[Laicite-info] Jean Baubérot, grand penseur de la laïcité

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 8 Déc 07:26:09 CET 2017


Jean Baubérot, grand penseur de la laïcité

Marqué par son engagement politique, cet historien a étudié le 
protestantisme avant de renouveler le cadre conceptuel de la laïcité. En 
rejetant toujours la parole dominante.

Publié par : LE MONDE
Le : 08.12.2017
Par Anne Chemin

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Pendant de longues années, il s’est appelé Jean-Ernest, un prénom qu’il 
a toujours associé à ses déboires d’enfant marginal et rebelle. « 
Jean-Ernest, raconte-t-il, c’était le garçon révolté que les adultes 
jugeaient insolent, l’enfant intransigeant qui contestait le pasteur, le 
gaucher qui se faisait traiter de barbouilleur et taper sur les doigts 
par son instituteur. » A 18 ans, il décide, en inscrivant son nom sur 
une copie que, désormais, il s’appellera simplement Jean. « Jean, 
c’était l’adolescent qui aspirait à une certaine reconnaissance sociale 
et qui essayait de vivre dans le réel. »

La fameuse copie sur laquelle Jean-Ernest Baubérot renonce, en 1959, à 
son prénom de naissance est celle du concours général d’histoire. Le 
lycéen pense avoir raté son épreuve, mais il est reçu premier. Ce 
jour-là, sa vie d’adolescent « rebelle et boutonneux » bascule : les 
correspondants du Monde et de l’AFP se pressent pour l’interroger, et le 
général de Gaulle lui remet sa récompense dans le grand amphithéâtre de 
la Sorbonne. Ce prix prestigieux consacre publiquement le « Jean » qui 
vient tout juste de naître : l’éternel insoumis qu’était Jean-Ernest 
entre dans la vie d’adulte par la grande porte, celle de la 
reconnaissance sociale.

« Il a inventé une discipline »

Le sujet de ce fameux concours général fait aujourd’hui sourire : « 
L’Eglise catholique en France et l’Etat de 1799 à 1815 », un thème 
prémonitoire pour ce futur historien de la laïcité. Quelques années plus 
tard, Jean Baubérot rédige en effet une thèse sur le protestantisme 
avant de devenir, en 1978, le titulaire de la chaire Histoire et 
sociologie des protestantismes de l’Ecole pratique des hautes études 
(EPHE), en 1991, le titulaire de la première chaire de l’enseignement 
supérieur consacrée à la laïcité et, en 1995, le premier directeur du 
groupe de sociologie des religions et de la laïcité EPHE-CNRS.

Lorsque Jean Baubérot choisit de s’intéresser à la laïcité, au début des 
années 1980, le président de son jury de thèse tente de le décourager. « 
Continuez sur le protestantisme, mais pas sur la laïcité, cela 
n’intéresse plus personne ! », lui souffle-t-il. « A l’époque, ce sujet 
était délaissé par les chercheurs, rappelle Valentine Zuber, directrice 
d’études à l’EPHE et coordinatrice de Croire, s’engager, chercher 
(Brepols, 2016), un livre collectif sur l’œuvre de Jean Baubérot. Ils 
étudiaient une religion, pas la laïcité, qui apparaissait comme un grand 
principe essentialiste : on méconnaissait son histoire. Jean Baubérot a 
compris que la laïcité était un vrai sujet d’études. Il a inventé une 
discipline. »

Au cours de sa carrière, Jean Baubérot consacre une vingtaine d’ouvrages 
à renouveler l’approche de la laïcité. « Quand il a commencé à 
travailler, dans les années 1980, la vulgate affirmait qu’Emile Combes 
était le père de la loi de 1905, poursuit Valentine Zuber, qui a publié 
en septembre La Laïcité en débat (Le Cavalier bleu, 190 p., 20 euros). 
Cette vision anticléricale et gallicane du texte ne retenait que 
l’article 2 – “la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne 
aucun culte”. Jean Baubérot a fait renaître l’esprit libéral du texte 
incarné par Aristide Briand : l’article 1 est l’un des premiers, dans le 
monde, à reconnaître à la fois la liberté de conscience, la liberté de 
culte et la liberté d’expression. »

Le mythe de « l’exception française »

Jean Baubérot ne se contente pas d’étudier l’histoire de la laïcité : il 
construit un cadre conceptuel pour penser son évolution. Refusant de la 
réduire à la seule loi de 1905, il distingue trois « seuils de 
laïcisation » : un premier pendant le Concordat : la législation civile 
est séparée des normes religieuses mais l’Etat reconnaît les 
confessions, et la morale commune reste imprégnée de religion ; un 
deuxième au début de la IIIe République : l’officialité des cultes est 
supprimée et la morale est fondée sur la raison ; un troisième à partir 
de mai 1968 : émerge alors « une laïcité sécularisée ».

Ses recherches sur la laïcité conduisent Jean Baubérot à déconstruire 
peu à peu le mythe de « l’exception française ». « Il a montré que cette 
idée n’était pas le fruit du génie français et qu’elle était partagée, 
sous des formes différentes, par d’autres Etats démocratiques », résume 
Valentine Zuber. Signée par 250 chercheurs, sa Déclaration universelle 
sur la laïcité proclame ainsi que ce principe, qui harmonise la liberté 
de conscience, l’autonomie du politique à l’égard des normes religieuses 
et la citoyenneté sans discrimination pour raison de religion, n’est « 
l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent ».

Au cours de ce parcours intellectuel, Jean ­Baubérot retrouve, sous une 
forme nouvelle, les tensions qui l’avaient taraudé adolescent : la 
reconnaissance sociale accordée à l’historien qu’est devenu Jean 
n’efface pas les révoltes de Jean-Ernest. Jean Baubérot a beau 
fréquenter, dans les années 1960, une institution de recherches aussi 
respectée que l’EPHE, il rêve de révolution : il adhère à l’Union des 
étudiants communistes (UEC), crée une revue « gauchiste dissidente » et 
fréquente le « groupe anarcho-maoïste » Vive la Révolution, rival de la 
Gauche prolétarienne.

Rigueur et engagement

Pendant ces années tumultueuses, Jean Baubérot consacre toute son 
énergie à ses engagements politiques : entre 1967 et 1971, il n’écrit 
rien. « La révolution était devenue, pour moi, l’espérance dominante, je 
voulais la préparer à plein temps. » Quelques années plus tard, lorsque 
l’espoir d’un nouveau monde s’éloigne, il craint l’« embourgeoisement » 
qui pourrait naître d’une simple vie de chercheur. « Faut-il, écrit-il 
dans Une si vive révolte (L’Atelier, 2014), abandonner la contestation, 
se montrer dynamiques et fonctionnels ? Doit-on passer de la révolution 
au réformisme de la “nouvelle gauche” ? Toute réussite sociale est-elle 
mauvaise ? »

C’est le linguiste et historien Maxime Rodinson qui parvient à 
réconcilier le mature Jean, qui aime le sérieux de la recherche, et le 
bouillant Jean-Ernest, qui prépare fiévreusement la révolution. Au début 
des années 1970, l’islamologue marxiste lui explique que l’objectivation 
scientifique, loin « d’embourgeoiser celui qui s’y adonne », permet de 
prendre de la distance avec sa subjectivité. Le « bourgeois » a des avis 
péremptoires sur des questions qu’il ignore, lui explique-t-il ; le 
chercheur en sciences sociales, lui, préfère l’argumentation bien 
construite. Rigueur et engagement peuvent se conjuguer, en conclut Jean 
Baubérot.

Au fil de ses travaux, l’historien apprend ainsi l’art de marier « 
empathie et prise de distance ». « Dans les moments de questionnement et 
de travail, sa pensée est exigeante et sa méthodologie rigoureuse : il 
n’y a pas de place pour le militantisme, souligne Valentine Zuber. Sa 
formation d’historien le rend très attentif aux documents : il est 
capable de passer des mois à Nantes ou à Saint-Dié pour étudier les 
archives d’Aristide Briand ou de Jules Ferry. Il a en outre une grande 
capacité à jouer avec ce “en même temps”, aujourd’hui très en vogue, qui 
permet de penser la complexité des choses. »

« Toujours prêt à en découdre »

La politique n’est cependant jamais très loin : Jean Baubérot rejoint en 
1997 le cabinet de Ségolène Royal, se montre critique, au sein de la 
commission Stasi de 2003, envers l’interdiction du voile à l’école, et 
dénonce, dans un essai publié en 2008, la laïcité de Nicolas Sarkozy. « 
En lui, le savant et le politique se nourrissent l’un l’autre, constate 
Philippe Portier, titulaire de la chaire sur la laïcité de l’EPHE. C’est 
la manière même de l’“intellectuel spécifique” décrit par Michel 
Foucault : le citoyen parle en s’adossant aux savoirs particuliers qu’il 
accumule dans l’intimité de son cabinet de travail, et le chercheur 
écrit en s’appuyant sur les savoirs populaires qu’il croise dans les 
espaces publics où il s’installe. »

Ce goût pour l’engagement, Jean Baubérot l’a symboliquement reçu en 
héritage : Jean, le fameux grand-père auquel il doit son prénom, était 
membre de la Libre Pensée, un mouvement dont le mot d’ordre séduit, 
aujourd’hui encore, Jean Baubérot : « Ni Dieu ni maître, à bas la 
calotte et vive la sociale ! » « Il ne se résout jamais à adopter la 
pensée dominante, sourit Valentine Zuber. Il est toujours prêt à en 
découdre, surtout quand il décèle un manque d’exigence dans les 
arguments de ses adversaires : il déteste les idées préconçues, les 
slogans simplificateurs, la parole rapide des polémistes. »

Ce refus de la parole dominante, Jean Baubérot affirme le devoir à son 
éducation et sa foi protestante. « Le geste fondateur du protestantisme 
n’a pas lieu en 1517, quand Luther affiche les 95 thèses sur son église, 
mais en 1520, lorsqu’il brûle la bulle d’excommunication du pape. Ce 
jour-là, il refuse l’obéissance et la discipline. Dans le 
protestantisme, il n’y a pas de personnages sacrés : tout doit être 
profané. Pour le théologien suisse Alexandre Vinet [1797-1847], être 
protestant, c’est avoir le droit de récuser les croyances publiques pour 
tout examiner et se réengager de nouveau – mais cette fois, en 
connaissance de cause. » Une ligne de conduite que Jean Baubérot a 
adoptée toute sa vie.

En savoir plus sur 
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/08/jean-bauberot-grand-penseur-de-la-laicite_5226435_3232.html#ZflsgbSjam1yzZIs.99

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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