[Laicite-info] Laïcité à l’école : du vivre-ensemble à l’exclusion

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 24 Mar 14:31:09 CET 2015


Laïcité à l’école : du vivre-ensemble à l’exclusion

Publié par : LE MONDE
Le : 24.03.2015
Par : Aurélie Collas

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Le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, l’a réaffirmé mardi 24 mars, au 
lendemain du premier tour des élections départementales : il est 
favorable à la suppression des menus de substitution dans les cantines 
scolaires pour les enfants ne mangeant pas de porc. « Il y a une crise 
républicaine grave, a affirmé sur RTL l’ancien chef de l’Etat. La 
République, c’est la laïcité, et la laïcité ne doit pas souffrir 
d’exception. »

Comme toujours quand la République est perçue comme menacée, c’est 
l’école qu’on appelle au secours. D’où, depuis les attentats de janvier, 
l’insistance sur le « sanctuaire laïque » que devrait être l’école. Un 
discours accentué par le contexte des élections et la tentation de 
séduire les électeurs du Front national.

C’est le maire UMP de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Gilles Platret, 
qui a relancé le débat sur les cantines en annonçant le 10 mars, à 
quelques jours des élections départementales, sa décision de supprimer 
les menus de substitution les jours où est servi du porc. Il s’est mis à 
voir, dans cette pratique en vigueur depuis plus de trente ans, une « 
discrimination » qui « ne peut être acceptée dans le cadre d’une 
République laïque ». Sur ce sujet, l’ancien premier ministre François 
Fillon a indiqué lundi qu’il était en « désaccord » avec Nicolas Sarkozy 
et estimé que la laïcité « n’est pas l’oppression des religions, c’est 
le respect des différences ».

C’est aussi « au nom de la laïcité » que le débat sur le voile à 
l’université a refait surface. Nicolas Sarkozy s’en est emparé, 
affirmant qu’il ne voyait pas « la cohérence d’un système où on 
interdirait le voile à l’école et où on l’autoriserait à l’université ». 
Peu de temps avant, le Parti radical de gauche avait déposé une 
proposition de loi visant à interdire le port du voile dans les crèches 
privées.

Mais de quelle laïcité parle-t-on ? « Manifestement, il ne s’agit plus 
de celle qui garantit la liberté de conscience et de pratiquer sa 
religion. C’est au contraire celle qui dit : “En France, on mange du 
porc !” », observe, effaré, le sociologue François Dubet. Pour lui, la 
suppression des menus de substitution dans les cantines scolaires est 
révélatrice d’un « glissement du thème laïc au thème national ». « 
Parler de laïcité devient une façon de revendiquer une France blanche et 
chrétienne, où tout le monde partage la même culture et les mêmes mœurs. 
Une façon de dire qu’on ne veut pas des musulmans. »

Durcissement

Le maire de Chalon-sur-Saône n’est pas le premier édile à vouloir faire 
des cantines des « espaces de neutralité », au prétexte d’être en accord 
avec les principes de l’école laïque. C’est méconnaître que le père 
fondateur de cette école était, contre des laïcs intransigeants, un 
fervent défenseur de la liberté de conscience, incluant la liberté 
religieuse. « Pour Jules Ferry, la République n’était pas dans 
l’assiette !, ironise l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Il 
était anticlérical, au sens où il se méfiait du rôle politique de 
l’Eglise, mais pas anti-religieux. Pour lui, il n’était pas question de 
heurter les sentiments religieux. » D’où la « vacance » du jeudi pour 
permettre la tenue du catéchisme ou la présence des aumôniers dans les 
lycées.

C’est cette laïcité « soft » qui, à l’école, a triomphé des tendances 
plus combatives à l’égard des religions. Force est de constater qu’un 
durcissement s’opère. Il se manifeste depuis plusieurs années et revient 
en force ces dernières semaines. « Ce qui me frappe dans le débat 
public, c’est une définition implicite de la laïcité qui ne correspond 
en rien à celle de notre Constitution, du droit européen et 
international, observe le sociologue Pierre Merle. Une laïcité qui 
interdit les manifestations religieuses plutôt que de les respecter, qui 
conduit à des logiques d’exclusion au lieu de favoriser le vivre-ensemble. »

Dans les faits aussi, le champ des interdits gagne du terrain depuis la 
loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à 
l’école. Il ne se limite plus au voile et à ce qui se porte sur la tête 
– bandanas, bonnets… Voilà que les jupes longues, les tenues sombres ou 
amples sont suspectées d’être des signes religieux. « On est passé à un 
autre niveau de surveillance, qui concerne l’apparence de façon 
générale, rapporte Lila Charef, responsable juridique du Collectif 
contre l’islamophobie en France. Or, il faut le rappeler, tant l’islam 
est méconnu : il n’y a pas de tenue religieuse à proprement parler dans 
la religion musulmane. Le principe est celui d’une tenue décente et 
pudique. »

« Un vulgaire racisme »

S’ils ne font pas forcément l’objet d’une interdiction à proprement 
parler, ces « signes » suscitent, par endroits, des agacements, des 
crispations. Ils donnent lieu à des contrôles, des convocations, des 
pressions. « On en vient à dire à des jeunes filles originaires 
d’Albanie ou du Moyen-Orient que leurs jupes sont trop longues, qu’on ne 
s’habille pas comme ça en France ! Je ne peux pas y voir autre chose 
qu’un vulgaire racisme », dénonce François Dubet.

Les crispations se portent aussi à l’encontre des familles. Ici, on se 
demande si l’on peut accepter dans l’enceinte de l’école les grandes 
sœurs qui viennent chercher les plus petits avec le voile. Là, si l’on 
peut autoriser les mères voilées à siéger dans les instances des 
établissements ou à accompagner les sorties scolaires.

La ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a déclaré, le 16 
mars dans un entretien au Figaro, qu’il « valait mieux permettre aux 
mères en foulard, volontaires pour aider l’école », de participer aux 
sorties, puisqu’en tant qu’usagers du service public, elles ne sont pas 
soumises au principe de neutralité. Reste que dans les faits, il est 
toujours possible de s’en référer à la circulaire de 2012 dite « Chatel 
» – du nom de l’ancien ministre de l’éducation de Nicolas Sarkozy – pour 
les exclure des sorties scolaires.

Cette focalisation sur l’habit est doublement dommageable. Outre qu’elle 
conduit au résultat inverse de ce qui est attendu – exclure au lieu 
d’intégrer –, elle détourne l’attention des vrais problèmes : l’échec 
scolaire, l’inégalité des chances, la ghettoïsation de certains 
établissements, le sentiment d’injustice et d’abandon chez les jeunes 
des quartiers déshérités. Autant de sujets absents de la campagne 
électorale.

     Aurélie Collas
     Journaliste au Monde


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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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