[Infoligue] L'environnement du monde associatif

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 1 Déc 09:31:02 CET 2011


L'environnement du monde associatif

Publié par : http://www.fonda.asso.fr/L-environnement-du-monde.html
Le : 30/11/11

par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda,
paru dans La tribune fonda n° 211

****************

L’environnement du monde associatif un contexte sociétal inédit marqué 
par des bouleversements fondamentaux, multiples et profonds

Malgré la difficulté de l’exercice, cette contribution vise à examiner 
quelques grandes évolutions qui alimentent le débat quotidien des 
Français et vont impacter les comportements individuels et collectifs à 
la source même de l’engagement. Nous avons tenté dans un premier temps 
de clarifier ce qui, dans les tendances de fond de l’évolution du monde, 
apparaît structurant pour le débat public et les choix collectifs, pour 
se centrer dans un second temps sur les lignes de fractures ou de 
vulnérabilités individuelles et collectives qui sont le plus souvent 
prises en charge par les associations constituées ou qui génèrent de 
nouvelles associations ou formes associatives. Enfin, parce que le 
mouvement associatif a largement suscité et accompagné le développement 
de l’État-Providence, il était nécessaire de faire le point sur ce qu’on 
appelle les risques, risques anciens mais aussi risques nouveaux qui 
appellent des réponses collectives.

L’horizon de notre exercice de prospective est à dix ans, contrairement 
à bien d’autres qui se situent généralement à vingt ans, ce qui facilite 
alors la réflexion sur les ruptures possibles. À dix ans, beaucoup de 
choses sont inscrites dans les tendances longues décrites. Il n’y a donc 
pas beaucoup d’espace pour imaginer des ruptures globales 
significatives. Nous vivons déjà des ruptures significatives qu’il faut 
« gérer » au mieux, de la nécessité de vivre avec le sens de l’économie 
tout en acceptant les échanges mondiaux, jusqu’à l’immédiateté de 
l’information bousculant le rapport au temps et à l’espace.

Depuis le milieu des années 1970, les temps sont durs ; ils seront plus 
durs dans les dix ans qui viennent ; les tensions et les questions à 
traiter sont telles qu’un énorme effort de redistribution multiforme est 
nécessaire, un surcroît de solidarité indispensable. L’enjeu pour les 
associations est non seulement d’accompagner ce moment mais aussi de 
poser les termes des débats à mener et des décisions à prendre.

Les évolutions mondiales structurantes

Le monde et l’Europe : vers des réponses coopératives à la mondialisation ?

La mondialisation en question ?

Il est banal aujourd’hui de parler du village qu’est devenu le monde : 
tout se sait ou presque ; la rapidité des transports comme l’infinie 
vitesse de canaux de communication ont bousculé la planète, décuplé les 
échanges alors que, depuis 1989, régressaient les totalitarismes. Le « 
printemps arabe » n’est que la nouvelle étape de cette accélération de 
l’histoire vers l’échange et la démocratie.

Peut-il y avoir un retour en arrière de ce mouvement de globalisation ? 
Probablement pas. Par contre, cette dynamique peut connaître des ratés, 
générer des tensions, car il en va de la production de richesses et de 
leur répartition à l’échelon mondial. L’apparition de géants 
économiques, aujourd’hui regroupés dans ce qu’on appelle les BRICS 
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), marque l’effort de 
coordination qui se cherche face au G8. Le G20 préfigure certainement la 
recherche de nouveaux modes de gouvernance mondiale. Mais à dix ans, 
notre horizon, que se passera-t-il ?

Les experts pensent que la régulation mondiale pourrait prendre deux 
directions principales alternatives, avec, dans tous les cas, le 
développement d’efforts de coordination mondiale pour réguler les 
marchés financiers, résistants, générateurs de complexité :
- première direction, en suivant la ligne de la plus grande pente, selon 
une domination globale par le marché, polarisant alors les activités 
autour de vastes métropoles mondiales ;
- seconde, avec la recherche de l’affirmation de grandes régions du 
monde (Asie, Amériques, Afrique...), sur le plan économique, voire 
géopolitique, sans pourtant que ne se construisent encore des lieux 
nouveaux de production du droit intégrant les droits des générations à 
venir comme l’a fait et le fera encore l’Europe. Dans ce monde 
multipolaire, on devrait assister à cet horizon :
- à une vive concurrence sur l’accès aux sources d’énergie, aux matières 
premières et aux produits alimentaires de base, génératrice d’inflation 
pour les États et les particuliers. Singulièrement, la croissance de 
l’Asie engendrera des besoins énergétiques immenses (+ 50% d’ici 2035) 
tels que l’accès aux ressources pourrait provoquer de fortes tensions si 
de profonds bouleversements technologiques ne sont pas entrepris et s’il 
n’y a pas de partage équitable (M. Wolf ),
- au maintien des inégalités de développement si rien n’est entrepris 
notamment en Afrique,
- à la continuation du profond mouvement d’urbanisation dans tous les 
pays bien que celui-ci soit souvent prématuré et engendrant par là-même 
de la misère (A. Tibaijuka ),
- à la continuation de la séparation entre les lieux de création et ceux 
de production dans nos sociétés occidentales de moins en moins 
productrices directes, industrielles (perte de 10% des emplois dans 
l’industrie entre fin 2003 et fin 2007), mais plus créatives (par 
exemple, recherche, services aux entreprises : +27% d’emplois pendant la 
même période),
- au maintien de dynamiques démographiques internationales puissantes, 
notamment des flux migratoires avec l’apparition d’une forme 
d’émigration de la France vers l’extérieur (deux millions de français 
travaillent aujourd’hui à l’étranger).

Les tensions resteront très fortes sur nos compatriotes en termes de 
pouvoir d’achat, de restructuration des emplois engendrant des mobilités 
professionnelles multiformes, ascendantes et descendantes, géographiques 
consécutives au mouvement « schumpétérien » de « destruction créatrice » 
des activités. Les flux migratoires resteront à dix ans assez importants 
et continueront à alimenter les réactions de peur et les difficultés 
d’intégration des populations migrantes.

L’Europe, à la croisée des chemins

La construction européenne a été une réponse au développement des 
nationalismes et des deux grandes guerres mondiales qui l’ont suivie. 
L’Union européenne a été construite pour créer un espace de paix et de 
prospérité économique, et, en créant un espace de droit commun, elle 
exerce progressivement des responsabilités internationales notamment sur 
la question des libertés. Deviendra-t-elle une Europe-puissance, 
construisant une cohésion économique et sociale équitable, lui 
permettant de dialoguer à armes égales avec les États-Unis et les 
puissances émergentes ? Pour ce faire, une coordination plus rigoureuse 
des politiques économiques et budgétaires nationales, mieux une 
solidarité budgétaire, devra dépasser les divergences croissantes des 
modèles économiques entre sa moitié nord et sa moitié sud, sous peine 
d’éclatement de l’Union économique et monétaire (L. Cohen-Tanugi ).

Une fois écartée l’hypothèse de la cassure de l’Union européenne (les 
grands pays n’ont pas intérêt à un retour en arrière, source 
d’adaptations régressives lourdes, économiques et géopolitiques), 
d’après le groupe « Vivre ensemble » du Conseil d’Analyse Stratégique 
(présidé par Jean-Paul Fitoussi), l’avenir du modèle français restera 
fortement conditionné par l’avenir de l’Europe. Trois scénarios 
européens sont possibles d’après ce rapport :

« Le premier scénario, L’Europe, Empire du vide, s’inspire d’une 
continuation tendancielle de l’Europe actuelle, avec ses limites. Il 
renvoie donc à une Europe de la règle, qui se caractérise 
essentiellement par des normes économiques et budgétaires, et une 
continuation de la tendance à la désinflation sociale qui transforme 
l’Union économique et monétaire (UEM) en un jeu à somme nulle. Dans ce 
contexte de concurrence appauvrissant, les citoyens européens subissent 
la baisse des salaires dans la valeur ajoutée, la montée des inégalités 
de revenus et la course vers le bas des États-Providence.

Le deuxième scénario est celui de l’Europe des villes-États. Le 
développement d’une Europe qui fonctionne comme une petite globalisation 
s’accompagne d’effets d’agglomération et de concentration territoriale. 
Tendanciellement, les inégalités se creusent entre les pays mais aussi 
au sein des pays, avec des différences interrégionales croissantes et la 
montée en puissance de grandes métropoles. À terme, la déconnexion 
croissante entre les métropoles et le reste des territoires menace 
l’unité de certains États-nations (exemple actuel de la Belgique ou de 
l’Italie).

Le troisième scénario est celui de l’Europe Renaissance. Il s’articule 
avec un renouveau du projet politique européen, et la constitution 
progressive d’un gouvernement économique de la zone euro. Ce projet 
s’appuie sur une croissance « grise et verte » fondée sur une économie 
de la connaissance et de la recherche. La création d’une Communauté 
européenne de l’environnement, de l’énergie et de la recherche (C3ER), 
sur le modèle de la CECA , vise, avec un budget et une fiscalité ad hoc, 
à relancer l’économie et ouvre l’opportunité d’un approfondissement 
pragmatique de l’Europe politique. La compétitivité-productivité rouvre 
des marges de manœuvre et facilite l’adhésion des États membres à un 
paradigme d’investissements de cohésion, pour favoriser la montée en 
gamme des qualifications et l’accès à des emplois de qualité. »

L’Europe reste l’avenir de notre pays, mais les Français, quelle que 
soit leur branche d’activité, leur niveau de responsabilité, souhaitent 
une Europe qui copie le modèle français ! Or « l’Europe du droit » qui 
continue à se construire est un être hybride qui emprunte sur le terrain 
juridique aux expériences des différents pays, ceux relevant de la 
common law comme ceux issus du droit latin. Dans tous les cas, des 
pressions continueront à s’exercer sur les associations françaises très 
dépendantes du financement public. À ne pas voir ce qui se construit 
réellement – ce qui n’empêche pas de militer pour essayer de faire 
passer son point de vue, par exemple sur les SSIG –, on s’interdit de 
rechercher ce qui dans d’autres modèles peut nous aider à converger vers 
ce que le mouvement associatif recherche, l’autonomie associative.

Une Société « limitée » : la nécessité du développement durable

Même si subsistent des débats sur cette question, notre milieu de vie 
est en train de se transformer, de se détruire diront certains. La 
question écologique va profondément marquer notre horizon : il nous 
faut, dès maintenant, raisonner non plus dans le cadre d’un monde infini 
où le progrès est continu mais dans celui d’un univers clos sans savoir 
si « nous pouvons réussir à redresser la barre » (Daniel Cohen). Il va 
falloir donc transformer nos modes de vie et de production dans un monde 
incertain. L’incertitude devient consubstantielle à notre développement.

Dans l’immédiat, la raréfaction des ressources ou plutôt la vive 
concurrence pour l’accès aux ressources entre grandes nations, anciennes 
et émergentes, modifiera les termes de l’échange et suscitera 
certainement de nouvelles inégalités de développement. À tout le moins, 
cela aura une influence sur les prix et l’inflation.

Certes, globalement la hausse du coût des transports pourrait conduire à 
une relocalisation des activités mais rien n’est moins sûr, étant donné 
l’importance des marchés émergents ; il faudra surtout repenser la 
mobilité à cause de son coût notamment écologique (logement, 
transports…) et porter une attention soutenue à la gestion démocratique 
des biens collectifs (eau, air, produits alimentaires de base).

Paradoxalement, l’objectif devrait être de transformer les normes de 
consommation occidentales tout en les rendant compatibles avec leur 
généralisation à l’ensemble du monde (destin d’une civilisation unique), 
ce qui devrait conduire à un possible frein à l’économie productiviste.

La condition première pour le permettre passe par l’intelligence 
partagée des enjeux, l’intériorisation par chaque membre de la société 
des conditions de notre survie collective. Car nous nous cramponnons à 
des modes de pensée et d’action, et avons du mal à nous interroger sur 
les raisons du changement qui devrait conduire vers du développement 
durable. Pour cela, il nous faudra (B.Perret ) :

- « Mettre à jour les conditions sociales (structures sociales) de la 
transition vers un nouveau modèle de développement autre que celui de la 
raison collective actuelle entièrement occupée par l’économie sous 
l’empire des marchés financiers,
- Repenser la cohérence de nos raisons d’agir (sans éviter le 
questionnement éthique), s’imprégner du souci du long terme, parler au 
nom de l’avenir en se fondant sur un sens élevé de la dignité et de la 
vocation humaine,
- Déplacer nos manières de lire le monde pour que l’homo economicus qui 
est en nous se métamorphose en homo viabilis, l’homme viable ou mieux « 
celui qui trace un nouveau chemin » (une nouvelle « Voie » dit E. Morin 
) : « non de rendre la société meilleure, mais de la rendre viable ». Le 
moment est venu de faire le pari de la lucidité en mettant les gens face 
à la réalité et à leurs responsabilités. »

Le mode de régulation en gestation (il demandera plusieurs dizaines 
d’années pour s’établir) pourrait être alors fondé :
- soit sur la base du concept de développement durable intégré 
(indicateurs de développement humain, d’empreinte écologique, « société 
de l’Être », avec croissance maîtrisée selon les besoins),
- soit sur le fondement d’une croissance redéployée (indicateur du PIB, 
société de l’avoir, avec croissance forte).

Ce nouveau rapport à la mondialisation et au développement est déjà 
porté par divers mouvements, alter mondialistes, par exemple, ou 
internationaux. Le Pacte civique a défini des objectifs et une méthode 
qui articulent la décision politique, nationale et internationale, 
l’action collective des corps intermédiaires, la modification des 
comportements individuels. Le mouvement associatif peut-il dans son 
ensemble porter cette ambition éminemment politique du développement 
durable et solidaire qui est susceptible de générer des clivages 
idéologiques en son sein ?

Nouvelle économie, société de la connaissance et nouveaux réseaux

Internet, un nouveau modèle économique ?

Comme le dit Daniel Cohen , la nouvelle économie est le terme d’un 
processus qui a fait passer nos économies de l’âge des rendements 
décroissants (l’âge de la production agricole) à l’âge des rendements 
constants (le moment de la production industrielle), puis aujourd’hui à 
l’âge des rendements croissants (la production immatérielle). Il 
complète ainsi les analyses portées par E. Morin il y a vingt ans autour 
du concept de « neguentropie » ou d’A. Touraine sur la Société 
postindustrielle.

La circulation de l’information quasi-instantanée, permise par la 
révolution technologique actuelle, apporte beaucoup plus au 
développement et à la croissance que n’en rendent compte les critères 
classiques de mesure de la richesse (output/input). Y.Moulier-Boutang 
utilise la métaphore de la pollinisation pour la caractériser : il met 
en valeur non seulement la distribution par hasard de l’information qui 
devient productive, mais surtout les modes nouveaux de relations et 
d’organisation (learning economy), qui font société (la valeur du lien 
social pour les sociologues, les externalités positives pour les 
économistes) même s’ils peuvent être plus ou moins performants. Ainsi il 
explique que la financiarisation de l’économie (exprimant sans s’en 
apercevoir les transformations de l’économie-monde) a permis aux États 
de s’affranchir de la tyrannie de l’épargne préalable qui bloquait la 
croissance, ce qui a été positif et a contribué à développer la 
richesse. Mais le prix à payer pour nos économies aujourd’hui est lourd 
en raison des erreurs faites : nous allons devoir agir pour réorienter 
le pouvoir multiplicateur de la finance vers une économie de la 
pollinisation, c’est-à-dire facilitant l’innovation, la création, la 
contextualisation, le talent, le savoir implicite, le care, toutes 
choses difficilement mesurables.

Une des raisons des tensions actuelles est que « […] la révolution 
informationnelle, qui fait que l’information devient directement 
productive, est par contre peu compatible avec les monopoles de pouvoir 
et de propriété. Ce qui rend certaines formes d’organisation obsolètes 
et pousse à l’élévation de toutes les qualifications. L’enjeu reste 
alors bien la pleine utilisation des capacités humaines qui passe par le 
droit à l’intégration dans l’emploi qu’exprime l’idée de sécurité 
sociale professionnelle . »

Un autre rapport à la connaissance

On ne saurait cependant réduire l’économie actuelle à la seule 
circulation de l’information ; en soi elle permet de décupler la 
connaissance même si celle-ci se présente sous la forme de savoirs 
fragmentés où on peine à voir se dessiner une connaissance générale. La 
société de la connaissance est bien réelle qui a fait passer de la 
protection des individus (l’État-Providence), à la production de 
l’individu, éventuellement accaparée par le secteur privé (éducation, 
santé).

En permettant la déterritorialisation, l’échange libre d’informations, 
les nouvelles technologies de l’information permettent d’atteindre un 
nouveau degré de la connaissance « où nous savons ensemble aussi ce que 
les autres savent » (J. de Rosnay ), ce qui peut permettre l’empowerment 
des individus très proche de l’idéal associatif et contraire à la 
logique d’appropriation classique.

Mais cette nouvelle intelligence « connective », au-delà des problèmes 
qu’elle soulève (la traçabilité de l’information / la dictature de 
l’instant) ne permet que d’accéder à une connaissance lacunaire . « 
C’est pourquoi, cette connaissance lacunaire a besoin d’être partagée 
pour monter en qualité. C’est bien pour cette raison que l’on voit se 
développer […] une multitude de formes de recommandations de la part des 
expérimentateurs (tags, étoiles sur Amazon, etc.). C’est ce que l’on 
appelle la « société de la recommandation ». Cette situation nouvelle 
rend possible un travail collectif, coopératif, ouvrant […] vers des 
processus de validation de la pertinence des connaissances, voire des 
procédures d’évaluation qui peuvent aider au discernement des acteurs. »

Ce changement qui « a nourri une montée des amateurs qui contestent 
l’hégémonie des experts-spécialistes » (P. Flichy ) peut submerger les 
pratiques associatives : les valeurs coopératives des associations 
conduisent le plus souvent à de la délégation ; la réticularité et 
l’instantanéité peuvent conduire en partant de la construction de 
dissensus à construire du consensus comme l’a montré le Forum Social 
Mondial fondé historiquement sur des valeurs d’horizontalité / 
verticalité, et de respect de la diversité.

Les mouvements associatifs ne savent pas encore bien utiliser la 
puissance des réseaux. Leurs pratiques restent très traditionnelles. 
Leurs sites sont pauvres. Le mouvement associatif est en retard. Alors 
même que son utilisation se révèle nécessaire pour permettre la 
construction progressive d’une pensée collective, si ce n’est d’une 
meilleure connaissance de la société. Les associations 
contribueront-elles à orienter la société informationnelle ? Comment 
pourront-elles faire des réseaux des interlocuteurs sans en gommer le 
caractère, sans les absorber ?

En conclusion

Avec la mondialisation, un autre rapport au monde et à l’espace est en 
train de se construire. Avec la question écologique, un autre rapport à 
la nature se dessine, le progrès ne va plus de pair avec le 
développement économique. Avec le web, de nouveaux réseaux se 
constituent fondés sur l’instantanéité des échanges, créant une société 
réticulaire où partenariats et coopérations semblent être temporaires. « 
Un monde en mouvement (mobilités), une nouvelle carte des temps 
(temporalités), un nouvel âge des territoires (territorialités) », telle 
est notre condition aujourd’hui. Mais cette société de plus en plus « 
liquide » développe une vision d’avenir très courte alors que l’exigence 
de transformation de notre modèle de développement suppose la durée. 
Elle semble accélérer la décomposition des valeurs, du sens, du lien 
social, et pourtant elle facilite des processus d’individuation, de 
construction différenciée de la personne, au risque de perturber les 
démarches collectives. La construction d’un vivre ensemble nouveau 
relève aujourd’hui de la volonté : il nous faut construire des lieux de 
débats, ouverts mais exigeants, respectueux de la diversité des parcours 
mais conduisant à des actions communes, « faire ensemble » voilà le 
maître-mot.

Lignes de fractures et vulnérabilités individuelles et collectives

Travail et Emploi : précarité et exclusion persistantes

Un mouvement profond

De 1975 à 2008, la France a gagné 3,5 millions d’emplois (25,8 millions 
en 2008), mais la population active a augmenté de 5 millions (27,9 en 
2008). Entre 1949 et 2008, l’emploi a augmenté de 33 %, la population 
active de 42 %, la population en âge de travailler de 51 %. Et la 
productivité horaire est passée de 5,7 à 2 % par an, entre les Trente 
Glorieuses et les années 2000, le PIB lui passant de 5,4 à 2,2 par an 
(Jean-Louis Dayan). La progression de l’emploi n’a donc pas répondu à 
celle de la population en âge de travailler. C’est l’expansion des 
secteurs tertiaires, et notamment le secteur des services, qui a le plus 
compensé le recul de l’emploi industriel. Traduisant pour une part 
l’externalisation des fonctions connexes à la production de biens, cela 
s’est accompagné d’une montée en qualification de la population sur fond 
de réduction du nombre d’ouvriers, d’un accroissement des cadres, et du 
développement des petits établissements de moins de dix salariés.

Ces mouvements profonds se sont traduits par :
- une montée du chômage dont le taux varie de plus ou moins un point 
depuis 1985 autour de 9 % de la population active ; la permanence d’un 
haut taux de chômage mine le moral des Français,
- une transformation des statuts et des formes d’emploi : réduction de 
l’emploi indépendant ; développement des contrats flexibles qui ont 
beaucoup contribué à l’intensification de la mobilité (entrées et 
sorties de l’emploi) ; développement du temps partiel (en 2007, 17 % des 
actifs sont à temps partiel, mais 30 % d’entre eux auraient souhaités 
être dans un emploi à temps plein),
- une quasi-parité homme-femme dans la population en emploi qui est plus 
féminine et une concentration sur les âges de pleine activité (25 à 54 
ans). Les jeunes rentrent plus tard sur le marché du travail à la suite 
du développement de l’école de masse, mais ils le font le plus souvent 
sous statut précaire, les plus anciens sont soit au chômage, soit en 
préretraite ou à la retraite.

Contrairement à d’autres, notre pays a développé une politique de 
flexibilité externe dont la contrepartie a été la montée du dualisme du 
marché du travail (M. Lemoine- E. Wasmer ) même si un salarié en CDD a 
trois fois plus de chance qu’un chômeur d’accéder à un CDI plutôt qu’au 
chômage, et un intérimaire deux fois. Cette situation engendre des 
effets pervers : du stress et une faible visibilité en termes de 
carrière, une précarisation par rapport au logement, des difficultés à 
obtenir des crédits, un sous-investissement en capital humain pour notre 
pays. Un économiste a pu dire, abandonnant par là même toute référence 
au paradigme du CDI : « le CDD n’est plus une période probatoire – le 
CDI a le préavis pour cela ! - mais une variable d’ajustement. » 
(D.Fougère )

Comme le dit R.Castel : « On observe aujourd’hui une perte d’hégémonie 
de l’emploi classique, avec deux transformations, l’installation dans le 
chômage de masse et la précarisation des relations du travail […] De 
même qu’on parle de la « condition salariale » (caractérisée par le 
statut d’emploi de la société salariale), il faudrait parler de la « 
condition précaire », entendue comme un registre propre d’existence du 
salariat. Une précarité permanente qui n’aurait plus rien d’exceptionnel 
ou de provisoire. On pourrait appeler « précariat » cette condition… ». 
Après la « désaffiliation » dont il a parlé en analysant les processus 
d’exclusion, Robert Castel résume assez bien notre situation 
caractérisée plus largement par la peur du déclassement. Celle-ci qui 
est générale (y compris chez les fonctionnaires), serait à la base même 
des réactions populistes de l’opinion publique . Mais R.Castel lui-même 
serait certainement d’accord avec l’interrogation de J-C. Le Duigou : « 
La nouvelle question sociale ne se résume pas à la seule désaffiliation 
ni au mal vivre, c’est « le travail qui est malade » et qui n’est pas 
suffisamment pensé pour intégrer au mieux les victimes des deux premiers 
processus. Il faut traiter ensemble travail et emploi dans une optique 
de sécurisation et de progression ; mais faut-il alors parler du statut 
du travail salarié ou du statut du travail ? »

Que peut-t-il se passer dans les dix ans qui viennent ?

L’incertitude sur les perspectives de croissance et l’emploi est la 
règle. Après de nombreux rapports élaborés à la suite de la crise de 
2008 , le Conseil d’analyse économique et la Direction générale du 
Trésor ont esquissé cinq scénarios de croissance à l’horizon 2030. C’est 
dans ce cadre général que le CAS vient de rendre public en juillet 2011 
un important rapport sur « Le travail et l’emploi dans vingt ans . »

« D’ici 2030, le contexte macroéconomique est placé sous le signe de 
l’incertitude quant au nouveau modèle de croissance de l’après-crise, 
avec par conséquent des perspectives contrastées de créations d’emploi 
et de taux de chômage. De nouveaux modèles de croissance devraient 
émerger avec des dimensions « servicielles » et environnementales plus 
affirmées, même si les rythmes et les formes de ces transformations du 
modèle productif sont encore difficiles à dessiner. Toutefois, en 2030, 
dans tous les cas de figures, le chômage structurel serait positionné à 
des niveaux inférieurs à ceux connus depuis vingt ans (soit très 
inférieurs, soit légèrement inférieurs mais depuis déjà plusieurs 
années) […] en 2030, la France sera plus peuplée, plus âgée et sa 
population active plus nombreuse. »

Cet optimisme relatif est largement lié non au retour d’une croissance à 
des niveaux élevés mais surtout à l’importance des données 
démographiques, les générations du « baby-boom » étant plus importantes 
à quitter le marché du travail que les jeunes générations à y entrer (le 
différentiel étant de l’ordre de 200.000 par an).

Et le rapport d’ajouter : « Dans tous les cas, la fragmentation du 
travail et de l’emploi ainsi que l’éclatement « des mondes du travail » 
devraient se développer, avec la poursuite et la remise en cause des 
unités de lieu, de temps et d’action », ce qui peut être traduit par la 
continuation de la diversification des statuts, des temps de travail, 
des niveaux de rémunérations, et le renforcement des mobilités 
professionnelles et géographiques […] une hétérogénéité croissante des 
situations si les politiques publiques comme celles des partenaires 
sociaux dès l’entreprise n’y remédient, en tenant compte de la 
profondeur de ces transformations. »

Ce rapport se situe à l’horizon de 2030 et fait porter sur les années 
2010-2020 les ajustements nécessaires, notamment sur le plan des 
finances publiques, pour que notre pays puisse envisager cet horizon 
optimiste impliquant une baisse significative du taux de chômage. Un 
examen attentif du rapport incite à penser que dans les dix années qui 
viennent les perspectives d’amélioration seront très lentes à apparaître 
même dans le cas de scénarios très favorables.

Ceci veut dire que d’ici 2020 le taux de chômage restera important, que 
la mobilité professionnelle sera plus développée, donc que les risques 
de fragilité des parcours continueront à être importants si rien n’est 
fait pour les « sécuriser » alors même qu’une « poche » importante 
d’exclusion subsistera. Le combat pour l’emploi, la réduction de 
l’exclusion, la lutte contre la précarité, la maîtrise de l’évolution de 
l’organisation du temps dans une optique d’égalité professionnelle et de 
conciliation de la vie familiale et professionnelle, seront à mener de 
concert. L’accompagnement des parcours individuels sur lequel cet 
article met l’accent à plusieurs reprises sera déterminant pour les plus 
fragiles d’entre nous.

Les rapports entre les générations et entre les genres

Évolutions des relations intergénérationnelles

Les mutations importantes observées dans les relations 
intergénérationnelles ne découlent pas seulement du vieillissement 
démographique, elles sont aussi liées aux mutations de la famille et au 
développement de la protection sociale. Y a-t-il des germes de tension, 
des conflits possibles entre générations, comme certains le disent 
(L.Chauvel ), quand on sait que la « jeunesse » se prolonge jusqu’à 
trente ans, l’âge moyen d’entrée dans le statut d’adulte (emploi stable, 
premier enfant et mariage) s’étant décalé dans le temps, la précarité 
des relations d’emploi et autres l’emportant avant cet âge.

Du fait de l’évolution démographique, nous sommes, depuis plusieurs 
années, en présence de familles multi-générationnelles, d’un « 
empilement » des générations : plus de trois ou quatre générations 
coexistent dans une même lignée. Grâce au progrès économique et social 
et à la protection sociale, la cohabitation au sein d’un même logement, 
avec les parents âgés, a diminuée. Les grands-parents peuvent à présent 
suivre l’évolution des petits-enfants jusqu’à leur maturité ; la nature 
des relations en est transformée, elles deviennent plus profondes et 
plus continues. La figure des grands-parents est donc devenue plus 
centrale qu’elle ne l’était autrefois.

Statut des femmes et éducation

Le changement de statut des femmes, qui est une des transformations 
majeures de ces dernières décennies, s’est manifesté par une tendance à 
l’égalité des sexes face à l’éducation et à l’emploi qui reste cependant 
à parfaire ; la réorganisation progressive des tâches entre les hommes 
et les femmes au sein du couple, est encore par exemple loin d’être 
achevée : le temps domestique, le temps de l’aide aux autres, sont 
toujours plus importants chez les femmes que chez les hommes. Et les 
inégalités sur le marché du travail sont patentes : salaires, temps 
partiel, faible progrès de la mixité professionnelle.

Liés à ces deux transformations, les modèles d’éducation sont devenus 
plus souples, surtout après 1968 : moins de rapports hiérarchiques et 
plus de coopération, de complicité entre générations que n’a pas entravé 
la multiplication des modèles familiaux (modèle du contrat, 
cohabitation, concubinage – 50 % des enfants naissent hors mariage –, 
familles recomposées, familles monoparentales – deux millions en 
France.) L’individu et son épanouissement ont été rendus possible et 
placés au centre de la famille. Chaque génération se désire autonome et 
semble pouvoir l’être.

Mais il ne faut pas trop forcer l’analyse : de nouvelles dépendances se 
créent, comme pour les très âgés, les jeunes sont dépendants de leur 
famille plus longtemps. Pour ceux-ci, avec une famille plus protectrice 
que contraignante, l’autonomie ne s’acquiert qu’au terme d’un parcours 
complexe, le jeune est le plus souvent un donnant droit, pas un 
ayant-droit, ce qui doit conduire à un autre regard sur 
l’individualisme, « l’autonomie est moins conçue comme une revendication 
individuelle sans concession, une rupture, que comme une possibilité 
relative » (M-O. Padis ).

Le rôle de la protection sociale

Ce profond changement a été permis par le rôle majeur qu’a joué le 
développement de la protection sociale. La transformation du statut des 
jeunes avec l’explosion scolaire permis par l’enseignement gratuit ou 
l’aide aux études, les allocations familiales, comme aussi la montée en 
puissance des retraites ont permis une certaine autonomisation des 
générations. Le mouvement des transferts financiers intergénérationnels 
(autrefois les enfants étaient mis très tôt au travail et, lorsqu’ils 
touchaient un salaire, celui-ci était intégralement reversé à la 
famille) s’est inversé, d’ascendant il est devenu descendant : l’enfant 
est devenu un projet sur lequel on investit ; les personnes âgées, 
n’ayant plus besoin d’être prises en charge, aident les enfants et 
petits-enfants. La protection sociale en inversant le sens des 
solidarités a favorisé le maintien de la cohésion sociale malgré les 
transformations de la famille.

Les solidarités intergénérationnelles au sein de la famille restent donc 
fortes (cependant moins dans la fratrie et la famille élargie) sous 
forme de multiples échanges, matériels, financiers, affectifs. En plus 
des transferts financiers, des échanges de services se font dans les 
deux sens, la génération pivot – sur laquelle portent beaucoup de 
charges, surtout lorsqu’elle est en situation précaire – aidant aussi 
bien ses parents que ses enfants.

Ceci n’empêche pas certaines tensions et conflits entre générations. 
Plus il y a de solidarité et de proximité, plus les risques de conflits 
sont importants. La triple obligation de donner, de recevoir et de 
rendre (A.Caillé ) qui caractérise les relations entre les êtres 
humains, n’est pas exempte de sources de conflits. On peut ressentir des 
sentiments d’iniquité, d’injustice au sein des fratries, les conflits 
entre beaux-parents et beaux-enfants sont récurrents surtout à la 
naissance des petits-enfants où apparaissent des rivalités entre la 
lignée maternelle et paternelle.

Mais l’enjeu des transferts sociaux et des réformes socio-fiscales à 
venir peut conduire à des tensions inter-générations. Contrairement aux 
effets financiers liés à l’allongement de la durée de la vie (avec ses 
transferts publics vers les retraités, 19 % du PIB), l’allongement du 
temps des études et les difficultés actuelles d’entrée dans la vie 
active des jeunes ont conduit à une inversion de la dette 
intergénérationnelle des « actifs vers les âgés » à « des âgés vers les 
jeunes » mais cela ne concerne que 5 % du PIB. On voit le fossé, source 
de tensions possibles. Les ménages d’actifs sont en première ligne, ils 
supportent le processus d’ajustement vers les jeunes et vers les plus 
âgés, ce qui est générateur d’inégalités nouvelles entre ménages et 
entre générations.

Les dynamiques territoriales

Depuis les lois de décentralisation, de plus en plus de politiques 
publiques sont territorialisées. Le président de l’ARF déclarait 
récemment que l’acte III de la décentralisation devrait encore aller 
plus loin permettant aux collectivités locales d’adapter certaines 
politiques à leur contexte dans des cadres généraux prédéfinis par la 
loi nationale. On sait que J-P.Raffarin avait déjà, lorsqu’il était 
premier ministre, essayé de donner ce type d’orientation sans réussir à 
l’imposer vraiment. La décentralisation devrait, dans les dix ans qui 
viennent, s’approfondir, ce qui ne manquera pas d’impacter le tissu 
associatif qui dépendra de plus en plus des politiques que les communes, 
les conseils généraux et les régions suivront.

Il est cependant nécessaire de regarder ce que les tendances économiques 
et sociologiques actuelles peuvent induire sur le territoire. Le Conseil 
d’analyse stratégique en 2009 a esquissé trois hypothèses qu’il est 
intéressant de retenir ici :

Le risque de ghetto à la française

« La partition sociale des territoires est plus redoutée aujourd’hui 
qu’il y a vingt-cinq ans. L’idée de villes à trois vitesses se développe 
avec :
- la gentrification ou l’occupation des centres urbains par une 
population cultivée et aisée qui chasse les catégories plus populaires. 
La ville devient non plus un bien public, c’est-à-dire un lieu de 
coprésence favorable à la mobilité sociale, mais un bien positionnel,
- la périurbanisation et l’éloignement des centres des classes moyennes 
(contrainte des transports, isolement culturel et social). Aujourd’hui, 
12 millions de Français occupent ce type d’espace. Le périurbain se 
présente comme un réservoir de crises sociales à l’horizon 2025. La 
menace des crises, énergétique et environnementale, met en question le 
développement de ce modèle pavillonnaire. Les personnes qui ont choisi 
d’investir la différence du coût du foncier ou des loyers entre 
centres-villes et banlieues dans le budget automobile se trouvent 
aujourd’hui prises en étau entre l’augmentation du prix de l’énergie et 
leur crédit immobilier ;
- la relégation des territoires périphériques (grandes banlieues) qui 
accueillent les populations défavorisées, notamment celles issues de 
l’immigration avec un risque « d’entre-soi » subi. En 2008, la 
population classée en ZUS représente 8 % de la population totale, soit 
environ 5 millions d’habitants. Les émeutes de 2005 ont mis en exergue 
la problématique du clivage résidentiel et de la ghettoïsation. Si la 
ségrégation socio-spatiale perdure, les inégalités territoriales et les 
risques d’insécurité devraient s’aggraver, entraînant une fuite massive 
des quartiers sensibles de tous ceux qui peuvent partir. »

La France de la compétitivité locale

« Une France duale se dessine : d’un côté, les grands pôles urbains, 
très insérés dans l’économie internationale, de l’autre des territoires 
qui vivent essentiellement de la redistribution. Cette situation 
explique la bonne tenue moyenne du territoire, surtout des régions du 
Sud et de l’Ouest, qui sont à la fois les plus attractives et les moins 
touchées par la crise industrielle. Cependant, les risques pour la 
cohésion se renforcent. Le dynamisme des régions européennes dotées 
d’une forte identité culturelle (Catalogne, Pays-basque, Lombardie, 
Vénétie, Bavière, Écosse, etc.) trouve un écho dans certaines régions 
françaises. Cette remontée du régionalisme a des aspects positifs mais, 
derrière cette Europe des régions, pourrait aussi se profiler l’idée de 
ne pas « alourdir la barque » des régions les plus riches par des 
transferts vers les régions les plus pauvres. S’orienter vers des 
régions économiquement et socialement auto-subsistantes permettrait, 
certes de répondre à un étatisme fatigué, mais détruirait l’organisation 
actuelle de l’espace français, très solidaire et très intégré. À 
l’horizon 2025, avec la poursuite du transfert de compétences à l’Europe 
et aux régions, la croissance pourrait se faire autour de pôles 
d’excellence et de compétitivité, avec des régions quasi autonomes. La 
cohésion sociale fonctionnerait à l’échelle régionale, c’est-à-dire là 
où la croissance et le développement résidentiel se font. Ailleurs, dans 
les régions moins attractives, on assisterait à une paupérisation suite 
à l’abandon du principe de cohésion territoriale. »

La nouvelle cohérence territoriale

« À l’horizon 2025, la relance de la croissance fondée sur une économie 
de l’environnement et de l’énergie pourrait s’articuler avec les 
ambitions de cohésion sociale et territoriale. Dans ce scénario, la 
croissance et la révolution éco-industrielle permettent à l’État de 
refonder le modèle d’aménagement du territoire. Les moyens sont donnés 
de mettre en œuvre le fruit des réflexions actuelles et innovantes sur 
l’urbanisme, le logement et l’aménagement du territoire : l’État 
s’attelle à une synthèse territoriale entre lieux de production, de 
résidence et de consommation. L’action publique en matière d’urbanisme, 
de logement et d’aménagement du territoire se renouvelle en profondeur. 
Les nouvelles priorités sont de rapprocher les lieux de travail et les 
lieux de vie et de favoriser la mixité fonctionnelle comme la création 
de valeurs sur les territoires les moins attractifs. Une action 
politique active se développe, dont les instruments seraient la 
facilitation de la mobilité résidentielle ; l’élévation de la capacité 
de pouvoir des habitants des territoires sensibles ; l’édification de 
nouvelles centralités et d’offres de proximité ; le développement des 
transports en commun, des « circulations douces » et des circuits courts 
; une structure de gestion territoriale qui tienne compte de l’échelle 
métropolitaine nouvelle et des interdépendances entre les territoires 
(exemple du Grand Paris). »

La dynamique décentralisatrice initiée en 1982 va se renforcer devant 
les difficultés de l’État à équilibrer son budget et surtout à impulser 
des politiques par trop uniformisatrices. Quelles qu’en soient les 
modalités, il faudra combattre les inégalités de développement 
économique patentes à moins d’accepter un renforcement de la 
métropolisation et donc un profond mouvement de mobilité géographique. 
Les associations auront de plus en plus comme interlocuteurs les 
collectivités locales qui, parce qu’elles sont plus proches et en 
restructuration de leurs fonctions et budgets, seront plus exigeantes.

En conclusion

Dans le rapport de J.-P. Fitoussi pour le CAS, celui-ci fait le 
pronostic pessimiste suivant : « Le passage à une économie 
postindustrielle pourrait s’accompagner d’une polarisation de l’emploi 
et d’une dualisation des évolutions salariales ; les nouveaux risques 
sociaux devraient toucher les publics les plus fragiles (jeunes, femmes, 
seniors, migrants) et les nouvelles formes de pauvreté afférentes se 
développeront sans doute. Parallèlement, la France sera de façon 
croissante confrontée aux inégalités intergénérationnelles et aux 
risques d’hérédité sociale, ce qui découle d’une part d’un effet 
générationnel (Trente Glorieuses versus Trente Piteuses) mais aussi 
d’une difficulté du modèle français, de par ses caractéristiques 
conservatrices corporatistes, à favoriser la mobilité sociale 
intergénérationnelle. »

Ce rapport décrit alors trois scénarios qu’on peut résumer comme suit :
- le premier scénario est celui de « L’aléa de la naissance comme destin 
», avec une société fixiste, dans laquelle les inégalités intra et 
intergénérationnelles se creusent, avec des risques associés de 
violence, de mal-être et d’exit (génération sacrifiée, « bons » et « 
mauvais » actifs, fuite de la matière grise),
- le deuxième scénario est celui de la guerre des générations ou « 
Guerre des âges », avec un modèle familialiste en crise et une perte de 
confiance envers le politique et le système de solidarité,
- le troisième scénario dit de « La coresponsabilité », est celui d une 
coopération sous la forme de nouvelles solidarités intra et 
intergénérationnelles, d’une responsabilisation des différents acteurs 
et d’une priorité aux jeunes, aux femmes et aux migrants, pour 
contrebalancer les inégalités premières.

Risques anciens, nouveaux risques, quelles protections ?

Notre système de protection sociale

Dans leur rapport au CAS en 2009, Raoul Briet et François Ewald posent 
le décor des dix années à venir et proposent des scénarios d’évolution.

« Le système français de protection, jusque-là caractérisé par son haut 
niveau, sera amené à évoluer à l’horizon 2025 pour faire face et 
répondre à de nouveaux besoins de protection. À cet horizon, les risques 
auxquels se trouveront soumis les individus auront une configuration 
sensiblement différente. Plusieurs facteurs contribueront à les 
transformer : les évolutions démographiques, la mondialisation et les 
mutations du système productif, les évolutions environnementales et 
climatiques, les progrès de la connaissance et notamment les progrès 
scientifiques et technologiques, les évolutions sociétales, les 
changements de perception à l’égard des risques et enfin une forte 
demande de participation des citoyens à la gouvernance des risques.

Trois éléments auront très probablement un impact décisif en ce sens : 
l’accès plus large à l’information sur les risques, la plus forte 
intégration de l’économie dans un environnement concurrentiel (européen 
et mondial) et enfin les préoccupations liées à l’environnement. La 
cartographie des risques à l’horizon 2025 s’en trouvera redessinée. Elle 
se caractérisera par une plus grande hétérogénéité : d’une part, les 
risques sociaux dits « historiques » (santé, retraite, famille, emploi, 
pauvreté) se modifieront (le risque de faible qualité de l’emploi, par 
exemple, deviendrait prégnant aux dépens de celui de chômage de longue 
durée).

D’autre part, de nouveaux risques apparaîtront et/ou prendront une 
importance telle (risques environnementaux, sanitaires, risques liés au 
vieillissement, etc.) qu’ils seront susceptibles de conduire à la 
fixation de nouvelles priorités en matière de protection. Simultanément 
et en lien, la demande sociale de protection sera modifiée : plus forte, 
elle sera également personnalisée, diversifiée et portera davantage sur 
des besoins d’anticipation et de précaution à l’égard de certains 
risques et sur des besoins d’adaptation des sociétés et des individus 
aux enjeux du XXIe siècle (mondialisation, transformations du 
capitalisme et du marché du travail, contraintes environnementales).

Ces évolutions mettront le système de protection à l’épreuve et 
inviteront les pouvoirs publics et la société à débattre des 
fondamentaux de la protection. Du fait de l’individualisation des droits 
à la protection et de l’affaiblissement des structures de solidarités 
intermédiaires, la responsabilité de l’État se trouvera renforcée. Il 
pourrait devenir davantage « risk-manager » et « actif » afin 
d’organiser une gestion efficiente des risques au travers d’une 
gouvernance renouvelée. Devant le poids des dépenses de protection qui, 
en 2025, pourrait représenter entre 50 % et 60 % du PIB (en considérant 
l’évolution des dépenses sociales et environnementales, toutes choses 
égales par ailleurs), les pouvoirs publics se trouveront face à des 
nécessités d’arbitrage entre les risques à couvrir mais également entre 
les solutions pour les couvrir. »

Les scénarios possibles

Plusieurs scénarios ont été dégagés par cette commission :

- « L’État-Providence en déclin » Il décrit une situation au fil de 
l’eau à l’horizon 2025, caractérisée notamment par l’absence de réformes 
institutionnelles majeures de l’État-Providence et plus globalement de 
la gouvernance des risques. L’immobilisme envisagé a pour effet de « 
détruire » à terme le système en vigueur, en raison en partie de son « 
insoutenabilité financière ».

- « L’État-Providence en sursis » Il se distingue du premier par le 
choix politique de socialiser les métiers des services à la personne 
(développement d’une économie de proximité) : la demande est 
solvabilisée et l’offre, organisée et intégrée dans le secteur des 
services non-marchands.

- Une « Protection duale » Ce scénario décrit quant à lui un retrait 
progressif de l’État-Providence et une transformation de ses fonctions. 
Sous l’effet notamment de la levée du voile d’ignorance, les perceptions 
des risques deviennent plus hétérogènes, ce qui conduit à une demande 
fortement individualisée de protection à laquelle un système mutualiste 
et solidaire ne peut répondre qu’en partie. Par ailleurs, dans ce 
scénario plus inégalitaire que les autres, la redistribution verticale 
s’estompe, les plus fragiles socialement font l’objet d’une protection 
minimale prenant la forme de prestations et services ciblés sous 
conditions de ressources. Plus généralement, les politiques publiques 
évoluent vers la prévention, les incitations financières et la 
responsabilité des citoyens.

- Enfin, le scénario d’une « protection durable » décrit une société 
égalitaire, favorisée par un État-Providence fortement correcteur des 
inégalités de chances et de résultats. L’État-manager investit dans la 
prévention des risques et, le cas échéant, cible leur réparation selon 
une logique de compensation et non plus selon une logique assurantielle.

Démocratie et transparence : La démocratie augmente la nécessité de 
l’assurance dans la mesure où elle pousse à la connaissance, la 
transparence, notamment des risques. Mais cela tient également à ce 
qu’on peut appeler la société de la vulnérabilité liée à la 
mondialisation : alors qu’on croyait que la croissance ferait 
disparaître l’aversion au risque, c’est le contraire qui se produit, 
d’où le développement de l’assurance, donc de la mutualisation et de son 
corollaire, la collectivisation publique ou privée. La réponse idéale 
consisterait à ne plus se contenter d’un État-Providence centrée sur la 
réparation mais sur l’action à-priori : prévenir les risques en sachant 
que cela se révèle coûteux donc pose des questions de modalités de prise 
en charge et de financement, individualisé ou collectivisé.

Solidarité et individualisation : La prise en charge de la santé, des 
soins, de la retraite, de la formation, sera de plus en plus 
individualisée. Cependant, le citoyen aspirera à la solidarité : dans 
les liens de proximité, dans l’appartenance à des groupes, dans la 
cellule familiale recomposée, dans les rapports à l’économie. Les 
questions liées à l’application du principe d’équité (accès au droit) et 
de solidarité seront plus que jamais d’actualité.

Un exemple : la santé, les fins de vie

La santé est un sujet brûlant. Conçue au départ comme une caisse 
d’indemnisation des salaires des actifs confrontés à un problème de 
santé, la branche maladie de la Sécurité sociale est devenue 
principalement un organisme de remboursement des frais de santé. Dans 
les dix ans à venir, sous l’effet de l’évolution des technologies et du 
vieillissement de la population, le système devrait passer très 
rapidement d’une médecine essentiellement curative à une médecine 
essentiellement préventive.

Or, le système de santé français aborde toutes ces évolutions avec des 
handicaps : les mécanismes de décision politique n’accordent pas assez 
de place aux acteurs et à la remontée des expériences de terrain ; les 
logiques à l’œuvre sont pour la plupart fondées sur le recours à des 
décisions sectorielles, menées avec une faible concertation, sous 
l’impulsion de spécialistes, « les sachants », et ne paraissent pas 
adaptées à la réalité ; la Mutualité française a des atouts 
irremplaçables, en particulier des outils techniques et des acteurs, 
mais, d’une manière générale, peine à se faire entendre et à faire 
partager des analyses qui devraient faire consensus.

L’hôpital en est un exemple. C’est la question la plus importante à 
régler dans les vingt ans qui viennent pour à la fois améliorer le 
système de santé et réduire le déficit de la Sécurité sociale, car c’est 
uniquement là que des économies sont possibles. D’après E. Caniard : « 
Si on tirait les conséquences des progrès techniques en matière 
d’organisation hospitalière, on garderait 10 % de nos capacités 
hospitalières actuelles . 85 % des actes pourraient être réalisés en 
ambulatoire à l’extérieur de l’hôpital. » Ce qui pose la question de 
l’organisation du système de soins à l’extérieur de l’hôpital où les 
réponses ne peuvent être trouvées qu’avec les associations.

« Il faut que tout ce qui touche à la mission sociale de l’hôpital soit 
incarné ailleurs par d’autres acteurs. Si on continue à répondre au 
problème d’accueil, de difficulté sociale avec l’outil hospitalier, le 
système court à la faillite. »

« L’enjeu considérable, c’est de modifier le système d’organisation des 
soins, de mettre l’expertise à disposition, de tirer les conséquences de 
l’extrême spécialisation de la médecine pour réintroduire un 
fonctionnement collectif qui fait aujourd’hui défaut. » Le défi est donc 
de faire revenir le débat sur la prise en charge de la santé, des seules 
questions de financement aux questions d’organisation de la réponse. Les 
solutions doivent se trouver avec tous les acteurs de santé, notamment 
les acteurs locaux et particulièrement les acteurs directs de chaque 
situation singulière, d’où le rôle particulier qui devra être accordé 
aux aidants et aux associations d’usagers. Comment réorienter des débats 
mal posés en l’absence de concertation avec les acteurs, de pédagogie 
publique, de prise en compte des savoirs de l’ensemble des acteurs, et 
même de lieux de débat ?

Singulièrement, vis-à-vis de questions nouvelles, épineuses, le débat et 
l’accompagnement du débat s’avèrent nécessaires. Ainsi des questions 
touchant aux début et fin de vie. Les interrogations éthiques notamment 
« sur l’avenir de la vie aux deux bouts de la chaîne » vont se 
développer. Le Comité de bioéthique, la loi Leonetti, ont apporté aux 
soignants et aux familles des réponses. Il n’en reste pas moins que pour 
les générations qui ont connu l’apparition de la grande dépendance chez 
leurs parents, la réflexion va devoir se développer afin d’éviter que 
les questions ne soient abordées qu’entre-soi ou dans des soliloques 
personnels. Mais se poseront également de plus en plus de questions sur 
l’avenir de la reproduction humaine quand on sait les capacités 
qu’ouvrent aujourd’hui les recherches sur l’embryon (J.Attali ). Là 
aussi, il ne manquera pas dans les dix années qui viennent de débats que 
le monde associatif va devoir explorer. Comme le dit le CAS dans le 
rapport Briet-Ewald, « la diffusion des technologies posera 
nécessairement des questions d’éthique auxquelles devra répondre une 
réflexion normative continue. L’ensemble de la vie est concerné : la 
personne humaine d’abord […] ; la nature : la place de l’homme 
technologique dans l’univers physique (par exemple : jusqu’où peut-on 
artificialiser l’humain ?) ; la société : la technologie comme médiateur 
de plus en plus présent dans les relations sociales (par exemple : 
l’addiction aux univers virtuels) ; le citoyen : les libertés face à des 
États et des entreprises disposant de moyens massifs de traitement des 
informations (le viol de l’intimité, les frontières de la personnalité).

On peut penser que ces questions doivent sans attendre être prises en 
charge par des groupes de réflexion et d’action. Les associations 
constituées comme les mutuelles doivent s’en saisir. Là encore, seule 
l’organisation de débats publics permettra une juste conciliation entre 
le principe de précaution ou le respect de règles morales et le 
nécessaire progrès scientifique. La fonction tribunitienne des 
associations doit également les conduire à participer au débat sur les 
grands choix auxquels est confronté notre système de protection sociale 
et particulièrement le système de santé. Enfin, et l’exemple de 
l’hôpital est déterminant, les associations seront appelées à jouer un 
rôle de plus en plus important dans le domaine de la santé. 
L’accompagnement des malades, des personnes dépendantes, 
l’hospitalisation de jour, etc., tout pousse à ce que se structurent des 
réponses associatives. L’accompagnement est un thème structurant de 
demain. « C’est une invitation à la coordination des acteurs de 
l’économie sociale et solidaire ». (Étienne Caniard)

En guise de conclusion générale

Notre société change. Elle change plus profondément et rapidement que 
par le passé. En beaucoup de domaines, sans qu’on n’en saisisse 
précisément les interdépendances. S’établissent « de nouvelles relations 
à la nature et au monde (question écologique), de nouvelles relations 
aux savoirs et à la connaissance (question scientifique), de nouvelles 
relations à soi, aux autres et à la société (question humaine, sociale 
et politique). Il nous faut en conséquence penser le mouvement, le 
multiple, développer une intelligence de la complexité , favoriser les 
apprentissages. Plus que d’adaptation, nous nous trouvons face à un 
devoir d’invention.

-- 

-----------------------
Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
-----------------------
Nos sites :
http://www.laligue-alpesdusud.org
http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog
-----------------------






Plus d'informations sur la liste de diffusion Infoligue