[Infoligue] Polémique sur le RSA : de quoi parle-t-on ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 12 Mai 09:14:23 CEST 2011


 Polémique sur le RSA : de quoi parle-t-on ?

Auteur : Jean-Noël Escudié / PCA
Publié par : http://www.localtis.info/
Le :  10 mai 2011

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La polémique sur le RSA a peut-être le mérite de relancer le débat 
démocratique sur un sujet de société qui n'a aucune raison de faire 
l'objet d'un tabou. Mais, à force d'erreurs et d'approximations, elle ne 
contribue sûrement pas à éclaircir une question déjà passablement 
embrouillée. Quelques rappels ne semblent donc pas inutiles.

Premier point : existe-t-il un problème de cumul de minima sociaux ? Le 
débat engagé sur le supposé cumul des minima sociaux est en réalité un 
faux débat, dans la mesure où ces minima ne sont globalement pas 
cumulables, car ils sont tous soumis à une condition de ressources. Pour 
arriver à une situation - comme l'a évoquée Laurent Wauquiez - où des 
bénéficiaires de minima sociaux gagnent autant que des salariés payés au 
Smic (1.365 euros bruts et environ 1.073 euros nets au 1er janvier 
2011), il faut en effet partir d'un postulat pour le moins biaisé. D'un 
côté, un couple dont les deux membres bénéficient chacun d'un minimum 
social (par exemple l'AAH et le RSA). De l'autre, un couple dont seul 
l'un des deux membres serait salarié (au Smic). Autre hypothèse, tout 
aussi biaisée : d'un côté un couple sans revenu d'activité ni aide au 
logement et avec trois enfants (1.167,48 euros nets, sans compter les 
prestations familiales) et, de l'autre, une personne isolée ou un couple 
avec un seul Smic (1.073 euros nets). Conclusion : les seules 
comparaisons qui valent en la matière sont celles qui reposent sur un 
même postulat de départ.
Un problème de définitions

Deuxième point : qu'entend-t-on par minima sociaux ? En effet, il ne 
faut pas confondre minima sociaux et prestations sociales. Ainsi, il est 
possible - comme l'a évoqué le ministre des Affaires européennes (et 
ancien secrétaire d'Etat à l'Emploi) - qu'un couple au RSA percevant 
l'allocation logement puisse, dans certaines conditions, percevoir plus 
de 75% des revenus d'un couple avec un seul Smic. Mais l'allocation 
logement n'a rien d'un minimum social et le couple au Smic peut y 
prétendre tout autant que le couple bénéficiaire du RSA (sous réserve, 
dans les deux cas, des conditions relatives au logement). De même, les 
comparaisons entre des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux 
personnes âgées (Aspa, ex minimum vieillesse) avec une allocation 
logement au taux maximum, et des actifs au Smic n'ont pas beaucoup de 
sens, ni de portée pratique. Plafonner l'Aspa dans un tel cas de figure 
ne remettrait sûrement pas les retraités concernés sur le marché du 
travail...

Troisième point : de quels minima sociaux parle-t-on ? Il existe en 
effet onze minima sociaux. Mais personne ne s'intéresse vraiment à 
l'allocation veuvage (5.800 bénéficiaires) ou au RSO (12.800 
bénéficiaires), revenu de solidarité à ne pas confondre avec le RSA. 
L'enjeu porte essentiellement sur le RSA socle, l'allocation aux adultes 
handicapés (AAH), les allocations chômage relevant du régime de 
solidarité et les minima sociaux liés à la vieillesse. Or au moins deux 
prestations devraient être retirées du champ du débat sur les minima 
sociaux, car elles ne sont pas concernées par la question de 
l'incitation au retour à l'emploi. C'est bien sûr le cas des allocations 
liées à la vieillesse (Aspa et allocation supplémentaire vieillesse). 
Mais c'est aussi le cas, de l'AAH. Une partie importante des 
bénéficiaires de l'AAH - difficile à chiffrer - n'a pas de perspective 
réelle d'accès ou de retour à l'emploi. Plafonner l'AAH reviendrait donc 
à les priver, sans contrepartie possible, d'une partie de leur revenu de 
subsistance (sans même parler de la contradiction d'une telle mesure 
avec la revalorisation de l'AAH de 25% sur cinq ans décidée par le chef 
de l'Etat à sa prise de fonctions).

Augmentation ou explosion ?

Quatrième point : faut-il endiguer l'explosion du RSA ? Pour répondre à 
la question, il faudrait encore qu'il y ait une explosion. Sur ce point, 
on voit circuler allègrement deux erreurs manifestes. La première, la 
plus grossière, consiste à dire qu'en passant du RMI au RSA on est aussi 
passé d'un million d'allocataires en 2008 à 1,8 million en 2010. Ce 
calcul oublie en effet - ou feint d'oublier - que le RSA englobe en 
réalité deux prestations bien distinctes : le RSA socle - héritier 
direct du RMI et qui est donc l'un des minima sociaux - et le RSA 
activité, qui n'est pas un minimum social et est versé à des personnes 
non concernées par la question du retour à l'emploi, puisqu'il s'agit de 
travailleurs pauvres. Une autre erreur - plus largement répandue - 
consiste à comparer le million d'allocataires du RMI de 2008 aux 1,37 
million de bénéficiaires du RSA socle en 2010. C'est en effet oublier 
que le RSA socle a englobé environ 172.000 bénéficiaires de l'allocation 
de parent isolé (API), un autre minimum social aujourd'hui supprimé.
Il n'y a finalement que deux certitudes sur cette question. D'une part, 
il est vrai que le nombre de bénéficiaires du RSA socle a augmenté, même 
si sa progression connaît aujourd'hui une réelle décélération (voir nos 
articles ci-contre du 14 mars 2011 et du 13 décembre 2010). Dans l'une 
des dernières livraisons d'"Etudes et Résultats", la direction de la 
recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des 
ministères sociaux montre que le nombre des bénéficiaires de minima 
sociaux a progressé de 6,2% en 2009 et que cette progression s'explique 
essentiellement par l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA 
(avec le décalage habituel entre la survenue d'une crise économique et 
son impact sur le RMI, puis le RSA). Mais peut-on à la fois se féliciter 
de l'efficacité du système social français dans son rôle d'amortisseur 
de la crise et déplorer d'en lire la traduction dans la progression des 
minima sociaux ? La seconde certitude est que la décision de regrouper 
sous une même dénomination - le RSA - et avec des sous-titres 
incompréhensibles - socle et activité - deux prestations totalement 
différentes a été une grave erreur, qui n'a fait qu'ajouter de la confusion.

Cinquième point : tous les bénéficiaires du RSA sont-ils "employables" ? 
Si le débat sur les "trappes à chômage" et sur l'effet incitatif ou 
désincitatif du RSA sur le retour à l'emploi n'a rien de tabou, il ne 
faut pas, pour autant, se cacher certaines réalités. Tout travailleur 
social sait pertinemment qu'une part non négligeable des bénéficiaires 
du RMI, puis du RSA aujourd'hui, n'a aucune perspective sérieuse de 
retour à l'emploi, même à moyen terme. Il n'existe, bien sûr, aucun 
chiffre officiel sur la question, mais un consensus se dégage pour 
considérer que cette proportion se situe entre un quart et un tiers du 
total des allocataires. Il s'agit en l'occurrence, le plus souvent, de 
bénéficiaires âgés (en attente de basculer sur les dispositifs ou les 
minima sociaux liés à la vieillesse), de personnes présentant des 
pathologies lourdes (troubles mentaux, addictions chroniques...) ou de 
personnes totalement désocialisées (sans domicile fixe par exemple).

Faux débat et vrai problème

Sixième et dernier point : est-ce vraiment le bon débat ? C'est sans 
doute la vraie question qui mérite d'être posée. Plutôt que le thème des 
"trappes à chômage", déjà amplement débattu et auquel le RSA - avec 
l'amélioration du cumul entre la prestation et des revenus d'activité - 
a déjà largement répondu, deux autres voies mériteraient sans doute 
davantage d'être explorées. La première est celle des droits connexes. 
C'est sans doute là que se situe la vraie inégalité, toujours pas 
résolue malgré plusieurs travaux de réflexion (voir nos articles 
ci-contre). Le fait de bénéficier du RSA entraîne en effet un certain 
nombre d'"avantages" - terme à relativiser au regard de la situation des 
allocataires - : attribution d'office de la CMU complémentaire, tarifs 
spéciaux ou gratuité pour toute une série de services publics (cantines, 
crèches, installations sportives...), gratuité des transports dans un 
grand nombre de régions, exonérations fiscales... Or nombre de ces 
avantages disparaissent ou sont fortement réduits en cas de reprise d'un 
travail au Smic, sans même évoquer les frais supplémentaires engendrés 
par le retour à une activité salariée (garde des enfants, 
transports...). Face aux réactions hostiles à sa proposition de 
plafonnement, Laurent Wauquiez a d'ailleurs vite compris qu'il était 
urgent de déplacer le débat sur ce terrain. Lors d'une conférence de 
presse au Parlement européen, le 10 mai, le ministre a en effet affirmé 
qu'il n'avait "pas condamné le RSA seul". Il a aussitôt ajouté : "Ce qui 
est un problème, c'est quand on peut cumuler un certain nombre de minima 
sociaux et ce qu'on appelle des droits autour [sic] : exonération de 
cantines, de transport public, de redevance télé, d'un certain nombre 
d'impôts locaux". Il n'est pas sûr que la déclaration commune sur les 
droits connexes, signée par tous les acteurs institutionnels en juillet 
2009, soit à même d'apporter une solution opérationnelle (voir notre 
article ci-contre du 20 juillet 2009)...

Outre la question des droits connexes, il est un autre sujet qui 
mériterait un débat aujourd'hui largement occulté et qui concerne très 
directement les départements. Il s'agit en l'occurrence de l'efficacité 
des dispositifs et actions d'insertion qui accompagnent l'attribution du 
RSA. Si l'efficacité du RSA dans le gain apporté par le retour à 
l'emploi en termes de revenus semble démontrée (voir notre article 
ci-contre du 1er septembre 2010), il n'en va pas de même - et de loin - 
pour les dispositifs d'insertion. En ce domaine, l'impact du passage au 
RSA semble pour l'instant très limité, ce qui n'a rien d'étonnant dans 
la mesure où les différences en la matière entre le RMI et le RSA sont 
elles-mêmes très faibles. Si l'on y ajoute les difficultés de Pôle 
emploi lors de la création du RSA, la nécessité de prendre en charge un 
nombre plus élevé d'allocataires et un marché de l'emploi peu favorable, 
on comprend mieux pourquoi un dispositif plus propice au retour à 
l'emploi ne suffit pas - à lui seul - pour concrétiser cette bonne 
intention. Les résultats de la mission confiée par le chef de l'Etat, il 
y a un mois et demi, à Marc-Philippe Daubresse - ancien ministre de la 
Jeunesse et des Solidarités actives jusqu'en novembre dernier - sur le 
renforcement de ce volet insertion (voir notre article ci-contre du 1er 
avril 2011) sont donc attendus avec impatience...


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Polémique sur le RSA : qui dit quoi ?


Dans sa désormais célèbre déclaration du 8 mai 2011 sur BFM TV, Laurent 
Wauquiez visait deux éléments principaux : un plafonnement des minima 
sociaux à 75% du Smic et l'obligation de "cinq heures hebdomadaires de 
'service social'" pour les bénéficiaires du RSA. C'est peu dire que 
cette proposition a été fraîchement accueillie.

Les réactions hostiles des partis de gauche étaient attendues. Les 
syndicats et les associations ont également fait part de leur hostilité, 
voire de leur indignation. Du côté des départements, Claudy Lebreton, le 
président de l'ADF, a publié un communiqué dans lequel il "condamne 
l'utilisation de formules stigmatisantes au regard des enjeux sociaux 
soulevés et déplore la formule de 'cancer de la société française' 
employée par le ministre à propos de personnes qui subissent plus qu'ils 
ne choisissent le chômage". Sur le fond, il rejette les propositions 
avancées, en faisant valoir qu'elles n'apportent rien de plus au 
dispositif actuel.

Mais les réactions ne sont guère plus favorables dans la majorité. 
Roselyne Bachelot-Narquin, la ministre des Solidarités et de la Cohésion 
sociale, a sèchement réagi en indiquant que les propositions de son 
collègue "posent des difficultés de principe et de mise en oeuvre que je 
lui ai d'ailleurs signalées lors d'un entretien approfondi". 
Marc-Philippe Daubresse - qui est aussi secrétaire général adjoint de 
l'UMP - a également très peu apprécié l'évocation d'une proposition de 
loi alors qu'il n'a pas remis ses propres conclusions (voir supra). Il 
n'a d'ailleurs pas hésité à évoquer "l'irresponsabilité" du ministre des 
Affaires européennes.

De son côté, Martin Hirsch a dénoncé une proposition "ne tenant pas 
debout" et affirmé que "tous les coups ne sont pas permis face à la 
vulnérabilité des gens". Enfin, lors du petit-déjeuner de la majorité à 
l'Elysée, le Premier ministre n'a pas non plus caché qu'il n'appréciait 
ni la forme, ni le fond de cette initiative. De son côté, Xavier 
Bertrand, le ministre du Travail, a néanmoins considéré que le débat 
mérite d'être soulevé et qu'il convient "d'améliorer les choses". Seule 
la direction de l'UMP s'est montrée ouvertement favorable, envisageant 
d'inscrire la question à l'ordre du jour de la prochaine convention du 
parti sur la justice sociale, prévue le 8 juin.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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