[Infoligue] Hugues Sibille et Viviane Tchernonog > Turbulences sur les emplois

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 28 Oct 09:25:00 CEST 2011



Hugues Sibille et Viviane Tchernonog > Turbulences sur les emplois

Publié par : LEMONDE
Le : 26.10.11 | 17h17  

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Le monde associatif entre dans une zone de turbulences après des années 
de croissance et de zénith dans l'opinion publique.

La réussite associative repose sur un triptyque : un projet d'utilité 
sociale clair et actualisé ; une gouvernance rajeunie et efficace ; un 
modèle économique pérenne. Ce triptyque est chahuté. D'abord par la 
remise en cause du modèle économique, du fait d'un désengagement actuel 
et à venir des collectivités locales consécutif à la crise, qui s'ajoute 
au désengagement de l'Etat, plus ancien. Mais aussi par des 
interrogations sur ce que les citoyens et les pouvoirs publics attendent 
des associations. Enfin, la gestion des ressources humaines, salariées 
et bénévoles, constitue un fil rouge de ces turbulences.

Le nombre d'emplois salariés (1,8 million de personnes) compte 
incontestablement dans les statistiques de l'emploi et du chômage. Avec 
une progression constante de l'ordre de 2 % par an depuis dix ans, il 
prouve le poids du secteur associatif et sa forte dynamique, contrastant 
avec l'emploi privé. Les pouvoirs publics ne peuvent pas être 
insensibles à ces chiffres qui, s'ils sont exacts sur le fond, méritent 
d'être regardés de plus près.

Ainsi faut-il se garder de conclure, sur la seule base du nombre de 
salariés, que l'emploi associatif - comme on l'entend couramment - 
représenterait 10 % de l'emploi salarié privé. Pourquoi ? Parce qu'un 
bulletin de paye ne dit pas tout. On compte d'abord quantité de temps 
partiels dans les associations, et 40 % à 45 % des emplois associatifs 
sont des emplois de type CDD ou de formes particulières de contrats. Ce 
qui se comprend, beaucoup de petites associations ayant des activités 
occasionnelles ou saisonnières. D'autres, nombreuses, ont ou se donnent 
une mission d'insertion, avec des contrats aidés, souvent temporaires et 
à temps partiel ; c'est d'ailleurs là une forte capacité du secteur à 
développer l'insertion et l'employabilité des personnes en difficulté.

Enfin certains "emplois" associatifs sont en réalité des activités 
annexes d'un emploi principal dans le privé ou le public. Au final, 
l'emploi associatif représente aujourd'hui en France près de 7 % du 
volume de l'emploi salarié privé et 5 % de l'emploi salarié total, 
public et privé, ce qui est considérable.

Si le niveau de l'emploi a augmenté dans la durée, il faut relativiser 
cette évolution en 2009 et 2010 - en pleine crise : les difficultés de 
financement se sont traduites par une augmentation des emplois de très 
courte durée, ce qui a sans doute masqué une première détérioration de 
l'emploi. Ces mises au point renvoient à une spécificité, répétées à 
juste titre par les associations : leur finalité n'est pas l'emploi, 
mais leur projet. L'emploi salarié n'est qu'un moyen, à côté du 
bénévolat, essentiel, pour conduire ce projet. La spécificité, c'est 
aussi l'hétérogénéité entre les associations sans salarié (plus d'un 
million), les TPA (très petites associations) et les gros employeurs du 
secteur, en particulier médico-social.

La spécificité de l'emploi associatif, c'est encore un niveau plus élevé 
de formation et de qualification : 35 % des salariés ont un diplôme 
supérieur à bac +2. Cela traduit, surtout chez des jeunes, une 
aspiration à un emploi plus riche de sens et d'utilité que celui proposé 
dans le secteur marchand. On est même prêt pour cela à admettre une 
décote de la rémunération - raisonnable.

Cette spécificité est, de fait, entrée en turbulence. D'abord, les 
associations ont perdu des emplois depuis fin 2010 - certes peu -, ce 
qui traduit une rupture majeure. Il y a du souci à se faire. De 
nombreuses enquêtes (Avise, CPCA, Fonda) indiquent la crainte croissante 
d'une détérioration de la qualité de l'emploi chez les acteurs associatifs.

L'ère nouvelle de turbulences révèle trois enjeux :

1. La rupture du modèle économique. Les financements publics, même s'ils 
représentent désormais moins de la moitié du total des 70 milliards du 
budget associatif français, sont essentiels en termes d'effet de levier. 
En valorisant le travail bénévole, un euro public donne au final 3 euros 
de ressources associatives.

Or, la baisse des financements de l'Etat (de 15 % à 10 % du budget 
associatif en quelques années) s'est accélérée depuis 2009. Plus grave, 
elle s'accompagne désormais d'un recul des collectivités locales. Des 
enquêtes en cours montrent un recul des conseils généraux de l'ordre de 
3 % en moyenne entre 2009 et 2010. Comment, dans ce contexte, inventer 
de nouveaux modèles économiques ?

2. La doctrine et la stratégie des pouvoirs publics. Que veulent, in 
fine, les pouvoirs publics ? Transférer une partie des services 
d'intérêt général vers le secteur associatif, en recourant de plus en 
plus à une mise en concurrence ? S'il s'agit d'une externalisation de 
baisse de coûts, il y a à craindre non seulement pour la qualité de 
l'emploi associatif, mais pour la qualité des services rendus ! Le 
secteur des services aux personnes en est la preuve actuelle. Les 
pouvoirs publics veulent-ils enrichir en emplois la faible croissance en 
répondant par l'économie sociale et solidaire à des besoins insatisfaits 
? Les approches budgétaires doivent traduire des choix politiques. Non, 
l'inverse.

3. Le passage à une gestion des ressources humaines par le secteur 
associatif lui-même. Pas (seulement) par la gestion de la masse 
salariale. Par une meilleure articulation entre bénévolat et salariat. 
Par une capacité à attirer et à conserver des compétences 
indispensables, voire vitales pour les associations exposées à la 
concurrence. Aujourd'hui, pour disposer de ces compétences, le secteur 
associatif investit dans la formation et la qualification de salariés 
qui migrent ensuite vers les secteurs privé ou public. Où est le retour 
sur investissement ?

C'est d'abord une mutation culturelle et politique du secteur qui est à 
conduire. Elle implique un fort renouvellement des gouvernances, un 
rajeunissement des conseils d'administration et des présidences, une 
élévation du niveau des directions générales. Elle passe par de nouveaux 
outils de management (recrutement, gestion prévisionnelle des emplois et 
des compétences, rémunération et intéressement...) et par des 
rapprochements associatifs.

Face à ces turbulences, les responsabilités sont partagées. Pour 
améliorer la connaissance de l'emploi, il faut investir dans des outils 
de prévision et d'analyse. Il faut renforcer l'intelligence économique 
associative. C'est justifié pour un secteur qui compte un tel volume 
d'emploi. Pour faire vivre la concertation entre les pouvoirs publics et 
les employeurs associatifs, il est nécessaire que les syndicats 
d'employeurs associatifs soient mieux reconnus et siègent dans les 
commissions mixtes.

Pour renouveler les gouvernances, consolider les modèles économiques, 
moderniser la gestion des ressources humaines, il est indispensable que 
les associations et leurs fédérations soient accompagnées. Les 
dispositifs locaux d'accompagnement (DLA), créés en 2002, doivent être 
confortés dans leur rôle, appuyés par les collectivités locales, 
soutenus par des entreprises privées et mécènes.

Que seront les associations en 2020 ? Il s'agit moins de prospective que 
de pages à écrire. Les citoyens doivent en tenir la plume. Ce que sera 
la société française en 2020 dépend pour partie du devenir de ces 
cellules de base du corps social que sont les associations.

Hugues Sibille est vice-président du Crédit coopératif, président de 
l'Avise.

Viviane Tchernonog est chercheuse au CNRS, Centre d'économie de la Sorbonne.


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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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