[Infoligue] Le défenseur des enfants exécuté sans procès ?, par Claire Brisset et Dominique Versini

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mer 23 Sep 15:43:47 CEST 2009



Le défenseur des enfants exécuté sans procès ?, par Claire Brisset et
Dominique Versini

Publié par : LE MONDE 
Le : 23.09.09 

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En novembre, le monde entier
célébrera le vingtième anniversaire
de la Convention internationale des
droits de l'enfant. Le monde, sans
doute, mais la France ? L'année 2009
y restera celle que le gouvernement
aura choisie pour supprimer
l'institution que la loi a chargée,
depuis neuf ans, de veiller au
respect de ce traité.

Aucune explication n'aura été
donnée. En l'état actuel, le
défenseur des enfants sera rayé d'un
trait de plume. Il sera dilué dans
un nouveau "défenseur des droits"
absorbant les compétences du
médiateur de la République, de la
Commission nationale de déontologie
de la sécurité et du défenseur des
enfants, remplacé par un collège de
trois experts, à voix consultative.
L'identité de l'institution, son
indépendance, son mode
d'intervention au profit des enfants
n'existeront plus.

Depuis mars 2000, plus de 20 000
enfants se sont adressés à cette
institution, soit directement, soit
à travers leurs parents, des
associations ou les correspondants
territoriaux de la défenseure, parce
qu'ils sentaient leurs droits
menacés. Pour tous, cette
institution était un dernier
recours. "J'ai 10 ans. Mon père me
bat, il me fait peur, il faut que tu
m'aides." "J'ai 15 ans. Le juge ne
m'a pas entendu quand mes parents
ont divorcé. Je ne veux plus vivre
avec ma mère. Je vais fuguer." "J'ai
16 ans. Je vis au Caire mais je suis
française et musulmane. Mes parents
veulent m'envoyer en Mauritanie pour
me marier avec un homme de 60 ans
que je n'ai jamais vu."

Des courriers comme ceux-là arrivent
par dizaines, chaque semaine, sur le
bureau de la défenseure des enfants.
"Je vous écris avec l'aide d'un
infirmier. J'ai 12 ans. Je suis dans
un hôpital psychiatrique avec les
adultes. Je ne vais plus à l'école
depuis deux ans. Aidez-moi !" "J'ai
9 ans. Je suis arrivé en France pour
être amputé d'un bras. Je n'ai pas
vu ma famille depuis trois ans, le
préfet dit que je dois attendre
encore deux ans pour aller la voir
en Algérie. Je suis triste."

Les enfants, les adolescents,
s'adressent à la défenseure des
enfants parce qu'ils la connaissent.
Parce qu'ils ont été orientés vers
elle, sachant que cette institution
n'a d'autre mandat que de porter
leur voix, de défendre leurs droits.
Et convaincus qu'elle le fait en
plaidant parfois au-delà de la loi
nationale. Placer des mineurs avec
leurs parents dans un centre de
rétention administrative n'est pas
interdit par la loi française. Mais
c'est enfreindre la convention
internationale ratifiée par la
France en 1990, qui impose l'intérêt
supérieur des enfants comme
considération primordiale. Leur
défenseure plaide cette cause,
quitte à déplaire.

Lorsque la France, en mars 2000,
s'est dotée d'une telle institution,
sur une initiative parlementaire,
elle a rejoint les dix pays
européens qui en disposaient déjà.
Ils sont trente-cinq en Europe
(réunis cette semaine à Paris, sous
la présidence de la défenseure des
enfants française) et une
soixantaine à travers le monde. Leur
nombre croît sans cesse, notamment
en Afrique. Le président russe a
nommé un défenseur des enfants le
jour même où le gouvernement
français décidait de supprimer le
sien.

En neuf ans, cette institution n'a
cessé de contribuer à améliorer le
droit et les pratiques relatives aux
mineurs en portant un regard
pluridisciplinaire sur les grandes
questions de société : faire en
sorte que la justice entende les
enfants quand leurs parents se
séparent. Proposer un statut pour
les beaux-parents dans les familles
recomposées. Faire punir lourdement
les clients des prostitué(e)s
mineur(e)s ; rehausser l'âge du
mariage des filles de 15 à 18 ans
pour limiter les unions forcées.
Elle a constamment plaidé pour la
création des maisons des
adolescents, puis des équipes
mobiles de pédopsychiatrie, qui se
multiplient.

Depuis 2007, elle a décidé d'aller à
la rencontre des enfants et
adolescents dans les écoles et les
institutions spécialisées. Son
équipe de "jeunes ambassadeurs"
volontaires a sensibilisé plus de 50
000 enfants à leurs droits. En 2008,
elle leur a donné la parole par une
consultation nationale avec des
conseils généraux et régionaux. Des
jeunes de métropole et d'outre-mer
ont élaboré 200 propositions sur les
questions qui les concernent. Elles
doivent être remises dans un livre
d'or à M. Sarkozy et au Parlement le
20 novembre. Seront-ils les
ambassadeurs d'une cause perdue
d'avance ?

Personne ne comprendrait que la
France s'inscrive à contre-courant
du mouvement amorcé par Janusz
Korczak, ce pédiatre polonais qui,
en 1942, est allé volontairement
vers la chambre à gaz avec les deux
cents orphelins juifs qu'il aura
jusqu'au bout tenté de protéger.
Korczak qui demandait pour les
enfants "du respect... Du respect
pour ce dur travail qu'est la
croissance. Du respect pour leur
chagrin et pour leurs larmes.
Laissons, disait-il, laissons
l'enfant, confiant, boire la gaieté
du matin".


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Claire Brisset est ancienne
défenseure des enfants, médiatrice
de la Ville de Paris ;

Dominique Versini est défenseure des
enfants, ancienne secrétaire d'Etat
aux affaires sociales.


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Denis Lebioda
Ligue de l'enseignement - Chargé de mission Alpes du Sud
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