[Infoligue] Précarité et monde du travail associatif

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 12 Déc 10:20:36 CET 2011


Précarité et monde du travail associatif

Par Simon Cottin-Marx
Publié par : Mouvements
Le : 9 décembre 2011.
Lien : http://www.mouvements.info/Precarite-et-monde-du-travail.html

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Le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. 
Incités à prendre en charge les politiques publiques d’action sociale 
autrefois dévolues à l’Etat, les travailleurs associatifs voient leurs 
conditions de travail se dégrader.

Tableau par Simon Cottin-Marx.

Fragilité de l’idéal

Dans l’imaginaire collectif, travailler dans le monde associatif est le 
lieu idéal pour se réaliser, avoir un travail qui fait sens et 
s’épanouir. Pourtant, loin de l’idéal, les conditions de travail y sont 
plus dégradées qu’ailleurs et le monde associatif est devenu le terreau 
d’une nouvelle précarité. De petites structures, partiellement 
professionnelles, se voient confier par l’Etat la charge de ses 
politiques publiques d’action sociale sans pour autant bénéficier des 
financements pérennes dont disposait auparavant le service public. Cet 
article vise à produire une vision désenchantée du monde du travail 
associatif transformé malgré lui en lieu d’expérimentation de la 
flexibilisation du travail.

Le monde associatif a bénéficié d’une extraordinaire croissance 
salariale ces trente dernières années et en a fait le principal 
employeur de l’économie sociale et solidaire. Selon le fichier SIRENE de 
l’INSEE, le nombre d’emplois salariés dans les associations relevant de 
la loi de 1901 est passé de 660 000 salariés en 1980, à 1,9 millions en 
2009.

Malgré ses 14 millions de bénévoles, le constat s’impose : ces dernières 
années, le monde associatif, par le biais de ses 172 000 associations 
ayant recours à des salariés, est devenu un véritable marché du travail. 
Les jeunes, profitant de la manne d’emploi proposée par les 
associations-employeuses, se tournent vers un ensemble de formations 
spécifiques se développant aussi bien dans les universités que dans les 
écoles de commerce, comme l’ESSEC. Une nouvelle génération de 
travailleurs associatifs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur 
les sites spécialisés de recrutement. À l’image du service public 
autrefois, désormais fermé aux jeunes avec la règle de 
non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, le marché du travail 
associatif semble un lieu où il est encore possible de travailler avec 
du sens, une dimension éthique et un souci des autres.

Dans cet article, c’est le point de vue de l’intérieur, celui d’un 
travailleur associatif, membre du syndicat Asso [1], que j’aimerais 
porter sur un univers devenu un véritable marché du travail trop 
encensé, qui n’arrive pas encore à se mobiliser contre ses « mauvaises 
pratiques » et les raisons structurelles qui les suscitent.

La précarité dans le monde du travail associatif

Les associations, gouvernées sur un mode démocratique, ont pour objectif 
premier de satisfaire l’objet social défini par leurs adhérents. 
Contrairement aux entreprises capitalistes, leur objectif n’est pas la 
recherche du profit, ou la rétribution des actionnaires : elles 
défendent l’intérêt général. Encensées par la gauche qui fait des 
associations les hérauts d’un monde meilleur, on ne devrait que se 
réjouir du formidable dynamisme du monde associatif du point de vue de 
la création d’emplois. Pourtant, loin de l’idéal, la réalité fait défaut 
à l’utopie. Depuis quelques années, des sociologues pointent du doigt 
une particularité du monde associatif : dans ce marché du travail c’est 
le salariat « atypique » qui est typique [2]. Les salariés du monde 
associatif sont fortement marqués par la précarité, c’est-à-dire par la 
discontinuité associée à la carence du revenu, ou à la carence des 
protections.

Comparé au secteur privé et public, ce que certains présentent comme le 
tiers secteur de l’économie [3] est d’avantage marqué par de fortes 
disparités en termes de conditions de travail –par exemple en ce qui 
concerne l’application des conventions collectives– et d’emploi. La 
présence de près de 45% de formes d’emplois atypiques au sens du Code du 
travail souligne une dérive marquée du monde associatif vers la 
précarité de l’emploi.

Malgré une forte présence, la précarité dans ce marché du travail a 
encore peu de visibilité ; les raisons de cette occultation partielle 
sont peut-être à chercher du côté de l’absence de syndicat spécifique au 
monde associatif jusqu’en 2010 avec la création du syndicat ASSO, ou 
peut-être du côté du peu d’intérêt porté par les sciences sociales à ce 
secteur. En effet, comme l’écrit Philippe Frémeaux, « Jamais aucun 
congrès ou réunion d’acteurs de l’économie sociale et solidaire ne se 
déroule sans qu’un intervenant se désole de sa faible visibilité dans le 
champ social » [4]. Le statisticien-économiste Philippe Kaminski, 
président du comité scientifique de l’Association pour le développement 
de la documentation sur l’économie sociale, estime quant à lui, que 
seulement une centaine de chercheurs travaillent sur le sujet. Ce n’est 
que récemment, que certains d’entre eux, ont abordé le monde associatif 
sous l’angle de la « question sociale » qui s’y joue pleinement selon 
nous, c’est-à-dire sous l’angle des métamorphoses néolibérales du salariat.

I. Les formes des contrats atypiques dans le monde associatif

1. Dénormalisation du CDI

Dans le monde associatif, « c’est le salariat « atypique » qui est 
typique » [5]. Ce bon mot résume la situation, notamment en ce qui 
concerne le CDI contrat sésame pour louer ou acheter un appartement, 
décrocher un emprunt, bénéficier pleinement de ses droits sociaux et 
ainsi échapper à la précarité.

Le contrat de type CDI est moins répandu dans les associations que dans 
le reste de l’économie : plus du quart des emplois sont des emplois de 
type CDD et seulement 53 % sont en CDI, contre 88 % dans le reste du 
marché du travail, et 83% dans la fonction publique [6].

Si le dynamisme de l’emploi associatif ne se dément pas sur la période 
2000-2009 et que les embauches de plus d’un mois ont progressé de 139 % 
contre 31 % pour le secteur privé, cependant l’essentiel de 
l’augmentation des déclarations d’embauche du secteur associatif 
provient de la croissance des déclarations d’embauche en CDD court. Les 
contrats à durée déterminée ont progressé de 197 % sur la période.

De plus le secteur associatif compte une proportion élevée d’emplois de 
statuts divers qu’il est encore difficile à quantifier : emplois aidés, 
stagiaires, volontaires, auto-entrepreneurs, vacataires, etc.

2. Les emplois aidés

Contrats aidés

Derrière la notion d’emploi aidé, il existe différents statuts : « 
Contrat d’aide à l’emploi » (CAE), « Contrat Unique d’Insertion », etc. 
Uniquement en ce qui concerne les CAE, le projet de loi de finances 2010 
prévoyait un objectif annuel de 360 000 signatures dans le secteur 
non-marchand, dont les associations sont d’importantes bénéficiaires. Ce 
type d’emploi n’est pas généralisé, mais sa présence est significative 
et marque le secteur associatif. Ces contrats à durée déterminée, 
souvent à temps partiel (4/5e temps) et payés au SMIC sont dévoyés de 
leurs objectifs originaux. Imaginés pour venir en aide aux personnes « 
loin de l’emploi », avec un accompagnement des salariés et une part 
importante de formation prévue, ils sont plus souvent utilisés comme une 
aubaine permettant aux associations de prendre des salariés à moindre 
coût. Contrats atypiques, ils participent à la « dénormalisation » des 
CDI. De plus, pour le sociologue des associations Matthieu Hély, si 
l’emploi associatif ne repose pas uniquement sur des dispositifs de 
contrats aidés, force est de constater que leur développement massif 
entraîne une incertitude chez des travailleurs en quête de 
reconnaissance, parfois même disqualifiés, qui restent « avant tout 
définis comme des « bénéficiaires » avant d’être considérés comme des « 
travailleurs » » [7].

Volontariat

D’autres statuts ne permettent pas une reconnaissance explicite de « 
travailleur ». Depuis 2010, une nouvelle forme de « volontariat », créée 
par Martin Hirsch alors Haut Commissaire à la Jeunesse, est venue 
remplacer l’ancien « service civil volontaire », dorénavant appelé « 
service civique volontaire » par la loi du 10 mars 2010. Ce nouveau 
statut mérite notre attention du fait de la volonté politique de 
généralisation de ce statut. En effet, l’objectif annoncé par le 
gouvernement est de recruter, à terme, 10 % d’une classe d’âge en 
volontariat, soit 80 000 jeunes en 2012. Le développement de ce nouveau 
statut et le financement de l’indemnisation de 450 euros soutenu à 90 % 
par l’État représente une véritable manne « salariale » pour le monde 
associatif, partenaire avec les collectivités locales de l’encadrement 
des volontaires. Car si les associations doivent compléter de 100 euros 
l’indemnité des volontaires, la main-d’œuvre travaillant entre 26 et 35 
heures par semaine reste très peu chère : une véritable aubaine pour les 
associations soucieuses de maintenir ou développer leurs activités.

Le syndicat ASSO, jeune syndicat des salariés du secteur associatif, a 
manifesté son inquiétude à l’égard du déploiement du volontariat, car 
bien que présentant des caractéristiques similaires à celles d’un 
contrat de travail, le statut de Volontaire Civique ne relève pas du 
Code du travail. Théoriquement non soumis à la subordination, les 
volontaires ne dépendent pas du droit du travail et ne profitent pas de 
ses protections. Or, alerté par le peu de débouchés professionnels de la 
jeunesse, le volontariat risque selon le syndicat ASSO d’être « un 
palliatif au chômage et l’indemnité deviendra un « salaire ». »

Si dans l’idéal, cette loi vise à permettre un engagement citoyen tout 
en renforçant la cohésion sociale, en pratique, ces belles paroles 
justifient une forme nouvelle de sous-emploi qui a surtout pour but 
d’occuper la jeunesse. Le Volontariat avait d’ailleurs été remis au goût 
du jour après les émeutes de 2005, faute d’emplois, il s’agissait de 
mettre les jeunes en activité.

Stage

Un autre statut de travailleurs est utilisé de manière significative, il 
s’agit du statut de stagiaire. Malgré l’absence de chiffres sur la 
question, les associations sont d’importantes pourvoyeuses des 1 200 000 
stages signés chaque année en France [8].

Pour Maud Simonet, les statuts de stagiaire et de volontaire sont à 
rapprocher. « La situation des volontaires est assimilable à celle de 
certains stagiaires : un niveau de rémunération qui exacerbe les 
inégalités sociales, des tâches non couvertes par le droit du travail 
parce que non reconnues comme telles, et des formes de sujétion du 
travailleur qui reposent, en partie au moins, sur le consentement et 
l’engagement volontaire de celui-ci » [9].

Bien que ces évolutions restent à étudier, nous assistons aujourd’hui à 
un phénomène de remplacement du statut de stagiaire par celui de 
volontaire. Le nouveau statut est devenu plus avantageux du point de vue 
de la rémunération pour le stagiaire-volontaire, et également plus 
avantageux pour les associations. Au lieu de payer au stagiaire la 
gratification de 417 euros obligatoire [10], le statut de volontaire 
permet aux associations de payer moins de la moitié de ce qu’elles 
devraient débourser pour un stagiaire.

Stagiaires et volontaires sont utilisés comme de véritables variables 
d’ajustement par les associations, incapables de les embaucher, pour 
remplir leurs missions. Pour reprendre les mots de Robert Castel, les 
jeunes sont victimes d’« une pénurie de places disponibles », d’un 
véritable « chantage moral », une injonction « à travailler à n’importe 
quelles conditions », sous n’importe quel statut, afin d’être « 
socialement respectables » [11]. Les jeunes préfèrent travailler en 
stage ou en volontariat et profiter de l’intégration sociale du travail 
que de se retrouver dans la position peu enviable de « surnuméraire » et 
subir la « stigmatisation du non-travail assimilé à l’oisiveté coupable 
» [12].

3. Emploi féminin et temps partiel

L’économie sociale, en général, est un secteur très féminisé : 70 % des 
emplois sont occupés par des femmes dans les mutuelles, les associations 
et les fondations, contre 45 % dans le reste de l’économie. Alors que ce 
secteur concentre 9,1% des emplois en « équivalent temps plein », il 
concerne 9,8 % de l’emploi salarié : l’emploi à temps partiel y est plus 
développé qu’ailleurs.

Concernant plus spécifiquement les associations, l’équivalent temps 
plein du travail salarié dans les associations serait ainsi de l’ordre 
de 1 045 800 salariés. Ce chiffre rapporté au nombre moyen de salariés 
dans les associations – 1 902 000 – donne une indication de l’importance 
du travail à temps partiel dans le secteur associatif. Temps partiel 
choisi ou imposé, l’exemple du service à la personne tend vers la piste 
d’un temps partiel contraint. En effet, ces emplois tenus 
essentiellement par des femmes peu diplômées, travaillent en moyenne 
seulement 10 à 12 heures par semaine, pour 3,9 employeurs, selon 
l’économiste Florence Jany-Catrice [13]. L’emploi associatif, morcelé, 
entraîne une plus grande précarité que dans le secteur public et du privé.

4. Horaires atypiques

Travailler dans le monde associatif, c’est également sacrifier plus 
souvent ses soirées et ses week-ends. Comme l’explique Matthieu Hély, « 
travailler de façon habituelle ou ponctuelle le week-end (samedi et 
dimanche), ou en soirée, sont des attributs qui caractérisent plus 
particulièrement des rythmes de travail « hors normes » » [14].

Plus que dans l’administration, mais aussi davantage que sur le marché 
de l’emploi privé, les salariés associatifs sont à l’avant-garde de la 
flexibilité.

Mythe : « travailler plus pour gagner plus »

Alors que la législation du travail impose une majoration de salaire 
dans le cas où un salarié se voit privé du repos du dimanche [15] ou 
obligé de travailler en soirée, on observe que c’est effectivement le 
cas dans la fonction publique où le travail le week-end est très 
fréquent ou encore dans le privé : travailler le dimanche entraîne une 
augmentation significative de la rémunération.

Pourtant, si le travail en soirée (entre 20h et minuit) et le week-end 
fait l’objet d’une compensation salariale importante et très 
significative pour l’ensemble des salariés, les travailleurs associatifs 
font exception. Dans l’entreprise associative, les horaires hors normes 
sont « normaux ». C’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’une 
compensation salariale alors même que celle-ci serait tout à fait 
légitime sur le marché du travail traditionnel.

L’observation des pratiques de rémunération dans le monde associatif 
conforte également sa singularité et révèle même l’une des 
particularités les plus frappantes de ce secteur : à emploi égal, si le 
statut peut être différent, le salaire perçu diffère sensiblement de ce 
qu’il pourrait être dans le cadre d’une entreprise privée à but lucratif 
[16]. Matthieu Hély, reprenant l’enquête INSEE menée en 2000 et 2001 par 
deux économistes, Diégo Legros et Mathieu Narcy, souligne « qu’à 
catégorie professionnelle équivalente, travailler pour une association 
entraîne une baisse de la rémunération perçue d’environ 18% » pour des 
personnes travaillant à temps plein.

II. Explications de la présence de la précarité

La différence de qualité du travail est évidente entre monde associatif 
et le reste du marché du travail. Plusieurs hypothèses essayent 
d’apporter une réponse à l’existence de ces désajustements.

1. Externalité positive…

Pour Preston, le différentiel de qualité du travail observé résulte de 
la disposition des travailleurs à accepter un salaire certes réduit, 
mais compensé par le fait que leur activité est source « d’externalités 
positives » [17]. Autrement dit, le fait de servir un projet à but non 
lucratif apporte une satisfaction morale au travailleur qui justifierait 
une rémunération plus faible que ce à quoi il pourrait prétendre dans 
une organisation à but lucratif.

La contribution des individus au bien commun serait une compensation en 
profits symboliques qui rendrait acceptable une rémunération plus 
faible. Cette idée soulignerait que le salaire ne constituerait pas le 
critère principal de la reconnaissance professionnelle et que d’autres 
éléments, comme la satisfaction morale d’accomplir un projet d’utilité 
sociale, viendraient compenser une rémunération plus faible.

Si cette explication apporte une part non négligeable à la compréhension 
du phénomène, elle n’est pas satisfaisante, du moins pas suffisante. 
Comme nous l’avons vu précédemment, notamment avec Robert Castel, le 
statut et les conditions d’emploi et de rémunération sont parfois 
–souvent– le résultat d’une nécessité ou de l’inexistence d’autres choix.

…et faux choix professionnel

Tout se passe effectivement comme si l’invocation des valeurs « 
solidaires » qui imprègnent systématiquement le discours des 
travailleurs associatifs, venait en fait justifier un désajustement 
entre aspirations initiales et réelles possibilités.

Il convient de minimiser l’importance du libre choix solidaire. C’est le 
cas en particulier du cadre quinquagénaire pris en exemple par l’auteur 
de L’économie sociale et solidaire n’existe pas [18]. À la suite d’un 
licenciement, il décide de fonder une épicerie sociale, en utilisant 
pour les besoins de la cause le carnet d’adresses constitué pendant sa 
carrière dans le privé, pour être « utile à la société » mais aussi pour 
trouver une forme honorable de reconversion professionnelle.

Pour Matthieu Hély, le développement du monde associatif est le « fruit 
du double processus de la « privatisation » du public et de la « 
publicisation » du privé : la « privatisation » du public, au sens que 
lui donnent les juristes en termes d’affaiblissement du droit 
administratif, s’observe depuis une vingtaine d’années en particulier 
dans la transformation du statut des agents de la fonction publique et 
dans les attentes des citoyens à l’égard de l’action publique » [19].

En 2012, c’est une première, la masse salariale de l’État devrait 
diminuer de 0,25 %. Ce choc démographique va exclure les postulants à la 
fonction publique. Comme le souligne Louis Chauvel, l’État a préféré 
réguler le flux d’entrées plutôt que d’agir sur les titulaires en place 
: « malgré un sacrifice constant de la jeunesse qui a vu depuis vingt 
ans se réduire de plus de la moitié les places dans la fonction 
publique, le nombre de fonctionnaires demeure rigoureusement le même 
depuis 1984. Ici comme ailleurs, on a préféré traiter le flux des 
nouveaux entrants, qui ont été sacrifiés, faute de pouvoir prendre 
position sur le stock, inexpugnable » Louis Chauvel, Les classes 
moyennes à la dérive, Le Seuil, « La république des idées », 2006, p.69.]].

Les jeunes individus à l’habitus plus solidaire se voient fermer les 
portes du service public, aux valeurs plus altruistes que celles 
proposées par le marché privé d’avantage à la recherche de plus-values 
que de l’intérêt général. Le développement de l’économie sociale et 
solidaire profite ainsi de la présence de « surnuméraires », « 
d’inutiles au monde ».

2. Relation bénévole-employeur, et bénévolisation du travail

Une deuxième explication non pas exclusive mais complémentaire mérite 
d’être développée.

Être employé dans le cadre d’une entreprise associative implique souvent 
de collaborer avec des bénévoles. La frontière est parfois floue entre 
employeurs travaillant gratuitement, bénévoles et salariés du monde 
associatif. Cette spécificité entraîne une banalisation des heures 
supplémentaires et une injonction à s’engager sans compter son temps.

Au nom de « l’esprit associatif », une part de travail bénévole « va de 
soi », est irrémédiablement et implicitement prescrite. Cette 
non-valorisation du travail par une rémunération pourtant due, fait 
penser à ce que Maud Simonet appelle une « bénévolisation du travail » 
[20] : « Au nom de la citoyenneté, on crée des statuts qui dérogent au 
droit du travail, comme avec les volontariats civils et associatifs ou 
récemment le service civique entré en vigueur l’an dernier » [21].

Ce phénomène, s’explique en partie par le processus amenant à l’embauche 
du salarié. Généralement, les travailleurs d’une association sont 
d’abord les bénévoles, ce n’est que dans un second temps que vient 
l’embauche, quand les bénévoles ne peuvent plus répondre à la charge de 
travail. Les postes salariés sont destinés à remplacer ou seconder les 
bénévoles, ce qui peut facilement entraîner une confusion par la suite 
entre statut de salarié et bénévole.

De plus, la proximité entre bénévoles et salariés et la substituabilité 
du travail salarié au travail bénévole constituent souvent un risque de 
dénégation de la qualification : si les bénévoles mettent en œuvre 
gratuitement les mêmes compétences que les salariés, une rémunération 
élevée de ces derniers semble inutile, voire injuste. En effet, cela 
semble signifier que « n’importe qui », avec « un peu de bonne volonté 
», peut effectuer le travail.

Les salariés associatifs, travaillant avec des bénévoles non-rémunérés, 
ont ainsi des difficultés à obtenir une reconnaissance et même une 
légitimité professionnelles.

3. Logique de libéralisation et de mise en concurrence

La précarité dans le monde associatif est également directement le 
résultat des politiques publiques d’action sociale. L’engouement et le 
développement du monde associatif n’est pas simplement le résultat d’une 
volonté, mais davantage d’un besoin structurel de la société.

La décentralisation a eu pour effet de diminuer les financements de 
l’Etat, tandis que les Départements et Régions étaient investis de 
compétences sociales qu’elles ont confiées en partie aux associations. 
La restructuration des finances publiques a entrainé une modification 
des missions des associations ainsi que l’augmentation du nombre 
d’organisations.

Si les financements publics ont augmenté en volume, les associations se 
trouvent en concurrence entre elles pour l’accès aux ressources 
publiques comme pour l’accès aux autres ressources ou au bénévolat. Les 
restrictions budgétaires qui ont affecté le budget de l’État en 2005 et 
2006 ont amplifié les difficultés des associations touchées par cette 
restructuration.

La réduction des transferts d’argent en direction des associations 
remplissant des missions de service public – reconnue ou non – et de 
lien social, s’est poursuivie. En novembre 2009, à la question « La 
crise a-t-elle entraîné pour votre association une réduction des 
financements ? », 32 % des grandes associations déplorent une diminution 
des financements publics [22].

Mais au-delà d’un désengagement de l’État, plus ou moins bien pallié par 
l’investissement des collectivités locales, un nouveau mode de 
financement s’est développé et fragilise la possibilité de perspectives 
longue-termistes pour les associations.

Le rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les 
associations » paru en 2008 [23] est révélateur du passage de la culture 
de subvention à celle de la commande publique. Abandonnant 
progressivement les subventions de fonctionnement, pour la commande 
publique, les institutions publiques mettent en Contrat à Durée 
Déterminée les bénéficiaires de l’argent public, ce qui fragilise 
l’emploi associatif condamné à ne pouvoir embaucher que sur les durées 
déterminées des appels d’offre.

S’ajoute à la moindre qualité des financements de l’État, la circulaire 
du 18 janvier 2010 signée par le premier ministre français François 
Fillon qui fragilise davantage encore des milliers d’associations. En 
effet, en affirmant que « la majorité des activités exercées par 
[celles-ci] peuvent être considérées comme des activités économiques », 
la décision gouvernementale étend la réglementation européenne des aides 
aux entreprises à l’ensemble des subventions attribuées, quel que soit 
l’objet [24]. Les associations marchandes non-lucratives sont 
abandonnées par l’Etat dans leurs efforts d’insertion sociale, et se 
retrouvent mises en concurrence avec les entreprises du secteur privé 
lucratif.

Le monde associatif terreau de la précarité de l’emploi

Fragilisées par la mise en concurrence entre elles, et avec les 
entreprises privées, par le reflux et l’instabilité des subventions, les 
associations doivent prendre conscience du processus dans lequel elles 
sont inscrites. Victimes de la dégradation des politiques publiques de 
la jeunesse, de l’insertion, de l’emploi, elles investissent les 
nouveaux statuts précaires. Contraint à l’effet d’aubaine pour 
poursuivre leurs missions, elles risquent d’institutionnaliser le 
développement du sous-emploi.

L’économie sociale et solidaire, engagée, militant contre la précarité, 
pour un monde plus juste, se retrouve par « pragmatisme » le terreau des 
tenants de la flexibilisation du travail et des promoteurs du travail 
gratuit : en somme d’une nouvelle précarité.

Nous devons rester vigilants face à la banalisation de la bénévolisation 
du travail, car cette offensive politique dépasse largement le seul 
monde associatif. En mai 2011, le ministre Laurent Wauquiez, chef de 
file de la Droite sociale, propose à l’instar de Hartz 4 en Allemagne, 
que « les bénéficiaires du RSA consacrent, en contrepartie de leurs 
allocations, 5 heures de service social par semaine au sein d’une 
collectivité ou d’une association ». 70 % des personnes interrogées 
répondent positivement à cette proposition. L’opinion française, 
spontanément, trouve justifiable que les richissimes bénéficiaires des 
460 euros du RSA travaillent gratuitement pour y avoir droit. La 
proposition de Laurent Wauquiez s’inscrit dans un tout idéologique plus 
général de valorisation politique et idéologique du travail bénévole et 
volontaire.

Après une période d’engouement pour l’économie sociale et solidaire nous 
devons questionner cette économie « au service d’un autre développement 
»… qui pourrait se retrouver être celui de l’économie néo-libérale En se 
développant sur la privatisation de l’action publique, le monde 
associatif y gagne son dynamisme, mais participe également à la 
dégradation de l’emploi. L’Etat néo-libéral confronté à une fonction 
publique organisée et politisée a confié ses missions historiques de 
service public à un monde associatif dont les acteurs précarisés ont 
perdu le statut naguère garanti par la fonction publique.

À s’engager « ici et maintenant », l’économie sociale et solidaire ne 
doit pas hypothéquer le « changer le monde », partout et pour toujours. 
Le monde associatif, bien que morcelé en une myriade d’organisations, 
doit apprendre à s’organiser et se politiser afin de ne pas se retrouver 
à la merci du moindre coup de frein idéologique, et ne pas devenir une 
variable d’ajustement consentante de l’économie néolibérale.


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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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