[Infoligue] L’âme associative n’est pas soluble dans la logique du marché

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 7 Jan 14:52:17 CET 2011


L’âme associative n’est pas soluble dans la logique du marché

Par Vincent Edin et Bruno Humbert
Publié par : http://www.place-publique.fr/spip.php?article6047
Le : Janvier 2011

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Mesure d’impact social, performance sociale, traçabilité des 
investissements humains…Si tout devient calcul, la diversité des valeurs 
fond plus vite que la banquise.

Le secteur associatif est à l’aune de sa querelle des anciens et des 
modernes. A la différence près que l’enjeu n’est pas esthétique, mais 
tristement arithmétique. Les modernes empruntent un champ lexical 
étrangement similaire aux grands groupes capitalistes : mesure d’impact 
social, performance sociale, traçabilité des investissements humains… 
Les anciens défendent mordicus l’âme associative fondée sur l’Homme au 
centre du projet, un irréfragable dogme qui implique, de facto, que 
certaines choses ne pourront jamais être mesurées.

A l’heure du triomphe des marchés où la performance dicte sa loi, le 
projet des anciens manque de libido. Il ne fait plus rêver. Celui des 
modernes est encensé, évidemment. Dans un livre puissant et prophétique 
, Eve Chiapello et Luc Boltanski rappelaient que le génie du capitalisme 
est de savoir muter en reprenant à son compte le champ lexical du camp 
d’en face… Suite à l’ébranlement de mai 68 et la demande de liberté, le 
patronat répondit « autonomie », « flexibilité », « internationalisation ».

Les libertaires applaudirent, quand les plus lucides comprirent d’emblée 
que cela allait accélérer l’émergence de précarité et augmentait 
considérablement la productivité. L’injonction politique embraye puisque 
depuis le Général de Gaulle, la France est gouvernée par des 
technocrates, comptables ; aux aspirations plutôt progressistes ou 
plutôt conservatrices, mais des comptables. Et les intérêts convergents 
des entreprises et des politiques poussent à vouloir tout calculer.

Or, si tout devient calcul, la diversité des valeurs fond plus vite que 
la banquise. Un grand entrepreneur Français, dont nous conserverons 
l’anonymat, résumait le cynisme ambiant par cette formule : « l’enjeu 
pour les entreprises c’est de se faire passer pour des associations, et 
pour les associations de se faire passer pour des entreprises ».

Prendre du risque, oui, mais sur l’humain

Et à ce jeu là, les associations seront perdantes, elles ne doivent pas 
se grimer de valeurs qui ne sont pas les leurs. Prenons la plus 
emblématique : le goût du risque. Les financiers se gaussent partout 
d’en prendre énormément. Mais la crise a rappelé qu’ils confisquent les 
profits de ces risques alors qu’ils en mutualisent les pertes. Curieuse 
leçon de courage…

L’âme associative, en revanche, s’est forgée sur un courage suprême : 
prendre du risque sur l’humain. Quand on accepte de donner sa chance à 
quelqu’un qui a passé vingt cinq ans en prison, ou dans la rue à boire, 
on s’expose à un échec possible et pourtant il faut bien que quelqu’un 
tende une main. « Nul n’est irrattrapable », ainsi peut-on résumer 
l’essence associative. Une essence qui échappe aux arguties de calcul, 
la fragilité ne trouve pas sa place dans un compte d’exploitation.

Les pouvoirs publics, obnubilés par la traçabilité comptable promettent 
plus de moyens aux acteurs associatifs qui pourront démontrer leur 
efficacité par des bilans comptables. Et l’on voit émerger, donc, un pan 
de l’économie sociale prête à relever le défi. Il s’agit d’orgueil mal 
placé qui dévoiera le projet associatif ! Bien sûr, les acteurs 
associatifs doivent se professionnaliser, être transparents et se 
préoccuper de l’économique. Mais à accepter la demande d’exigence 
économique, on entre de facto dans un culte de l’efficacité qui pousse à 
exclure les plus fragiles et les plus vulnérables, car susceptibles de 
dégrader les « indices de notation de la performance ».

Cette tendance récente est sans doute liée à l’arrivée chez des acteurs 
associatifs d’éléments issus des grandes écoles (ESCP, sciences-po, 
ESSEC) avec une spécialisation en entrepreunariat social. Comme leurs 
enseignants, ils sont animés des meilleures intentions mais n’ont pas 
complètement changé leur logiciel des premières années, fondé sur la 
quête effrénée du profit et de la performance. Ils tendent à l’adapter à 
l’associatif avec des formules telles que « vous devez calculer, puis 
optimiser votre impact social pour intéresser les donateurs, les 
investisseurs (sic), ou les pouvoirs publics ». Sans le vouloir cette 
nouvelle génération illustre peut être à son corps défendant le dicton 
qui prétend que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Il existe un vrai risque de rupture de l’âme associative à singer les 
codes capitalistiques qui laissera de côté un nombre croissant d’hommes. 
Il faut marteler qu’il n’y a pas de honte, au contraire, à admettre que 
certaines choses ne seront jamais mesurables et que ce qui est honteux 
ce n’est pas d’échouer, mais de ne pas essayer. Brel chantait « chez ces 
gens-là, Monsieur, on ne parle pas, on compte ». Nous militons pour que 
le secteur associatif ne soit pas dirigé par des comptables, mais par 
des dirigeants dont le premier réflexe demeure, quoi qu’il advienne, la 
révolte face aux injustices sociales.

Vincent Edin, journaliste auteur de « Insertion, le temps de l’action » 
(Autrement) Bruno Humbert, fondateur d’Equitel et co-fondateur de 
Mailforgood

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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