[Infoligue] La loi de juillet 1901 : un texte à ne pas modifier !

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 17 Juin 11:59:19 CEST 2011


La loi de juillet 1901 : un texte à ne pas modifier !


Entretien avec Jean-Claude BARDOUT auteur « d’histoire étonnante de la 
loi 1901 »

Publié par : http://www.agoravox.fr/
Le : 17/06/11

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Suite à quelques échanges sur Agoravox, je me propose de faire le point 
sur le droit associatif à partir d'un entretien avec l'auteur de 
"l'histoire étonnante de la loi de juillet 1901"


LA LOI DU 1er JUILLET 1901 :

UN TEXTE D’ACTUALITE QUI N’A PRIS AUCUNE RIDE !?

Plus d'un siècle après la promulgation de la loi 1901, pensez vous que 
ce texte doit être modifié ou simplement toiletté ?

Le texte de la loi du 1er juillet 1901 ne doit pas être modifié. Les 
principes républicains, libéraux et libertaires de la loi 1901, tels que 
WALDECK-ROUSSEAU les a fait approuver il y a cent ans, ont eu tant de 
mal à s'imposer en France, où le droit de l'association se résumait à 
une prohibition générale en droit et une tolérance source d'arbitraire 
en fait, qu'il importe désormais de les préserver. Grâce à la loi du 1er 
juillet 1901 le droit d'association est reconnu aux citoyens, sans 
autorisation préalable du gouvernement. Même la déclaration à la 
préfecture n'est pas obligatoire. Et si les associés veulent doter leur 
association d'une véritable personnalité morale, dotée de droits et 
d'une existence juridique, une simple déclaration à la préfecture 
suffit, avec publication au journal officiel, sans que le gouvernement 
ni l'administration ne puisse s'y opposer ou prétendre exercer un 
contrôle a priori. L'association est affranchie de la tutelle pesante ou 
bienveillante de l'Etat, source d'arbitraire politique ; elle est, 
depuis WALDECK-ROUSSEAU, considérée non comme une concession de 
l'administration publique, mais comme un simple contrat entre citoyens, 
régi par le droit commun des contrats.

Ces principes républicains, libéraux et libertaires ont eu du mal à 
s'imposer en France ; ils ont été critiqués et remis en cause, au 
lendemain de l'adoption de la loi, par tout un courant favorable au 
retour des corporations d'avant la révolution de 89 ; ces principes ont 
été bafoués par le régime de Vichy ; ces principes ont subis encore de 
nombreuses entorses et dérogations sous la IV et Vè république, et ce 
n'est que dans les trente dernières années, qu'ils ont été à nouveau 
pleinement consacrés. La loi du 1er juillet 1901, quoique vieille de 
cent ans, est donc neuve et pertinente dans ses principes.

Le texte lui-même de la loi a fait l'objet de diverses réformes, 
amendements, ajouts, actualisations, en cent années d'existence. C'est 
là la vie normale d'un texte de loi. Le corps principal de la loi, les 
principes de liberté, l'affranchissement de l'autorisation préalable 
sont consacrés par le conseil constitutionnel et confortés par la 
convention européenne des droits de l'homme. Le titre III consacré aux 
congrégations, plus conjoncturel, a perdu en pertinence au fil du temps. 
Le titre II consacré à la reconnaissance d'utilité publique, joue un 
rôle désormais marginal, tant en nombre d'associations (2 000 sur 800 
000) qu'en intérêt au fur et à mesure que la capacité patrimoniale des 
associations ordinaires s'accroît. De ce point de vue, les limitations 
que la loi de 1901 apportait à la capacité patrimoniale des associations 
(propriété foncière, capacité à recevoir des dons et legs) n'est plus 
d'actualité, et leur régime devrait être harmonisé sur celui des 
associations des pays voisins de l'union européenne.


Les associations existent de fait depuis des centaines d’années Peut-on 
connaître leur date de naissance ?

Les toutes premières associations sont des sociétés mutuelles. 
L'existence d'associations mutualistes a pu être établie entre forgerons 
de Basse-Egypte, ainsi qu'entre citoyens de la Grèce Antique. Rome a 
connu aussi de nombreuses associations, collèges d'artisans réunis dans 
un but de solidarité entre les membres, ou associations plus politiques. 
Ces pratiques associatives élémentaires se sont transmises de génération 
en génération, et peu à peu bonifiées, avec des caractéristiques qui 
font l'originalité et l'intérêt de la vie associative : une organisation 
spontanée à partir de la base ; la cotisation des membres qui permet un 
financement collectif et indépendant ; des règles démocratiques 
d'élection, de contrôle et de révocation qui sont la conséquence du 
financement collectif ; la grande variété des formes d'organisation et 
des buts, conséquence du caractère spontané et originairement libre de 
l'association ; la libre détermination de l'objet ou du but de 
l'association ; des rites et symboles d'identification (bannière, 
saint-patron, vêtements ou ornements) constitutif d'une culture de groupe.

Les différents pouvoirs semblent avoir toujours hésité entre une 
politique d'intégration des associations et des mesures d'interdiction

La lecture de votre livre apporte d’ailleurs des indications 
intéressantes. Pouvez-vous donner quelques exemples pris dans l'histoire ?

Le Concile de Rouen a condamné les associations de secours mutuels en 
ces termes , dès 1139 :
« Il y a des clercs et des laïques qui forment des associations pour se 
secourir mutuellement dans toute espèce d¹affaires et spécialement dans 
leur négoce, portant une peine contre ceux qui s¹opposent à leurs 
statuts. La sainte écriture a en horreur de pareilles associations ou 
confréries de laïques ou d¹ecclésiastiques, parce qu¹en les observant on 
est exposé à se parjurer. En conséquence, nous défendons, sous peine 
d¹excommunication, qu¹on fasse de semblables associations et qu¹on 
observe celles qui auraient été faites »

Le concile d¹Avignon réitère cette même condamnation en 1326 : « des 
ligues, des sociétés, des coalitions interdites tant par le droit 
ecclésiastique que par le droit civil », qui « sous le nom de confrérie 
se rassemblent une fois par an en quelque lieu pour tenir leurs 
conciliabules et leurs réunions."

Le pouvoir temporel adopte la même position : en 1305, Philippe IV dit 
le Bel, défend par mandement aux Français de s'assembler même de jour, à 
plus de cinq personnes :
« Que personne, après le mandement susdit, de quelque condition, 
fonction ou rang qu¹il soit dans notre ville ci-devant nommée, à plus de 
cinq, de jour ou de nuit, au sus de tous ou en cachette, n¹ose former de 
rassemblements, sous quelque forme, mode ou apparence que ce soit. »

Le mandement de Philippe le Bel consacre l¹édit du Prévôt de Paris qui, 
le 28 avril 1305, portait prohibition des assemblées de plus de cinq 
personnes. Il précède de deux ans le procès que le roi intenta contre 
les Templiers (1307-1314), dont il confisqua les biens. L¹ordre fut 
supprimé et les dignitaires brûlés vifs. La prohibition posée par le 
mandement de Philippe le Bel n¹est en rien un texte isolé. Il exprime 
une volonté royale constante en France, par laquelle le souverain entend 
établir son autorité sur tout groupement existant en son royaume. Il 
prolonge les capitulaires de Charlemagne en 779, 794 et 805, Carloman, 
en 884, Louis le Pieux, en 817.

En prohibant de manière générale toute association non autorisée, dans 
les formes et pour les raisons qu'il plaira au gouvernement d'imposer, 
de plus de vingt personnes, l'article 291 du code pénal napoléonien de 
1810 consacre ainsi dans le marbre des grands codes un interdit 
traditionnel en France, dont l'origine est antérieure à la célèbre loi 
Le Chapellier (1791).

La loi du 1er juillet 1901 n'en prend que plus d'importance et de 
valeur, par le fait qu'elle rompt de manière particulièrement nette avec 
toute une tradition juridique de prohibition et d'arbitraire à 
l'encontre des associations libres de citoyens.

Comme pour la création de l’Ecole laïque, y a t-il eu une alliance entre 
le mouvement ouvrier , syndicats et partis avec les républicains , 
représentant une aile moderniste de la bourgeoisie pour élaborer ou 
faire adopter la loi 1901 ?

WALDECK-ROUSSEAU, père de la loi du 1er juillet 1901 est aussi 
l'inspirateur de la loi de 1884 consacrant la liberté syndicale. Les 
principes à la base de la loi relative aux associations sont les mêmes 
que ceux à la base de la loi sur les syndicats.

WALDECK-ROUSSEAU a été nommé président du conseil, d'un gouvernement dit 
de défense républicaine, au sortir de l'affaire Dreyfus, alors que la 
République était en prise avec une très forte et dangereuse contre 
offensive anti-républicaine. La loi du 1er juillet 1901 s'inscrit dans 
ce contexte, d'où son titre III particulièrement sévère pour les 
congrégations religieuses, alors mobilisées dans le camp anti-républicain.

Dans son gouvernement de défense républicaine, WALDECK-ROUSSEAU a 
réalisé l'union entre des républicains de droite et des républicains 
progressistes, notamment MILLERAND, premier socialiste à entrer dans un 
gouvernement de la IIIè république. Cependant si la bourgeoisie 
républicaine était réservée sur la nomination d'un socialiste dans le 
gouvernement, les leaders ouvriers étaient divisés sur la participation 
d'un des leurs au gouvernement WALDECK-ROUSSEAU. La répression de la 
Commune de Paris était encore dans les mémoires, de sorte qu'il faut 
rester prudent dans la tentation de vouloir appliquer des schémas de 
pensée tel qu'une alliance de l'aile moderniste de la bourgeoisie avec 
le mouvement ouvrier ; tout juste pourrait on évoquer une convergence de 
fait entre une partie du mouvement ouvrier et les républicains.

L’association permet l’auto-organisation des citoyens, certes mais de 
nombreuses associations bâtissent leurs statuts sur une base de forte 
hiérarchisation. S’agit-il d’une lecture restrictive, de l’esprit de la 
loi ou d’un passage obligé ?

La démocratie est "l'enfant naturel" de l'association, dans la mesure 
où, lorsque des citoyens s'organisent entre eux indépendamment de 
l'Etat, et mettent en commun leurs ressources en vue d'une oeuvre 
commune, ils ont un intérêt évident à s'organiser sur la base de 
principes qui respectent leurs droits, notamment en choisissant leurs 
dirigeants, en conservant un droit de contrôle et de révocation, en 
établissant des modes collectifs de décision.

Cependant la loi du 1er juillet 1901 n'impose aucun statut prédéterminé, 
et laisse aux associés la liberté de leur organisation interne. Il ne 
faut pas le regretter. C'est le corollaire obligé de la liberté 
associative. Car contraindre l'association à une organisation 
déterminée, fusse-t-elle démocratique, réintroduirait un contrôle de 
l'Etat sur l'organisation interne de l'association.

Rappelons que le contrôle existant sur les statuts et l'organisation des 
associations reconnues d'utilité publique, en dérogation à ces principes 
de liberté, ne garantit de rien du tout, et en tout cas pas de dérive 
financière et anti-démocratique comme cela a été le cas de l'Arc, avant 
son changement de présidence.

Alors qu’à l’origine la dissolution d’une association était une décision 
de justice, le gouvernement de Front populaire a fait adopter un texte 
donnant au pouvoir politique la possibilité d’interdire une association

Ce dispositif est toujours en vigueur. Ne s’agit-il pas là d’une menace 
permanente ?

La dissolution administrative par décision prise en conseil des ministre 
date de la loi de 1936. Elle vient en contradiction avec les principes 
libéraux de la loi du 1er juillet 1901. WALDECK-ROUSSEAU en effet, en 
soumettant les associations au droit commun, entendait les soumettre, 
comme tout citoyen, aux principes généraux du droit civil, et du droit 
pénal. Dès lors seul un tribunal devait pouvoir sanctionner une 
association commettant des infractions, avec le respect qu'apporte un 
procès contradictoire devant un juge.

La loi de 1936 déroge à ce principe, en revenant, dans certains cas 
limitativement énumérés, aux principes anciens de dissolution par le 
pouvoir politique. Cette loi de 1936 a été prise en réaction aux 
lenteurs de la justice de l'époque.

Aujourd'hui, la pratique des procédures de référés, permet de prendre 
des mesures très rapidement, ne fusse que provisoirement, dans un but 
conservatoire. Cette procédure pourrait être étendue à la dissolution 
d'une association en cas de trouble à l'ordre public et d'activités 
illicites nécessitant une réaction rapide.

Marcellin avait bien vu la contradiction entre le pouvoir reconnu au 
gouvernement de dissoudre administrativement une association et le 
principe de la liberté de création sans autorisation préalable. Mais, au 
lieu de promouvoir une réforme de la loi de 1936, par exemple en 
permettant à la justice de se prononcer en urgence, par la procédure du 
référé, sur la dissolution d'une association qui serait en infraction à 
la loi, Marcellin voulait réformer la loi de 1901, en rétablissant 
l'autorisation préalable. Le régime de l'autorisation préalable par 
l'administration préfectorale (sous autorité du ministre de l'intérieur) 
et celui de la dissolution administrative par décision du conseil des 
ministres (c'est-à-dire du gouvernement) vont effectivement de pair.

Tout comme vont de pair la liberté de création d'une association sans 
autorisation préalable de l'Etat et l'impossibilité de dissoudre une 
association autoritairement, sans procédure judiciaire sur la base des 
lois applicables à tout citoyen.

Rappelons que le fait d'être associé n'a jamais été considéré comme une 
immunité juridique, ni même comme une circonstance atténuante. Au 
contraire, le fait de commettre une infraction en association constitue 
plutôt une circonstance aggravante : celle de commettre un délit ou en 
crime en réunion, en bande organisée, ou encore est constitutif du délit 
d'association de malfaiteurs.

L’histoire récente de la loi 1901 est jalonnée d’avancées et de reculs 
liés à la nature des différents textes d’encadrement de la loi .

Vous parlez dans votre livre d’une seconde victoire de Waldeck Rousseau, 
de quelle victoire s’agit-il ?

La victoire posthume de WALDECK-ROUSSEAU est, après avoir réussi à faire 
consacrer la liberté d'association dans la loi, le 1er juillet 1901, que 
sa loi soit consacrée par le conseil constitutionnel comme un principe à 
valeur constitutionnelle. De même, la reconnaissance de cette liberté 
d'association dans la convention européenne des droits de l'homme, 
constitue également une victoire posthume pour WALDECK ROUSSEAU. 
Désormais, la loi 1901 qui a été remise ne cause plusieurs fois depuis 
sa promulgation, est mieux protégée contre les tentatives de retour aux 
régimes dérogatoires et arbitraires.

Est-il possible aujourd’hui de construire des associations de mineurs 
comme le prévoit la Convention Internationale des droits de l’enfant ou 
doit-on prévoir un arsenal législatif ?

La loi du 1er juillet 1901 n'a jamais interdit aux mineurs de fonder une 
association. Les problèmes juridiques que l'on se posait à ce propos 
étaient des complications à mon avis inutiles. Le fait qu'une préfecture 
puisse refuser l'enregistrement d'une association de mineurs, si tant 
est que cela existât, n'est pas prévu par la loi et donc nettement 
contraire à la loi de 1901.

WALDECK-ROUSSEAU a voulu soumettre les associations au droit commun des 
contrats. Un mineur peut librement contracter avec l'accord de ses 
parents et ce sont ses parents qui sont responsables des engagements 
passés par lui. Il en est donc de même pour une association. La timidité 
des Français sur cette question est incompréhensible, d'autant plus que 
l'idée est pourtant communément admise que l'association, petite 
république en miniature, est une excellente école de citoyenneté. 
Pourquoi interdire alors cette école aux mineurs ? N'est-ce pas d'abord 
aux mineurs que sont destinés les écoles ? N'ont-ils pas besoin d'école 
de citoyenneté.

Heureusement, le droit d'association des mineurs est aujourd'hui 
consacré par la convention internationale des droits de l'enfant. Aussi, 
le droit international vient-il opportunément au secours du droit des 
mineurs face à tout ceux qui ne se sont pas eu jusqu'à maintenant 
confiance dans notre propre droit d'association, qui pourtant 
reconnaissait aux mineurs l'exercice du droit d'association.

Des grandes associations disposent de moyens considérables alors que 
d’autres ont du mal à vivre, s’exprimer, se développer.

Ne s’agit-il pas d’une égalité formelle ?

Ce n'est pas une inégalité formelle mais une inégalité pratique. Il est 
libre à deux personnes de former une association entre elles et d'en 
limiter le nombre des adhérents. Il est libre également à des 
associations de s'unir entre elles, au sein d'unions et de fédérations, 
et de rassembler des milliers d'adhérents. C'est par cette émulation que 
les associations les plus intéressantes se distinguent et que 
périclitent celles qui ne savent pas se renouveler. L'existence de 
dinosaures associatifs n'a jamais empêché l'émergence de nouvelles 
associations, combatives et novatrices, ni que ces dernières acquièrent 
un écho médiatique ou une certaine consistance.

Avec mes remerciements pour cet entretien accordé, je me permets une 
dernière question :
Pouvez-vous en quelques mots donner l’objet exact de votre livre paru en 
2001, 100 ans après la loi ?

J'ai voulu d'abord faire partager mes découvertes et mon étonnement. 
Découvertes, cette permanence de la vie associative, sous tous les 
régimes politiques, et la constance de la répression à laquelle les 
associations étaient soumises. Etonnement : la dureté de la bataille 
qu'il a fallu mener, spécialement en France, pour conquérir la liberté 
d'association. Etonnement encore : les retours en arrière dont la 
liberté d'association a souffert, sous le régime de Vichy, et même sous 
la Vè République, avant qu'elle ne soit brillamment consacrée au terme 
de rocambolesques rebondissements.
J'ai voulu aussi conter cette histoire de manière plaisante, puisqu'il 
s’agit d'une belle histoire, celle d'hommes et de femmes, de citoyennes.

Entretien réalisé par Jean-François CHALOT

*L’histoire étonnante de la loi 1901 écrite par Jean-Claude BARDOUT est 
éditée par Juris.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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