »

Sur le terrain, enseignants et chefs d’établissement saluent volontiers 
« le principe » de cette rentrée placée sous le sceau de la citoyenneté, 
même si les « effets d’annonce » les hérissent un peu. « Attention à la 
surenchère d’initiatives, alerte Hubert Tison, de l’Association des 
professeurs d’histoire-géographie. Parmi les élèves, et même parmi les 
enseignants, tout le monde n’a pas le doigt sur la couture du pantalon. 
Les excès de zèle en matière de laïcité, sur les commémorations 
patriotiques, on sait très bien les querelles que cela soulève… 
L’essentiel, c’est de laisser une marge d’autonomie aux enseignants, 
demande-t-il. Une bonne équipe réussit toujours à mobiliser sa classe. »

Du côté des principaux de collège, même accueil prudent. « C’est encore 
une chance qu’après ce qui s’est passé en janvier, on n’ait pas tout 
oublié, témoigne Philippe Tournier, porte-parole du syndicat 
SNPDEN-UNSA. Mais l’Etat reste ambigu sur la laïcité : il agite les 
grands principes tout en nous enjoignant, sur le terrain, de faire 
preuve de “discernement” face aux difficultés. » « Or il est illusoire 
de penser qu’un consensus existe dans ce domaine, conclut ce principal 
d’un établissement parisien, ou de croire ou que les polémiques peuvent 
être évitées. »

Celles-ci ont déjà refait surface sur les réseaux sociaux. En cause : la 
signature désormais obligatoire de la Charte de la laïcité par les 
familles, document de 15 articles qui n’avait plus vraiment fait débat 
depuis son affichage, il y a deux ans, dans toutes les écoles et les 
établissements publics. Sa présentation, à la rentrée 2013, avait été 
saluée par la majorité du corps enseignant, tout en étant jugée 
discriminante par certains – dont des institutions religieuses comme le 
Conseil français du culte musulman. « Si quelqu’un refuse de signer, on 
fait quoi ? On engage des poursuites ? », demandent des enseignants sur 
la Toile. « C’est tellement marrant de lire ici et là qu’on veut 
“promouvoir les valeurs de la République” à l’école. C’est comme vivre 
en Théorie », commente sur Twitter Sihame Assbague, porte-parole du 
collectif Stop le contrôle au faciès, qui raille ainsi « la rentrée 
archi-Charlie ».

« Laïcité à deux vitesses »

« Que cette charte ne s’applique pas aux deux millions d’élèves de 
l’enseignement privé, n’est-ce pas la preuve d’une laïcité à deux 
vitesses ? », interroge Béatrice Mabilon-Bonfils. Pour cette sociologue, 
auteure de La laïcité au risque de l’Autre (éd. de l’Aube, 2014), les 
injonctions qui pleuvent sur la communauté éducative depuis janvier vont 
dans un bien mauvais sens. « Ce discours moralisateur surplombant 
l’élève, les familles, et qui semble tomber d’en haut alors qu’eux-mêmes 
expérimentent au quotidien un système éducatif inégalitaire, cela ne 
peut pas parler aux jeunes, observe la professeure à l’université de 
Cergy-Pontoise. On leur vante la fabrique du “commun” et, dans la 
pratique, les écarts de réussite se perpétuent à tous les niveaux du 
système éducatif ! »

La loi de refondation de l’école (juillet 2013) a pourtant inscrit noir 
sur blanc la réduction des inégalités comme une priorité, mais celle-ci 
n’est guère visible pour les observateurs de l’école, même après trois 
rentrées préparées par la gauche. Ce qu’ils observent en revanche 
aujourd’hui, c’est le coup d’accélérateur mis sur le « volet citoyenneté 
». Une « précipitation » dénoncée par le SNES-FSU, majoritaire dans le 
secondaire, qui voit dans le nouvel enseignement moral et civique un « 
bricolage aberrant ». Or ces critiques rencontrent d’autant plus d’écho 
que le volet formation promis par le gouvernement a, lui, pris du retard.

« Sur la laïcité, il y a bien une accélération, mais on est dans 
l’exacte filiation du projet porté, dès 2012 par Vincent Peillon, 
tempère l’historien Claude Lelièvre. Il ne faut pas se tromper de 
laïcité. On vise là une laïcité de conscience, de conviction, et pas de 
réglementation ou de prescription. Dans la lignée de Jules Ferry pour 
qui la tâche première de l’école républicaine, avant même le 
lire-écrire-compter, était de faire des petits Républicains. »

Pas d’impréparation non plus aux yeux de Jean Baubérot, auteur de La 
Laïcité falsifiée (éd. La Découverte, 2014), qui dit partager cette 
conception de la laïcité « comme liberté de penser et de croire ». Mais 
« il faut que l’institution soit prête à impliquer les parents, à 
entendre leurs doutes et leurs questions, et à absolument les prendre en 
compte, prévient-il. S’il n’y a pas ce mouvement dialectique entre la 
rue de Grenelle et les familles, entre l’éducation nationale et les 
jeunes qu’elle encadre, le risque de réveiller les crispations existe. »

     Séverin Graveleau
     Journaliste au Monde

     Mattea Battaglia
     Journaliste au Monde


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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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