[Laicite-info] Aux sources de la laïcité en France

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 3 Mar 09:54:02 CET 2015


Aux sources de la laïcité en France

Publié par : 
https://lejournal.cnrs.fr/articles/aux-sources-de-la-laicite-en-france
Le : 02.03.2015,
par Anne Brucy

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Depuis les attentats, la laïcité est sur toutes les lèvres. Mais d’où 
vient ce concept et quand la France l’a-t-elle adopté ? Dans ce deuxième 
volet de notre série consacrée à l’«après-Charlie», «CNRS Le journal» 
revient, avec le chercheur Philippe Portier, sur l’histoire de ce mot 
qui ne semble plus couler de source.

« Aujourd’hui, la laïcité se définit par deux grandes idées : 
l’autonomie du sujet et la neutralité de l’État, explique Philippe 
Portier, directeur du groupe Sociétés, religions, laïcités1. La première 
est fondée sur la liberté de conscience et d’opinion, autrement dit sur 
la capacité de construire son existence indépendamment de l’ordre de 
Dieu, la seconde sur une extériorisation de l’État vis-à-vis de toute 
conception religieuse du monde. »

Mais le mot ne date pas d’hier. Il faut remonter aux textes bibliques 
rédigés en grec pour en trouver la première trace. Le mot « laos » 
désignait le peuple et le distinguait des prêtres. À l’intérieur de 
l’Église, « laïcus », « laï », « laïque » désignera, en opposition à « 
clerc », toute personne qui n’est ni dans l’Église ni dans les ordres. 
C’est en 1871 que le mot « laïcité » apparaît : le lexicographe Émile 
Littré le recense dans une citation tirée du journal La Patrie. Il faut 
toutefois attendre 1878 pour que le concept soit véritablement forgé et 
introduit par le philosophe de l’éducation Ferdinand Buisson dans son 
Dictionnaire de la pédagogie, considéré comme la « bible » de l’école 
laïque.

1789 : le crime de blasphème est abandonné en France

En France, l’édit de Nantes est, en 1598, la première manifestation de 
la tolérance religieuse qui accorde aux protestants la liberté de culte 
et la plénitude des droits civils. Mais c’est au siècle des Lumières que 
le concept de laïcité prend forme avec Condillac, Diderot, Voltaire et 
Condorcet. L’homme a le pouvoir de modifier les conditions de son 
existence. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », 
telle est la devise des Lumières.

En 1789, avec la Révolution française et le principe 
d’autodétermination, apparaissent les premiers traits juridiques de la 
laïcité. La Déclaration des droits de l’homme précise dans son article 
10 que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, 
(…) pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi 
par la loi », et institue dans son article 11 « la libre communication 
des pensées et des opinions… ». « C’est à ce moment que les crimes de 
lèse-majesté divine et de blasphème sont abandonnés et le divorce 
autorisé, précise Philippe Portier. En 1792, l’état civil devient une 
prérogative de l’État. Les principes sont posés, et la laïcité, dans le 
sens qu’on vient de lui donner, sera admise par tous les régimes qui se 
succéderont. »

Dès lors, l’État laïque, indépendant de tous les clergés, se dégage de 
toute conception théologique. La Révolution installe une Église dite 
constitutionnelle, ce qui suppose que le clergé prête serment à la 
Constitution. Il faut attendre 1794 pour que la Convention nationale 
supprime le budget de l’Église constitutionnelle et précise, en 1795, 
que la République ne salariera aucun culte – une règle de séparation de 
l’Église et de l’État avant l’heure. « Avec le Concordat de 1801 se 
poursuit l’idée d’un État neutre qui ne se soumet pas à Dieu, précise 
Philippe Portier. Napoléon et son juriste Portalis délimitent les 
domaines respectifs de l’Église catholique et de l’État, qui perdureront 
jusqu’à la loi de 1905. Tout en affirmant la souveraineté de l’État, le 
système concordataire entend placer la religion au fondement de la 
morale sociale. On se souvient de la formule de Portalis : “L’État 
arrête le bras du voleur, la religion transforme son cœur”. »

1881 : Jules Ferry pose les bases de l’école gratuite et laïque

C’est entre 1850 et 1886 que prend corps le principe de l’école laïque 
et républicaine, première étape concrète avant la séparation de l’Église 
et de l’État. « L’éducation est prioritaire, car il s’agit de 
transformer les individus en citoyens rationnels, raconte Philippe 
Portier. Est toutefois maintenue l’idée qu’une société ne peut pas vivre 
sans que sa morale publique soit inspirée du religieux. » On le voit 
très clairement avec la loi Falloux de 1850 : elle comporte toujours 
dans ses programmes pour le primaire « l’instruction morale et 
religieuse ». Victor Hugo plaidera en vain contre cette loi à 
l’Assemblée nationale : « Je veux l’État chez lui et l’Église chez elle 
» (…) Je ne veux pas mêler le prêtre au professeur… »

Dans ce combat pour la laïcité, on retiendra aussi l’éphémère Commune de 
Paris en 1871, qui écrit dans son Journal officiel : « C’est surtout 
dans l’école qu’il est urgent d’apprendre à l’enfant que toute 
conception philosophique doit subir l’examen de la raison et de la 
science… » Dix ans plus tard, en 1881, Jules Ferry, ministre de 
l’Instruction publique, pose devant les députés les bases de l’école 
gratuite et laïque, et de l’enseignement obligatoire.

« En 1905, explique Philippe Portier, le vote de la loi de séparation de 
l’Église et de l’État installe le principe de séparation entre la sphère 
privée et la sphère publique. » Cette loi remplace le régime de 
Concordat de 1801 (sauf en Alsace-Moselle, alors allemande, où le 
Concordat est toujours en vigueur aujourd’hui). La loi précise dans son 
article premier que « la République assure la liberté de conscience et 
le libre exercice des cultes » et rajoute, dans son article 2, qu’elle « 
ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Les lieux de culte sont la 
propriété des communes – seul leur entretien est à la charge des 
communautés religieuses –, à l’exception des lieux de culte construits 
après 1905, qui sont financés par les religions et leur appartiennent.

1946 : la laïcité devient constitutionnelle

Cette laïcité, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front 
populaire, devra la conforter en 1936-1937 par deux circulaires sur 
l’interdiction des propagandes politiques et confessionnelles dans les 
établissements scolaires. Elle sera aussi remise en cause en 1940 avec 
le programme scolaire du régime de Vichy articulé autour de la nouvelle 
devise « Travail, Famille, Patrie », qui rétablit les devoirs envers 
Dieu dans les écoles. Il faudra attendre la Constitution de 1946 et la 
reprise de son préambule par la constitution de la Ve République en 1958 
pour que la laïcité devienne constitutionnelle.

Dans le même temps, l’article 2 de la loi de 1905 connaît des 
vicissitudes. « L’État, notamment avec la loi Debré, décide de financer 
l’école privée sous contrat et la frontière entre l’Église et l’État 
vacille », rappelle Philippe Portier. À partir des années 1980, 
l’installation durable des populations musulmanes vient questionner 
directement la loi de 1905. Celle-ci ne prévoit pas, en effet, le 
financement des mosquées, inexistantes sur le territoire métropolitain 
au moment du vote de la loi ; la charge de leur construction incombe 
donc aux fidèles eux-mêmes et introduit une inégalité de fait avec les 
religions installées de longue date. En 1989, l’« affaire du foulard », 
qui voit trois jeunes filles exclues d’un collège de Creil pour avoir 
refusé d’ôter leur voile, soulève la problématique du port des signes 
religieux, une question qui ne s’était jamais posée avant et que la loi 
n’avait pas prévue.

2004 : le port de tout signe religieux est interdit à l’école

« Depuis lors, les sphères publique et privée tendent à nouveau à 
s’interpénétrer. Avec la loi de 2004 interdisant le port de tout signe 
religieux à l’école et celle de 2010 interdisant la dissimulation du 
visage dans l’espace public (dite loi du voile intégral), l’État 
intervient dans des sphères qu’il avait laissées à “l’autonomie des 
sujets” et remet en cause le dispositif séparatiste de la loi de 1905 », 
remarque Philippe Portier. Ce sont le plus souvent les magistrats qui 
décident, les recours en justice se multiplient – on se souvient de 
l’épilogue de l’affaire de la crèche Baby-Loup, avec le licenciement 
d’une employée qui portait le voile, une décision finalement validée par 
la Cour de cassation en 2014 – et on ne compte plus le nombre de 
rapports sur la laïcité. Parallèlement, les créations institutionnelles 
se succèdent, illustrant les tergiversations de l’État sur le sujet : le 
Haut Conseil à l’intégration, créé en 1989 puis supprimé en 2012, est 
remplacé depuis 2013 par un Observatoire de la laïcité, proposé par 
Jacques Chirac dès 2007. De cet Observatoire naîtra la mise en place 
d’une Journée de la laïcité le 9 décembre.

Plus d’un siècle après la loi de 1905, la laïcité fait désormais l’objet 
d’interprétations différentes, considérées par certains comme de 
dangereux reculs et par d’autres comme de sages adaptations. « Le mot 
“laïcité” est aujourd’hui polysémique et recouvre trois grandes 
conceptions, explique Philippe Portier. Une conception plutôt 
différentialiste, tentée d’accorder des droits spécifiques à chaque 
communauté, et portée par le think tank Terra Nova ou des sociologues 
comme Michel Wieviorka. Une laïcité classique incarnée par la Fédération 
nationale de la libre pensée, dont le principe est de ne pas intervenir 
dans le champ des religions. Enfin, une laïcité contrôleuse qui a 
aujourd’hui le vent en poupe. » Cette dernière entend contenir la 
religion dans la sphère privée. Le débat est d’importance, car ce sont 
tout simplement les règles du vivre-ensemble de la société française qui 
sont en jeu.

Sur le même sujet :
« Après les attentats, les sciences humaines se mobilisent »

Sources :
- "Laïcité, laïcités, reconfigurations et nouveaux défis", de Philippe 
Portier, Jean Baubérot et Micheline Milot aux Editions de la maison des 
sciences de l'homme, Paris, 2014. La liste des autres publications de 
Philippe Portier est à consulter ici.
- "Dictionnaire de la laïcité", sous la direction de Martine Cerf et 
Marc Horwitz. Armand Colin, 2011
- "Ils ont volé la laïcité" Patrick Kessel, Jean Claude Gawsewitch. 2012

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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