[Laicite-info] 7 questions à Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 17 Avr 08:48:42 CEST 2018
7 questions à Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité
Publié par :
http://www.solidarite-laique.org/je-milite/7-questions-a-jean-louis-bianco-president-de-lobservatoire-de-la-laicite/
Le : 10 avril 2018
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Cantines scolaires, racisme, antisémitisme, terrorisme, calendrier des
jours fériés, prières de rue, cette semaine, Jean-Louis Bianco,
président de l'Observatoire de la Laïcité répond en vidéo aux questions
de Solidarité Laïque. Un Rendez-vous de la laïcité fourni qui aborde
débats, idées reçues et instrumentalisations de la laïcité.
1. Des jeunes Français scolarisés à l’école de la République
tuent au nom de la religion. Qu’avons-nous raté ?
Je crois que l’échec est lié à des problèmes qui dépassent la laïcité.
On peut avoir une laïcité formidable, parfaite, bien vécue, connue,
pratiquée – et on a des propositions à faire là-dessus, il y a un
énorme effort de formation qu’il reste à faire -, mais ça n’empêchera
pas que vous ayez des esprits complètement tordus, soumis à un certain
nombre d’influences de type sectaire qui se lancent dans ce terrorisme.
La réponse la plus forte est probablement une réponse en termes de
politiques publiques au sens large qui s’affrontent à la question des
ségrégations et des guettoïsations. Si vous avez des gens qui vont
jusque-là, – en tout cas, vous avez parfois aussi des pressions
communautaristes -, c’est bien parce qu’il y a des communautés
homogènes. Donc, si on n’a pas une politique très volontariste, et
jusqu’ici on ne l’a pas eue, de meilleure intégration scolaire, de
meilleure intégration dans l’habitat, de diversité, de mixité sociale,
alors on aura un terreau où sur des esprits faibles ou en difficultés,
la pression d’une motivation prétendument religieuse sera très forte.
Donc la clé pour nous, ce sont les politiques de mixité et c’est bien
entendu la formation des élèves notamment à l’école, mais de tous les
acteurs à la laïcité, en sachant que, encore une fois, il y a des
libertés et des interdits, et quand quelqu’un franchit la ligne de
l’interdit, il ou elle doit être sanctionné(e), qu’il soit d’ailleurs
croyant ou pas.
2. Des responsables politiques prennent prétexte de la laïcité
pour stigmatiser la communauté musulmane. Quelle est votre analyse ?
Pour certains, la laïcité est devenue un prétexte pour stigmatiser nos
compatriotes de culture ou de religion musulmane. C’est très clair dans
le discours du Front National. On ne dit plus “arabe”, on dit
“musulman”. On ne dit plus “immigré”, on dit “musulman”. C’est frappant
de voir, même si cela s’est calmé, que le Front National était la
formation politique qui parlait le plus de laïcité, mais dans un sens
complètement dévoyé et manipulé. Cela arrive encore de temps en temps.
Et nous, nous avons encore à rappeler à l’Observatoire que la laïcité
permet la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas
croire, la liberté de changer de religion et la liberté de pratiquer son
culte, quelle que soit sa conviction et quel que soit son culte. Et que
les limites, c’est l’ordre public, ne pas troubler le fonctionnement
collectif, la liberté d’autrui, ne pas faire pression sur autrui, ne pas
porter atteinte à sa liberté. Quand le Conseil d’Etat rappelle que les
mairies sont des bâtiments neutres, où ne doivent s’exprimer aucune
préférence religieuse – neutres dans ce sens-là, la religion a sa place
ailleurs mais pas dans les mairies – et par conséquent condamne
l’introduction de crèche dans les mairies. On entend des responsables
politiques dire : “Voilà, on va remplacer le christianisme par l’islam.
D’ailleurs on va détruire les croix dans les cimetières, les croix sur
les bords des routes et on fait la place aux musulmans”. Non, il y a des
maires qui ne respectent pas la loi là où il n’y a pas de tradition,
d’élément culturel, et le Conseil d’Etat l’a simplement rappelé. Mais on
donne l’impression que c’est anti-chrétien. Même chose pour les prières
de rue qui peuvent choquer mais elles ne sont pas interdites. Ou si
elles le sont, c’est pour une raison d’ordre public, parce que cela
trouble la circulation comme toute autre manifestation. Mais dans la
tête d’un certain nombre de responsables politiques, les prières de rue
musulmanes, c’est épouvantable ; mais les prières de rue en bordure de
la Manif pour tous, c’est très respectable. L’une et l’autre ont le
droit d’exister, que ça plaise ou pas, sauf si elles troublent l’ordre
public. Donc on est constamment dans cette attitude qui est très
dangereuse car cela génère un sentiment d’exclusion et pour un certain
nombre de jeunes un repli identitaire. “Puisqu’on ne me reconnaît comme
citoyen à égalité et à part entière, alors je vais me réfugier sur ce
qu’est mon identité que je vais peut-être surreprésenter, mon identité
de culture ou de religion musulmane, ce qui est leur droit strict pourvu
qu’il ne trouble pas les autres mais qui est un appauvrissement par
rapport à notre identité qui est d’abord citoyenne. Nous sommes des
citoyens, des citoyennes à égalité de droits et de devoir avant d’être
des musulmans, des athés, des agnostiques, des juifs…etc.
3. En mars 2018, une vieille femme a été assassinée parce qu’elle
était juive. Comment est-ce possible en France ?
Bien sûr, cet assassinat d’une vieille dame juive, parce que juive et
donc, étant juive supposée riche, c’est absolument odieux. Mais c’est là
un problème spécifique de l’antisémitisme. Il y a des actes
anti-musulmans, anti-chrétiens, parfois anti-francs-maçons,
libre-penseurs, notamment dans des débats sur le mariage pour tous -il y
a eu des actes d’agression pas des attentats à ma connaissance-. C’est
terrible parce qu’il y a un vieux fond d’antisémitisme qui n’est pas
mort dans ce pays, comme dans d’autres pays européens ou des pays par
ailleurs démocratiques. C’est un vieux fond qui a préexisté à la Shoah,
à la barbarie nazie des années 20, des années 30, qui est présent
surtout dans l’extrême-droite et dans une partie dans le droite, mais
qui est présent dans la tête de pas mal de nos concitoyens et ça reste
en toile de fond. Ces préjugés restent en toile de fond. Et puis se
développe un nouvel antisémitisme qui est en particulier lié à un
certain nombre de jeunes de culture musulmane, soit parce qu’ils sont
intoxiqués par leur environnement, soit parce qu’ils mélangent cet
antisémitisme avec le conflit israélo-palestinien. On peut être contre
le gouvernement Netanyahu, ça ne vous autorise pas à être antisémite. Et
donc, il y a là un travail d’éducation à faire dans l’école pour ne pas
que ça se répande. Mais ce qui est terrible, c’est qu’il faut
comprendre, avec un attentat comme celui-là et ce n’est pas le seul,
qu’il y a aujourd’hui en France un certain nombre de juifs qui se
sentent en insécurité. Et il faut qu’aucune catégorie de la population
se sente en insécurité. Mais encore une fois, c’est un problème de
racisme, d’antisémitisme, plus qu’un problème de laïcité au sens strict.
4. Assiste-t-on à une radicalisation de la laïcité comme l’a dit
le Président Macron ?
L’expression a choqué et pourtant lui n’a jamais dit que c’était la même
chose. Il y a d’un côté des gens qui font des pressions très graves et
qui mettent en danger des vies humaines, et de l’autre côté des gens qui
expriment leur vision de la laïcité. Il n’a jamais mis ça sur un plan
d’équivalence. Mais c’est vrai qu’il y a une tendance dans le débat
public à avoir une espèce de “police de la pensée”. C’est-à-dire que si
vous n’avez pas la bonne conception de laïcité, vous êtes au mieux un
idiot utile, suivant l’expression historique, au pire un complice
objectif. Vous êtes islamo-gauchiste, vous êtes un complice des frères
musulmans. Ca, c’est une manipulation du débat public absolument
insupportable qui vise à décrire ce que doivent être les bons propos ou
les bons discours sur la laïcité. Et moi, j’ai bien pris soin de
distinguer la loi, le droit qui ne se discute pas, en tout cas qui
s’applique, et le changement de loi qui, lui, peut se discuter. Et donc
il y a cette tendance à faire de la laïcité, non pas un principe, parce
que la laïcité c’est un principe politique. C’est un principe qui permet
de vivre ensemble, qui repose sur la liberté, je l’ai dit, sur la
neutralité de l’Etat et sur la citoyenneté. Mais ce n’est pas un
catéchisme, ce n’est pas une religion, il n’y a pas de ‘pape’ de la
laïcité. On ne va pas enseigner un corpus de doctrines philosophiques
abstraites, on va tenir compte des débats sur différentes manières de
voir la laïcité. Donc, c’est vrai qu’il y a une tendance à voir… Mais
méfions-nous dans le choix des mots qui peuvent être blessants. Est-ce
que c’est un “laïcisme”, est-ce que c’est une vision intégriste de la
laïcité, en tout cas de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas, et de lui
faire dire ce qui n’est pas dans la loi mais ce que certains voudraient
qu’il y soit. Par exemple qu’il n’est pas permis à des mamans
accompagnatrices d’accompagner les sorties scolaires avec un foulard.
Entre parenthèses, il y a des tas de villes où il n’y aurait plus de
sorties scolaires si on faisait ça. Et en plus le phénomène
d’intégration dû au fait que des mamans d’un milieu défavorisé et si
j’ose dire en plus de la culture qui n’est pas la culture dominante mais
qui est la culture musulmane, s’intéressent à l’école, c’est une très
bonne nouvelle. Et vous imaginez ce que ça ferait chez les enfants si
leur maman ne pouvait plus accompagner les sorties scolaires parce
qu’elle a un foulard ? Ca, se sont des arguments d’ordre politique. J’ai
donné des arguments d’ordre juridique dans une précédente réponse. Donc,
c’est vrai qu’il y a une tendance à un extrémisme, mais surtout à une
police de la pensée, en disant, moi, ce que je dis sur la laïcité, c’est
bien. Ce que disent les gens qui ne pensent pas comme moi, c’est mal.”
C’est une forme de débat public insupportable qui s’apparente à des
procédés qu’on a connus dans certains pays de l’Europe de l’Est à
d’autres époques.
5. Dans les cantines scolaires, certains élus refusent de servir
des menus de substitution. Est-ce légitime ?
Ce que nous disons à l’Observatoire de la laïcité, nous n’employons pas
l’expression “menu de substitution” car c’est faire droit à une demande
à caractère religieux seulement. La laïcité pour nous est toujours la
solution du plus grand commun des dénominateurs, ce qui rassemble et
nous disons : “les communes doivent offrir du choix”. Le choix c’est bon
pour la santé. Cela permet aux végétariens qui ne veulent pas manger de
viande de ne pas manger de viande. Cela permet à celui ou celle qui, un
jour donné, ne veut pas manger de viande de ne pas manger de viande ce
jour-là. Et cela permet à celui ou celle qui ne veut pas manger de porc,
pour des raisons religieuses, de ne pas manger de viande de porc. C’est
assez simple. ça fonctionne très bien. Or, il se trouve qu’il y a de
temps en temps des maires, à commencer par le maire de Chalon-Sur-Saône
qui est revenu sur une pratique qui datait de 1984 dans sa commune et
instituée par quelqu’un du même parti politique que lui, Monsieur Perben
qui a été maire et ministre de la Justice. Là, c’est une
instrumentalisation de la laïcité et ça a été d’ailleurs condamné par le
tribunal administratif de Dijon. Ce n’est que le tribunal administratif,
on verra ce qui sera dit en appel et en cassation.Il a dit que la France
est signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant
qui précise que dans toutes nos décisions publiques, on doit mettre en
avant d’abord l’intérêt de l’enfant. Cette décision du maire n’avait pas
été prise dans l’intérêt de l’enfant, sans même qu’il invoque des
difficultés pratiques.
6. Faut-il changer le calendrier des jours fériés au nom de la
laïcité ?
Cela nous semble un terrain dangereux parce que, surtout dans le climat
de tension qui caractérise la situation française, je ne sais pas trop
par quel bout on pourrait l’aborder sans déclencher de très grands
conflits. Parce qu’encore une fois, les médias et une partie des
politiques, ne parlent que des difficultés, que des incidents, que des
conflits, et qu’on a l’impression, à écouter certaines chaînes de
télévision en continu ou à regarder certains posts sur internet, que la
France est à feu et à sang, et que la laïcité est menacée. Donc toucher
à cela ne serait pas injustifié pour tenir compte de la diversité, de la
réalité sociologique française mais me paraît en tout cas extrêmement
risqué, d’autant que les non-croyants qui sont probablement
majoritaires, athées, agnostiques, indifférents, libres-penseurs
diraient ‘pourquoi ne pas avoir une fête de l’athéisme ou une fête de la
libre pensée, un jour, qui serait chômée’. Et ils sont quand même plus
nombreux que les croyants !
7. Les enseignants sont-ils assez outillés pour faire vivre la
laïcité à l’école ?
Ce que je constate, c’est bien entendu que, face à certaines
constatations et une certaine pression, une partie de la communauté des
enseignants et de la communauté éducative se sent désarmée. Donc il faut
les outiller pour dire ce que permet la laïcité et ce qu’elle interdit.
Mais en même temps, je constate partout sur le territoire des
réalisations formidables et je regrette qu’on n’en parle pas plus, y
compris dans les quartiers difficiles des zones REP ou REP+ . Et pour
les différents enseignements, depuis la maternelle jusqu’au BTS. Il y a
de nombreux établissements où un travail formidable est fait avec les
élèves autour par exemple de la Charte de la Laïcité à l’école qui a été
introduite par Vincent Peillon, mais aussi autour de l’enseignement
moral et civique ou autour de l’enseignement laïque des faits religieux.
Je souhaite, et nous voulons y contribuer à l’Observatoire, qu’on puisse
mieux connaître et faire connaître ces réalisations qui sont
intéressantes, parce qu’elles peuvent servir d’exemple dans d’autres
établissements, et qui permettent à nos concitoyens, de voir que, bien
sûr, il y a des difficultés qu’il ne faut pas nier, qu’il y a des
conflits, mais qu’il y a aussi beaucoup d’endroits où la laïcité est
bien vivante. Elle est vivante comme quelque chose qui permet de
concilier la liberté de chacun avec le fonctionnement collectif de
l’institution scolaire ou même du pays. Bien sûr, il y a des cas, je
pense notamment à Montpellier, mais ce n’est pas le seul cas, où en
partenariat avec la Ligue de l’Enseignement, il y a une espèce de “tour
de ville”, où à travers ces découvertes physiques, historiques,
géographiques, on parle des faits religieux et de la laïcité. Très
concrètement, on va voir la synagogue, la mosquée, le temple maçon et
puis la mairie, comme lieu de la laïcité, après avoir vu les lieux
religieux et on discute de ce qui se passe dans chaque lieu, qu’est-ce
que ça veut dire, quelles sont les croyances et comment la laïcité
permet de faire vivre les croyances. Un autre exemple, je ne sais plus
où c’était, c’était plutôt des Terminales : un jeune garçon musulman et
une jeune fille juive ont fait un reportage extraordinaire sur les
préjugés des musulmans sur les juifs et des juifs sur les musulmans. Ils
l’ont fait avec beaucoup de talent c’est-à-dire qu’ils poussaient les
gens à la faute, à dire des choses qui étaient violentes, qui étaient
dures, qui étaient des préjugés scandaleux. Ils les encourageaient et
les gens se lâchaient petit à petit. Ils ont fait un montage avec ça, en
mettant des petites icônes pour montrer ce que les gens avaient en tête,
des préjugés des musulmans sur les juifs et des juifs sur les musulmans.
C’est un travail ravageur, quand vous avez ça, et ça vient de deux
personnes qui ont deux cultures différentes. Ça a un effet
extraordinaire. On a des initiatives de ce genre-là, très diverses, très
nombreuses et très vivantes.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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