[Laicite-info] A propos du « Génie de la laïcité » de Caroline Fourest
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 14 Nov 10:23:46 CET 2016
A propos du « Génie de la laïcité » de Caroline Fourest
Publié par :
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Le : 14 nov. 2016
Par : Charles Conte (Ligue de l'enseignement)
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Les éditions Grasset viennent de publier un nouveau livre de Caroline
Fourest « Génie de la laïcité ». Malgré le clin d’œil au « Génie du
christianisme » de Chateaubriand, nous ne sommes pas ici dans le
registre apologétique littéraire romantique.
Caroline Fourest est journaliste. Son objectif est « d’expliquer la
laïcité ». Les deux tiers de l’ouvrage (200 pages sur 300) proposent une
comparaison entre le modèle anglo-saxon, plus particulièrement
américain, et le modèle français. La réflexion sur cette « guerre des
modèles » est bienvenue. D’une part parce que l’auteure a un indéniable
talent d’écriture. D’autre part parce le sujet est important. Les USA
comme la France ont mis sur pied une séparation des Eglises et de
l’Etat. Il faudrait d’ailleurs écrire « des séparations » tant les deux
révolutions fondatrices, les paysages religieux, les cultures au sens
le plus général, sont différentes. Deux panoramas se succèdent ainsi.
S’il eut été possible de présenter autrement certains faits, l’ensemble
a le mérite de poser la comparaison de façon claire, tout en penchant,
bien évidement et à juste titre, pour le modèle français.
L’interventionnisme étasunien est également traité. Il est fondé sur une
conception de la « liberté religieuse », fort différente de la « liberté
de conscience » affirmée par notre loi de 1905. De façon générale, la
liberté religieuse ne concerne que les croyants et est susceptible de
s’affirmer contre les lois communes. La liberté de conscience concerne
tout le monde, athées et agnostiques compris, et s’inscrit dans le cadre
des lois de la République. Depuis 1998 l’International Religious Freedom
Act (IRFA) oblige le département d’Etat (équivalent de notre Ministère
des Affaires étrangères) à s’investir sur la question. Non seulement en
produisant un rapport annuel, mais en établissant une liste de sanctions
éventuelles certes peu utilisées pour l’instant. C’est la condamnation
publique des Etats étrangers qui est à l’ordre du jour. La France étant
pointée pour la loi de 2001 sur les dérives sectaires et la loi de 2004
sur le port de signes religieux à l’école. Ces actions du Département
d’Etat sont soutenues par une Commission on international Religious
Freedom (USCIRF) bipartisane et semi-indépendante.
Cette prétention à régenter les autres pays fait effectivement problème.
Des sources documentaires sont données. En particulier l’indispensable
ouvrage de Denis Lacorne « De la religion en Amérique. Essai d'histoire
politique » paru chez Gallimard. On peut y ajouter les livres de
Sébastien Fath « Dieu bénisse l’Amérique, la religion de la Maison
Blanche » (Seuil) et « Militants de la Bible aux États-Unis,
Évangéliques et fondamentalistes du Sud » (Autrement). Le rôle de
l’ambassade des Etats-Unis en France sur ce sujet est abordé. On reste
ici un peu sur notre faim. Il y a eu d’autres révélations de Wikileaks
que celle mentionnée. L’action de l’ambassadeur Robert A. Seiple est
évoquée. Mais pas celle de l’ambassadeur Charles Rivkin, assisté par le
diplomate Marc Taplin, qui fut au moins aussi efficace dans sa stratégie
de séduction des jeunes issus de l’immigration. Une application du «
soft power » étudié de manière générale par Frédéric Martel, mais que
nous connaissons peu dans sa déclinaison « défense la liberté religieuse
» et promotion d’un certain multiculturalisme. Mais la question de fond
sur les deux modèles est bien posée.
Caroline Fourest consacre ensuite un chapitre aux « lignes de fractures
» internes au mouvement laïque. Le ton change. Nous passons de l’analyse
à la dénonciation tout azimut de ceux avec lesquels l’auteure est en
désaccord. Nous les laisserons répondre. La Ligue de l’enseignement a
ainsi droit pour sa part à deux mentions de sa « fameuse dérive »
résultant d’un noyautage par Tariq Ramadan et ses proches et de
l’influence délétère de Jean Baubérot. Si Caroline Fourest avait
simplement fait son métier de journaliste, elle aurait contacté la Ligue
pour s’informer des faits et enregistrer ses arguments, fusse pour les
contester. Ce travail élémentaire n’a pas été fait. Les lecteurs de «
Génie de la laïcité » ne sauront rien de la Commission Islam et Laïcité
qui de 1997 à 2001 a réuni une centaine de personnes, dont Tariq Ramadan
au même titre que les autres, pour un effort de réflexion critique sur
son sujet. Ils ne sauront rien sur l’important travail de publications,
de rencontres, de colloques incluant des chercheurs en sciences
humaines, mené par la Ligue depuis trente ans. Ils ne sauront rien non
plus des guides sur les séjours de vacances, la restauration collective…
élaborés collectivement sur plusieurs années à partir du vécu concret
quotidien de militantes et militants. Celles-ci et ceux-ci, bénévoles et
salariés, apprécieront à sa juste valeur l’allusion aux subventions
publiques dans ce cadre polémique.
Sans contact avec la Ligue, sans collecte de faits, sans discussion ni
réfutation… peut-être avec une promenade sur internet, cette
dénonciation réitérative, péremptoire et non argumentée tombe à plat.
Elle reste au niveau d’une rumeur. Or les travaux et les orientations de
la Ligue de l’enseignement peuvent et même doivent faire l’objet de
discussions et de débats. Une Commission nationale de travail s’y
emploie, ouverte à tous les courants de pensée laïques. Elle compte une
soixantaine de membres. Les travaux de Caroline Fourest y sont
régulièrement présentés et discutés. Est-ce trop demander que de vouloir
un débat dans les règles de l’art plutôt que d’être exécutés d’un trait
de plume non informé ? N’est-ce pas aussi cela « expliquer la laïcité »
? La paresse argumentative ne peut tenir lieu d’explication. Elle ne
sert, finalement, que les seuls adversaires de la fonction émancipatrice
de la laïcité.
Dans le dernier chapitre de « Génie de la laïcité » intitulé « Pour une
véritable politique laïque » Caroline Fourest mentionne quelques débats.
Elle prend notamment position sur le port de signes religieux à
l’Université, les cantines publiques, les dates d’examen, les sorties
scolaires, les entreprises, les hôpitaux et les prisons… Positions
globalement fondées sur la laïcité conçue comme assurant la liberté de
conscience de tous. Et globalement semblables, sur ces sujets, à celles
de la Ligue. Notre divergence, réelle, porte plutôt sur la stratégie à
adopter pour faire aimer la République et ses lois. Faut-il participer
au cœur politico-médiatique ou faut-il s’investir chaque jour, partout,
avec tous les publics, pour convaincre ? Cette deuxième tâche, certes
ingrate, certes difficile, est celle que nous avons choisie.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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