[Infoligue] Valérie Becquet : « Le volontariat est un régulateur de parcours, pas une réponse globale aux difficultés des jeunes »
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 9 Jan 09:09:16 CET 2012
Valérie Becquet : « Le volontariat est un régulateur de parcours, pas
une réponse globale aux difficultés des jeunes »
Publié par : http://www.injep.fr
Le : 05/01/12
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À l’occasion de la publication du dernier numéro des Cahiers de l’action
« L’expérience du service civil volontaire à Unis-Cité : quels
enseignements pour le service civique ? », la sociologue Valérie Becquet
revient sur les idées fortes de cet ouvrage dédié à l’expérience du
service civil volontaire à Unis-Cité. Interview.
Valérie » Becquet est maître des conférences en sociologie à
l’université de Cergy-Pontoise, laboratoire, École, Mutations,
Apprentissages. En collaboration avec l’association Unis-Cité, elle a
mené une recherche de quatre ans sur le volontariat, les jeunes et les
organismes d’accueil impliqués dans ce dispositif. Dans la dernière
édition des « Cahiers de l’action », collection éditée par l’INJEP,
Valérie Becquet revient sur des interrogations fondamentales : les
profils des volontaires, les missions et les relations avec les équipes
en place, les apprentissages sociaux et professionnels…
Au croisement des différents axes des politiques éducatives, le service
civil, ou civique, estime-t-elle ne saurait être « “la fée du logis” des
parcours juvéniles ». S’il constitue une opportunité pour les jeunes
d’entériner un parcours ou de définir un projet professionnel, il ne
peut se substituer « à une action des pouvoirs publics sur les
mécanismes d’insertion sociale ou professionnelle des jeunes ou sur la
discrimination à l’embauche.
Cet ouvrage semble être la partie immergée de l’iceberg puisque vous
avez mené une recherche de quatre ans sur le service civil. Quels ont
été vos partis pris éditoriaux ?
Avant même ma collaboration avec Unis-Cité, j’avais participé en 2004,
avec le CCSC-Volontariats (Comité de Coordination pour le Service
Civil-Volontariats - NDLR) et l’Association of Voluntary Service
Organisations (AVSO), à une comparaison européenne des différents types
de volontariat et de service civil. Le partenariat avec Unis-Cité a
débuté par une enquête quantitative afin de connaître le profil des
volontaires. Il a pris ensuite la forme d’une collaboration plus étoffée
dans le cadre d’un programme de recherche de trois ans financé par le
Conseil régional d’Île-de-France reposant sur un partenariat entre
chercheurs et association (Partenariats institutions-citoyens pour la
recherche et l’innovation - PICRI). Unis-Cité a joué le jeu de cette
collaboration. L’idée selon laquelle la production de connaissances doit
autant bénéficier à la société civile qu’aux chercheurs est au cœur du
projet éditorial des "Cahiers de l’action". Dès lors, s’est imposée
l’idée de publier une sélection de résultats des différentes enquêtes
réalisées en privilégiant ceux qui font écho aux préoccupations des
acteurs des politiques publiques de jeunesse. Quels sont les apports du
volontariat pour les jeunes, comme pour les structures ? Comment ça se
passe concrètement sur le terrain ? Toutes les données recueillies
depuis 2006, qu’elles concernent les volontaires, les associations et
les collectivités territoriales, ne sont pas utilisées dans cet ouvrage.
D’autres publications suivront car de nombreuses questions restent en
suspens.
Vous écrivez que le service civil « ne peut être qu’un régulateur de
parcours », qu’entendez-vous par là ?
Effectivement, c’est un des résultats des enquêtes réalisées. Le service
civil, ou civique, puisqu’il a changé de nom, n’est pas la « fée du
logis » des parcours juvéniles. Comme je l’ai indiqué dans la conclusion
de l’ouvrage, il constitue une opportunité pour les jeunes mais il ne
résout pas à lui seul tous les problèmes que rencontrent les jeunes pour
se former ou accéder à un emploi. Il est avant tout une occasion de
définir un parcours professionnel, d’entériner un projet ou d’en
changer. Le volontariat est une période courte qui permet de prendre une
direction, mais cela ne veut pas dire qu’on trouvera systématiquement
une formation ou un emploi derrière. Il ne peut pas se substituer à une
action des pouvoirs publics sur les mécanismes d’insertion sociale ou
professionnelle des jeunes ou sur la discrimination à l’embauche par
exemple. Le service civil, ou service civique en France, ne résout pas à
lui tout seul, les questions de qualification, d’insertion, de
discrimination ou d’ « empowerment ». Faire croire cela est une fausse
promesse.
Ensuite, les enquêtes réalisées montrent qu’il est nécessaire d’être
particulièrement vigilant au niveau de la mise en œuvre du service
civil. Tout d’abord, se pose la question de l’accès. Je pense qu’à
défaut d’une attention forte des pouvoirs publics sur le recrutement,
sur l’accompagnement, sur les missions et sans une sensibilisation des
structures, les objectifs de mixité sociale du service civil resteront
dans le domaine du vœu pieux. Des organismes structurent leur offre de
telle façon que s’opère une sélection sur des compétences techniques et
sociales qui écartent de facto les jeunes en difficulté, ceux que les
pouvoirs publics européens désignent sous le terme de JAMO (Jeunes avec
moins d’opportunité - NDLR). Dès lors, pour y palier, certaines
structures se spécialisent sur l’accueil de ces jeunes, ce qui a parfois
pour résultat d’obtenir l’effet inverse de l’objectif affiché. Une
approche différenciée selon la catégorie sociale ou la situation sociale
du jeune introduit une ségrégation à l’envers. Au final, les mieux lotis
restent entre eux et les moins bien lotis aussi. Donc, de mon point de
vue, il faut essayer d’éviter que les associations se spécialisent dans
les différents publics de volontaires et intègrent des projets qui
mélangent vraiment les catégories sociales. Certes, c’est plus difficile
au quotidien mais c’est un des objectifs de ce dispositif. Globalement,
Unis-Cité y parvient mais c’est une attention de tous les jours. Les
salariés sont très mobilisés autour de cet objectif. Enfin, sans un
cadrage des pouvoirs publics, dans une période qui voit, du côté des
recruteurs, les subsides publics aux associations baisser de façon très
forte, les ressources des collectivités diminuer, et, du côté des
jeunes, de plus en plus de nouveaux diplômés exclus du marchés du
travail, il y a un réel risque d’effet d’aubaine, de glissement vers de
la substitution à l’emploi.
Vous affirmez que la qualité d’un service civil repose sur cinq
conditions ou cinq critères : la nature des missions, les compétences
demandées, la coopération avec les salariés et bénévoles,
l’accompagnement par un tuteur et le travail en équipe…
C’est vrai. Les résultats de l’enquête sur les volontaires montrent que
le jugement des jeunes sur leur période de volontariat est très
étroitement lié à ces critères. Nous avons complété ces résultats par
d’autres enquêtes, portant sur les structures d’accueil des volontaires
d’Unis-Cité. Les résultats montrent que leur évaluation de la qualité de
l’expérience recoupe celle des jeunes. Cet ouvrage étant tourné vers les
acteurs de terrain, il nous a donc semblé important de pointer ces
éléments. Ce sont des balises pour les acteurs, des points de vigilance.
S’ils ne sont pas pris en compte, mûrement réfléchis, les effets sur le
déroulement du service sont sans ambiguïté : ni le jeune, ni l’organisme
d’accueil, ni les équipes ne sont satisfaits. Le service civique est un
outil intéressant mais il faut que les pouvoirs publics et les
associations aient conscience que si l’esprit du service est dévoyé et
sa mise en œuvre peu organisée, il faudra gérer les effets d’une
déception massive chez les jeunes.
À quoi faites-vous allusion ? Au débat sur le service civil obligatoire ?
Pas seulement. Le débat sur un service civil obligatoire était au cœur
de la campagne de 2007 et il resurgit aujourd’hui avec les nouvelles
échéances électorales. En tant que sociologue, au regard des
connaissances sur les jeunes et le service civil, je dirai que l’idée
d’un service obligatoire est mauvaise. Elle ne correspond absolument pas
aux besoins des jeunes et leur adresse un message très ambigu. Et puis
c’est oublier tout ce qui est s’en passé autour du service national
obligatoire : la diminution de son acceptabilité par les jeunes dès les
années 1960, les discriminations dans l’accès aux différents corps de
l’armée, les missions civiles profitant aux plus diplômés, etc. Des
réactions de rejet ne manqueront pas de se produire si on propose, j’ai
envie de dire une fois de plus, aux jeunes une insertion au rabais sous
couvert de l’intérêt général. Au-delà de ce débat sur l’obligation,
c’est la question de la place du service civil, ou civique, dans le
paysage des politiques éducatives et de jeunesse qu’il faut questionner.
On est ici au croisement de logiques éducatives, d’insertion, de
professionnalisation, d’engagement. Cette position de pivot entre ces
différentes voies d’accès à une autonomie est à la fois la force et la
faiblesse de ce dispositif. Sa force est qu’au-delà des discours de
principe des politiques, les jeunes parviennent à se le réapproprier et
en font, peut-être à défaut d’autres solutions, un outil de régulation
de leurs parcours. Sa faiblesse serait d’en faire un dispositif
fourre-tout, un guichet unique qui répondrait à l’ensemble des enjeux
des politiques de jeunesse, de l’insertion à la citoyenneté, en passant
par la formation et l’emploi.
Dossier "Volontariats et services civiques"
Cet article constitue une partie du dossier "Volontariats et services
civiques". Il fait le point sur les travaux de l’INJEP et de ses
partenaires sur la question du volontariat et des différentes formes de
service civil
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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