[Infoligue] Les associations face à la reconfiguration des individus

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 1 Déc 09:32:32 CET 2011


  Les associations face à la reconfiguration des individus

Publié par : http://www.fonda.asso.fr/Les-associations-face-a-la.html
Le : 30/11/11

par Yannick Blanc, haut fonctionnaire et militant,
paru dans La tribune fonda n° 211

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La « montée de l’individualisme » est un thème de réflexion, pour ne pas 
dire d’inquiétude, très répandu dans le monde associatif. Le constat 
d’une crise du militantisme, de la difficulté à renouveler cadres et 
dirigeants associatifs renvoie au spectre du repli sur soi qui 
caractériserait l’évolution des mœurs et des idéologies. Face à cette 
nostalgie de l’engagement, cette note repose sur l’hypothèse que ce 
qu’on appelle l’individualisme n’est pas une régression morale et ne 
signe pas le déclin irréversible de l’action collective mais que cette 
dernière ne peut au contraire prospérer qu’en tenant compte et en tirant 
parti des mutations qui affectent, depuis une trentaine d’années, les 
modalités et les formes des relations entre les individus, les groupes 
et les institutions.

Cette hypothèse ne relève pas seulement d’un certain optimisme de la 
volonté. Elle s’étaye autant sur la lecture de nombreux travaux 
sociologiques qui se sont attachés à décrire cette mutation que sur la 
vitalité constatée des mouvements sociaux. Il est indéniable que quelque 
chose a changé et que cette chose n’est pas facile à définir. Elle 
relève autant de la place des personnes dans le monde du travail que du 
déclin d’un certain paradigme de l’autorité des institutions ou du 
déplacement des croyances et des pratiques religieuses dans la vie 
sociale. Ce changement affecte plus particulièrement les associations 
parce que celles-ci ne tirent leur vitalité, pour ne pas dire leur 
existence même, de la capacité des individus à se constituer 
volontairement en collectifs organisés.

Après avoir exploré quelques réflexions d’auteurs qui ont analysé 
l’individualisme contemporain, cet article propose quatre hypothèses 
d’évolutions possibles de l’individu et de son lien au collectif et aux 
institutions, afin de nourrir une prospective du monde associatif.

QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

Le procès de l’individualisme

Le règne sans partage de l’individu (Gilles Lipovetsky)

« À coup sûr, tout ne date pas d’aujourd’hui. Depuis des siècles, les 
sociétés modernes ont inventé l’idéologie de l’individu libre, autonome 
et semblable aux autres. Parallèlement, ou avec d’inévitables décalages 
historiques, s’est mise en place une économie libre fondée sur 
l’entrepreneur indépendant et le marché, de même que des régimes 
démocratiques. Cela étant, dans la vie quotidienne, le mode de vie, la 
sexualité, l’individualisme jusqu’à une date récente s’est trouvé barré 
dans son expansion par des armatures idéologiques dures, des 
institutions, des mœurs encore traditionnelles ou 
disciplinaires-autoritaires. C’est cette ultime frontière qui s’effondre 
sous nos yeux à une vitesse prodigieuse. Le procès de personnalisation 
impulsé par l’accélération des techniques, par le management, par la 
consommation de masse, par les médias, par les développements de 
l’idéologie individualiste, par le psychologisme, porte à son point 
culminant le règne de l’individu, fait sauter les dernières barrières . »

Pluri-appartenance et angoisse de l’individu (Gérard Mendel)

« On a entendu ce titre comme le fait que l’individu contemporain serait 
sans appartenance. Or, je voulais évoquer les pluri-appartenances. 
L’individu actuel possède à la fois des appartenances traditionnelles 
qui lui viennent du passé, de la religion, de l’autorité, de la famille, 
et des appartenances actuelles qui sont ses investissements dans notre 
société. Mais une partie de lui reste sans appartenance. L’individu 
n’accepte plus de s’articuler à la société ou au collectif de la même 
manière qu’auparavant, sous peine de perdre la nouvelle autonomie de sa 
personnalité. Donc une partie de chacun de nous n’est pas socialement 
investie, elle reste libre. Au Moyen-Âge, qui naissait paysan restait 
paysan toute sa vie, avec un costume de paysan, une idéologie de paysan, 
idem pour celui qui naissait noble, il s’agit de l’uni-appartenance. 
Avec la multi-appartenance, dorénavant, on peut être nationaliste, 
conservateur, et pourtant, contradictoirement, placer son argent en 
Suisse parce que c’est plus productif. Chacun est rempli de 
contradictions, une femme a envie d’exercer un métier, elle se trouve en 
contradiction avec le modèle de sa mère ; un chrétien peut se trouver en 
contradiction avec le pape. J’ai voulu décrire ce thème de l’individu 
traversé d’appartenances contradictoires mais dont une partie restait à 
l’état libre.

Pour la plupart des individus, cet état développe un mal-être. Ce n’est 
pas facile, quand, dans notre formation, rien n’a été fait pour nous y 
aider, de trouver par soi-même un sens à sa vie, un modèle de 
comportement avec son épouse, un modèle d’éducation pour ses enfants. 
Auparavant, les choses de la vie étaient coulées au moule. Maintenant, 
tout fait problème. De plus, les conditions actuelles ne permettent pas 
à l’individu de développer la richesse potentielle de cette situation. 
(…) La richesse potentielle de la personnalité de nos contemporains, 
faute de pouvoir s’élaborer, crée de l’angoisse . »

L’individu réflexif et auto-référent (Marc-Henry Soulet)

« Si l’on suit un paradigme qui s’impose fortement en sociologie 
aujourd’hui, nous serions en présence d’un nouvel individualisme 
résultant d’une amplification du processus de modernisation de la 
société, voire d’un changement de nature de la modernité. 
L’affaiblissement des liens sociaux en raison de l’érosion des 
structures intermédiaires et la dissolution des groupes d’appartenance, 
déjà au cœur de l’analyse sociologique classique de la modernité, 
n’ayant pas laissé place à d’autres formes stables de socialisation et 
de sociabilité, l’individu serait ainsi devenu orphelin du social, isolé 
et sans appartenance collective significative. En prolongement de la 
transformation en profondeur des sociétés industrielles au cours du 
dernier quart du XXe siècle, émerge une seconde modernité. À une 
première modernité uni-dimensionnelle de détraditionnalisation ferait 
suite une modernité réflexive dans laquelle les individus chercheraient 
à s’émanciper des assignations de rôle et viseraient l’auto-référence et 
la recherche de la planification de leur propre biographie. Se 
spécifierait alors un nouveau rapport entre l’individu et la société, 
dans lequel le collectif ne serait plus instauré de haut en bas mais 
librement construit sur la base de vies individuelles mises en commun 
grâce à un processus transactionnel. Nous n’assisterions donc pas tant à 
un retrait sur la sphère privée ou à une invasion de la sphère publique 
par la sphère privée, qu’à un décloisonnement de ces deux sphères. Le 
public deviendrait l’élaboration du commun à partir de biographies 
individuellement produites . »

Ressources individuelles, reconnaissance et risque de désaffiliation

Cette thèse d’un délitement des liens sociaux et politiques contraignant 
les individus à « faire société » de manière autonome et volontaire (ce 
que Roger Sue appelle l’individu relationnel) n’est cependant pas 
évidente. Ce n’est pas en raison de l’absence de liens ou du repli sur 
soi que se fonde l’individu « hypermoderne », mais au contraire en 
raison d’un excès de liens qu’il faut hiérarchiser et articuler. Pour 
élaborer cette richesse relationnelle, l’individu doit avoir accès à des 
ressources symboliques et culturelles et évoluer dans un environnement 
social qui lui permette de valider sa construction individuelle : c’est 
le mécanisme de la reconnaissance.

Robert Castel affirme à ce sujet : « Pour ceux qui ne disposent pas de 
ces ressources, l’exigence de l’individualisation se traduit par une 
perte du statut, un retour de la vulnérabilité et à la limite par le 
décrochage complet par rapport aux appartenances collectives, ce que 
j’ai appelé la désaffiliation ».

Le déclin de l’institution

Inventer d’autres figures institutionnelles (François Dubet)

« Longtemps, le travail consistant à éduquer, à former, à soigner s’est 
inscrit dans un programme institutionnel : le professionnel, armé d’une 
vocation, appuyé sur des valeurs légitimes et universelles, mettait en 
œuvre une discipline dont il pensait qu’elle socialisait et libérait les 
individus. Les contradictions de la modernité épuisent aujourd’hui ce 
modèle. Cette mutation procède de la modernité elle-même, elle n’est pas 
la fin de la vie sociale. Plutôt que de se laisser emporter par un 
sentiment de décadence, dangereux parce qu’il n’imagine pas d’autre 
avenir qu’un passé idéalisé, il nous faut essayer d’inventer des figures 
institutionnelles plus démocratiques, plus diversifiées et plus humaines . »

La fin du programme institutionnel

Tout en faisant chorus avec les travaux que l’on vient de citer, 
l’approche de François Dubet, s’appuyant sur l’analyse concrète de ce 
sentiment de déclin chez des professionnels du « travail sur autrui » 
(enseignants, éducateurs, soignants, etc.), ouvre une nouvelle 
perspective sur les transformations qui modifient, non pas la place, 
mais le processus de construction de l’individu dans la société. Ces 
institutions ont eu pour clé de voûte un « programme institutionnel », 
ainsi nommé parce qu’il ne consiste pas seulement en un système de 
valeurs transcendantes, ce qui s’appliquait déjà aux institutions 
éducatives et sociales d’obédience religieuse qui les ont précédées, 
mais aussi en une promesse d’émancipation, d’accès à l’autonomie des 
individus qu’elles accueillent, qu’elles soignent, qu’elles forment ou 
qu’elles redressent. Le mythe de l’École républicaine illustre 
parfaitement ce système dans lequel des valeurs ou règles universelles 
sont transmises par des agents donnant une dimension humaine à ces 
valeurs, grâce à leur vocation, et arment les individus pour la vie 
sociale en faisant d’eux des citoyens.

À quel moment et pourquoi ce système s’enraye-t-il ? Si François Dubet 
décrit minutieusement les symptômes du déclin, il ne cherche pas outre 
mesure à en théoriser la cause : « Les contradictions de la modernité 
épuisent aujourd’hui ce modèle . » On peut cependant, en élargissant la 
perspective à d’autres métiers institutionnels, risquer une hypothèse.

La crise de la fonction tutélaire

On observe en effet, dans d’autres domaines que le « travail sur autrui 
», des phénomènes analogues au déclin du « programme institutionnel » : 
tous les métiers où la capacité à décider repose sur la détention d’une 
expertise ou d’un savoir sont confrontés à une crise de légitimité 
analogue. Deux exemples permettent d’illustrer ce phénomène. D’abord, 
celui du technocrate, c’est-à-dire, au sens propre, du pouvoir de faire 
reposer l’orientation d’une politique publique sur une expertise 
technique, dont le dernier quart de siècle a vu le déclin inexorable. 
Ensuite, celui du savant, figure jadis prophétique et bienfaitrice 
(Pasteur, Marie Curie) devenue ambiguë et controversée : que l’on songe 
au rôle du professeur Pellerin lors de la catastrophe de Tchernobyl, aux 
médecins mis en cause dans l’affaire du sang contaminé, etc.

Le point commun à l’ensemble de ces situations disparates est ce qu’on 
peut appeler le paradigme de la fonction tutélaire : les institutions 
appliquent aux individus des règles ou des décisions prises au nom de 
méta-règles, de valeurs, de principes, de vérités scientifiques, 
auxquelles ces individus n’ont pas un accès direct mais qui sont 
administrées par des clercs investis de la fonction tutélaire. La 
révolution silencieuse que nous vivons n’est donc pas tant celle de 
l’individualisme que celle de la dilution des règles implicites et 
parfois obscures de la vie collective. L’avènement de l’individu 
autonome s’accompagne du mythe de la transparence des décisions et de 
leurs motifs. Il n’est d’ailleurs pas indifférent pour notre propos que 
le paradigme tutélaire ait été le plus souvent ébranlé par une 
contestation portée par des associations de riverains, de victimes, de 
malades, de solidarité, etc. Dans cette longue mutation touchant à des 
titres divers l’ensemble de nos institutions, une génération 
d’associations a été une ressource capitale pour les contre-pouvoirs, 
tandis que de grandes institutions associatives issues des générations 
précédentes (mouvements chrétiens, éducation populaire, etc.) se 
heurtaient elles aussi au déclin de l’institution.

Les associations, laboratoire de la reconfiguration du lien entre 
individu et collectif ?

Face aux mutations de l’individu autonome et au déclin de l’institution, 
les associations se trouvent donc dans une situation ambivalente : il 
existe une génération associative qui a joué un rôle actif et parfois 
décisif (on pense aux associations de malades dans la lutte contre le 
SIDA) dans cette mutation. Mais ces associations ne sont pas plus 
préservées que celles héritées des générations précédentes de la 
précarité du lien associatif, lorsque celui-ci cesse de s’adosser à un 
référent institutionnel solide. En termes de prospective, cela signifie 
que les associations, mieux que les entreprises ou les organisations 
publiques, peuvent être des laboratoires de la reconfiguration des 
individus dans leurs rapports aux institutions. L’association est la 
seule institution où s’exerce sans contrainte la liberté d’élaborer, y 
compris par essai et erreur, des règles d’action collective et de vivre 
ensemble. La difficulté est d’assumer cette liberté sans se laisser 
renvoyer alternativement au modèle entrepreneurial ou au conformisme 
administratif.

HYPOTHÈSES D’ÉVOLUTIONS POSSIBLES

L’hypothèse d’évolution possible « Houellebecq » : nihilisme, hédonisme, 
marchandisation…

La société postmoderne se caractérise par l’incroyance et le 
néo-nihilisme. L’individualisme hédoniste et personnalisé est la 
conséquence de l’évaporation des grands mythes révolutionnaires. 
L’affaiblissement des croyances efface les idéologies au profit d’un 
vide comblé par des jouissances matérielles.

Michel Houellebecq illustre dans ses romans les théories soutenues par 
Gilles Lipovetsky sur l’avènement de l’individu hypermoderne : 
narcissique, apathique, égoïste et indifférent. L’individualisme 
narcissique est une réaction aux déceptions et aux frustrations 
engendrées par les grandes mobilisations idéologiques et utopiques.

La marchandisation du domaine social, de la culture et des loisirs 
s’étend. Les grandes structures associatives dont le ciment est 
essentiellement idéologique (religion, laïcité, travail social) 
s’étiolent inexorablement ou ne survivent qu’en devenant des 
coopératives gestionnaires (cf. l’hypothèse d’évolution de la RGPP 
associative ci-après). On observe a contrario une grande vitalité des 
associations identitaires, des groupes de défense d’intérêts locaux, 
minoritaires ou spécifiques, des clubs de consommateurs ou de 
passionnés. Une contre-culture écologiste, pratiquant la décroissance et 
l’économie sociale et solidaire dans des zones urbaines ou rurales 
dépourvues de services publics et d’offre marchande, se développe grâce 
à la bienveillance croisée de l’État et des grandes entreprises. C’est 
la Big Society des conservateurs britanniques dans laquelle la société 
du care s’est substituée, à un coût beaucoup moins élevé, à l’État du 
welfare. La dynamique des réseaux sociaux est mise au service d’un 
communautarisme généralisé. Les winners se retrouvent dans des réseaux 
professionnels, marchands ou de technologie créative dans lesquels le 
loisir (sport, jeu vidéo, création numérique, pornographie amateur) peut 
à tout instant se transformer en business grâce à des incubateurs 
virtuels de micro-entreprises. Les losers se connectent aussi, même si 
c’est avec une génération technologique de retard, pour échanger gardes 
d’enfants, produits du potager et matériel d’occasion parfois 
reconditionné par des structures d’insertion où les bénéficiaires du RSA 
travaillent 10 heures par semaine…

L’hypothèse d’évolution possible « Ashoka-Nespresso » : entrepreneuriat 
social, RSE , ESS

Le modèle de l’entrepreneur social et le financement par la venture 
philanthropy sont devenus les références du monde associatif. Les 
entreprises développent leur politique de responsabilité sociale et 
environnementale en venant au secours d’associations fragilisées par la 
réduction des financements publics. Cette complémentarité 
entreprise-association permet de rendre durable le sous-équilibre 
économique des dents creuses de la société : elles rendent solvables des 
marchés pauvres et assurent l’emploi de personnes non-compétitives. 
L’investissement philanthropique (mécénat de compétences) s’inscrit dans 
la gestion des ressources humaines de ces entreprises dans une 
perspective de développement personnel et d’acquisition de compétences 
sociales et relationnelles par les cadres. Le transfert de savoir-faire 
s’opère naturellement vers les associations et permet le développement 
d’une GRH des bénévoles.

Les entreprises multinationales établissent des fondations planétaires 
consacrées au développement durable qui permettent de financer des 
marchés de niches sur des produits ethniques et du commerce équitable. 
Les PME créent des fondations territoriales qui soutiennent les 
associations d’entraide. La complémentarité entreprise-association 
permet d’assurer la fluidité sociale d’un système économique fondé sur 
la précarité généralisée : les individus marginalisés par le système 
productif sont, selon leur productivité relative, recyclés comme 
entrepreneurs sociaux ou intégrés à des réseaux d’économie solidaire.

L’hypothèse d’évolution possible de « la RGPP associative » : 
mutualisations et privatisations

Les associations se regroupent et mutualisent leurs moyens pour être en 
mesure de répondre aux appels à projets de l’État et des collectivités 
locales en vue d’optimiser leur rôle de substituts du service public 
dont la disparition et la privatisation s’accélèrent. Les statuts 
assistés se développent et se diversifient : volontariat, service 
civique obligatoire, TIG comme sanctions pénales alternatives ou comme 
obligation pour les chômeurs de longue durée d’accepter un emploi 
d’intérêt général. La notion d’usager du service public disparaît au 
profit de celle de « client » pour ceux qui sont solvables et de « 
bénéficiaire » pour ceux qui doivent être pris en charge. Le couple 
bénévole / bénéficiaire devient alors le pivot de l’appartenance aux 
associations au nom d’une économie et d’une éthique du don.

La société véritable : l’hypothèse d’évolution possible Pierre Leroux 2.0

« Je ne suis pas socialiste, si l’on entend par ce mot une opinion qui 
tendrait à faire intervenir l’État dans la formation d’une société 
nouvelle, où seraient véritablement réalisés les augustes mots de 
l’immortelle devise de nos pères : Liberté, Fraternité, Egalité. Non, ce 
n’est pas pour réaliser de tout point cette société nouvelle que vous 
avez reçu mandat du peuple, mais pour permettre que cette société 
nouvelle se réalise par les efforts individuels des citoyens, 
s’échappant du néant de l’individualisme, et convergeant par des essais 
d’associations de toute nature, vers la société véritable . »

Une nouvelle chance pour l’associationnisme

Les hypothèses d’évolutions possibles tendancielles que l’on vient 
d’esquisser ont en commun de faire des associations la variable 
d’ajustement de certaines transformations aujourd’hui observées dans la 
société et qui, à des titres divers, façonnent la reconfiguration des 
individus dans leurs rapports aux institutions. La fin du cycle 
idéologique de l’ultralibéralisme et le dépérissement du paradigme de 
l’institution tutélaire (l’Église en charge des consciences, l’État 
providence, l’École creuset de la République, la Firme…) donnent 
cependant une nouvelle chance à l’associationnisme, entendu comme la 
capacité des individus à façonner volontairement une partie au moins des 
institutions.

Cette hypothèse d’évolution du souhaitable reprend certains éléments des 
hypothèses d’évolutions possibles précédentes : la constitution des 
réseaux affinitaires, le développement du modèle entrepreneurial, la 
mutualisation des moyens correspondent à des tendances lourdes de la 
société ou à des contraintes inévitables.

Mais ces tendances s’insèrent dans une hypothèse d’évolution possible où 
les associations ont su construire une légitimité propre fondée sur le 
besoin d’organisation de la société civile hors des institutions 
tutélaires et indépendamment des contraintes de la société marchande. 
Cette légitimité repose à son tour sur leur capacité à offrir aux 
individus de la post ou de l’hyper-modernité les moyens de leur 
émancipation, de leur autonomie et de leur reconnaissance comme acteurs 
et décideurs de la communauté des citoyens.

Trajectoires individuelles et bien commun

Les expériences de RESF , d’AIDES et de France Initiative correspondent, 
dans trois domaines complètement différents, à des situations où c’est 
un bien, un motif ou un projet individuel qui justifie l’association : 
la défense d’une famille sans-papiers, le combat face à la maladie et à 
ses conséquences sociales, la création d’entreprise. Mais contrairement 
à l’association de pure défense d’intérêts communs, la structure 
associative élève ces trajectoires individuelles à la hauteur d’un 
mouvement de construction du bien commun : l’accueil des étrangers, la 
santé publique et l’inclusion des minorités sexuelles, la lutte contre 
le chômage. Le phénomène de génération associative s’illustre ici par le 
fait que ces mouvements ne sont pas nés comme déclinaisons de projets 
spirituels ou politiques pour la société à la façon des mouvements 
chrétiens, ouvriers ou laïcs, mais ont élaboré leur projet politique à 
travers l’éthique associative de la mise en commun. Il y a dans ces 
trois cas des règles propres à l’association qui façonnent et délimitent 
son identité mais qui lui donnent aussi une légitimité au sein de la 
société toute entière, autrement dit une valeur universelle.

Le véritable sens des règles collectives

Si, pour parler comme Vincent Descombes , l’institution n’est pas ce qui 
enferme ou interdit mais ce qui donne du sens à travers un système de 
règles, ces associations répondent parfaitement à cette définition : on 
n’agit collectivement qu’en se donnant des règles pertinentes au regard 
du problème ou du projet commun ; c’est le mode d’élaboration et 
d’application de ces règles qui leur donne une dimension universelle. 
L’expérience associative est, à cet égard, l’exact contraire du 
mouvement sectaire dans lequel les règles communes particulières ne font 
pas sens pour la société. Si l’on définit l’éthique comme l’élaboration 
et l’application de règles qui ne sont pas données a priori mais qui 
permettent de donner du sens aux questions issues de l’expérience, alors 
l’affectio societatis revêt une dimension essentiellement éthique. Le 
potentiel de reconnaissance des associations comme institutions de la 
société civile repose en grande partie sur cette dimension, pour peu 
qu’elles soient capables de la faire vivre dans leur discours et dans 
leurs pratiques. Deux types de problèmes méritent une attention 
particulière : les modalités d’appartenance à l’association et les 
modalités d’exercice des fonctions dirigeantes.

Modalités d’appartenance

L’association est par excellence l’institution des individus sans 
appartenance : le mouvement auquel j’adhère n’englobe pas mon identité, 
il ne représente qu’une partie de celle-ci et a donc pour principe de 
respecter la singularité de chacun de ses membres, c’est-à-dire le 
caractère composite de son identité, sa multiappartenance. Ainsi se 
définit sans doute le sens contemporain que l’on peut donner à la notion 
de laïcité.

La question des symboles de l’appartenance, ou si l’on préfère de 
l’adhésion, se pose par conséquent à nouveaux frais. Le paiement de la 
cotisation, la remise de la carte, la participation à l’assemblée 
générale annuelle sont le plus souvent des rituels creux, qui ne 
produisent pas de sens. Il va falloir rechercher pour chaque type 
d’association, les modalités de renouvellement périodique de l’accord 
des volontés qui est l’essence du contrat d’association et qui, comme 
l’affirme l’article 1er de la loi de 1901 et le démontre l’expérience de 
RESF, ne nécessite pas forcément l’existence d’instances statutaires. Ce 
n’est pas le recours aux réseaux sociaux du Net qui fait l’association 
hypermoderne, mais sa réactivité collective aux attentes de ses membres.

L’organisation et l’exercice des fonctions dirigeantes répondent au même 
impératif de ductilité. Le dirigeant n’est pas nécessairement un 
représentant élu à l’issue d’une procédure de candidature analogue à 
celles des institutions politiques, mais peut-être un mandataire au sens 
le plus large, éventuellement recruté pour ses compétences, ses 
ressources sociales, etc.

Accueil, disponibilité et partage

Dans cette hypothèse d’évolution possible, ce que le « monde associatif 
» offre aux individus à la recherche d’échange ou d’engagement, ce ne 
sont évidemment pas des structures pyramidales, fermées, ésotériques, 
n’accueillant les nouveaux venus qu’avec d’infinies précautions mais au 
contraire des plateformes de don, de service, de retour d’expérience. 
S’il y a une éthique commune du monde associatif dans son infinie 
diversité, elle se définit par l’accueil, la disponibilité et le partage.

En guise d’ouverture…

L’individu reconfiguré est à la fois plus riche de potentiel, porteur de 
davantage de capacités créatives et relationnelles mais aussi plus 
fragile lorsque ce potentiel est convoqué par les exigences de la 
productivité, de l’adaptation et de la précarité. L’association se 
distingue des autres institutions parce qu’elle ne demande aux individus 
ni d’être performants ni d’être conformes. Elle est donc, par 
construction, plus proche des attentes des individus que ne le sont 
aujourd’hui les entreprises et les organisations publiques. Précaires 
dans leur existence et leur identité, les associations sont éperdument 
en quête d’une reconnaissance qu’elles ne devraient attendre ni des unes 
ni des autres. Sondage après sondage, l’homme de la rue leur accorde sa 
confiance. Si elles ont un projet commun à élaborer, c’est bien celui 
d’une éthique des individus et d’une constitution de la société véritable.

Bibliographie

Dubet F., Le Déclin de l’institution, 2002
Lipovetsky G., L’Ère du vide – Essais sur l’individualisme contemporain, 
1983.
Mendel G., Cinquante-quatre millions d’individus sans appartenance, 1983.
Soulet M.-H., Les Mutations contemporaines du lien social, 2004.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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