[Infoligue] "Vivre Ensemble" - 3 articles dans le cadre d'un colloque organisé par le CESE

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 6 Déc 09:53:05 CET 2013


Repenser notre modèle de société

Publié par : LE MONDE
Le : 03.12.2013
Par : Jean-Paul Delevoye

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Troisième assemblée de la République, le Conseil économique, social et 
environnemental (CESE) joue un rôle de plus en plus important au sein 
d'une société déboussolée, d'un univers politique discrédité. Le général 
de Gaulle l'avait consolidé, favorisant l'émergence de la parole des 
forces vives de la nation pour mieux canaliser les petits calculs 
politiciens. Le président Sarkozy l'a fait évoluer, en y introduisant 
des représentants du monde étudiant et de la jeunesse, des 
environnementalistes, et en imposant la parité hommes-femmes. Le 
président Hollande l'a conforté dans sa mission d'assemblée du temps 
long et du dialogue en organisant, dès 2012, au palais d'Iéna, les 
conférences sociales et environnementales, mais aussi celle sur lutte 
contre l'exclusion et la pauvreté.

La vocation du CESE est d'émettre des avis sur autosaisine, sur saisine 
gouvernementale, parlementaire ou par voie de pétition citoyenne. 
Réunissant les grandes composantes de la société française à travers des 
organisations représentatives, il formule des recommandations, destinées 
aux pouvoirs publics. Il contribue ainsi à l'évolution de la conscience 
sociale et à l'édifice juridique de notre pays.

Nous avons le besoin urgent d'une vision, d'un projet commun, dans 
lequel chacun peut se sentir concerné, responsable et acteur. C'est que 
nous ne sommes pas en crise, mais en métamorphose. Il nous faut donc 
repenser notre modèle de société, dont nous sentons qu'il atteint des 
limites : jusqu'où accepter le développement des inégalités ? Quels sont 
les outils de socialisation, la place du travail ? Quel équilibre 
trouver pour les transferts intergénérationnels ? Quel est l'impact du 
vieillissement sur les évolutions économiques et sociales de notre pays 
et de l'Europe ? Comment permettre une meilleure intégration de ceux qui 
sont exclus, quelles qu'en soient les raisons ?

L'AVENIR DE LA FRANCE

Dans une société qui éprouve des difficultés à débattre sereinement et à 
anticiper les évolutions en cours, le CESE peut aborder les sujets qui 
engagent l'avenir de la France. Il a ainsi produit tout récemment des 
avis sur le fait religieux dans l'entreprise, la transition énergétique, 
la compétitivité ou encore l'emploi des jeunes. Il n'entend pas 
seulement observer ou constater, mais participer activement au rebond 
d'un pays qui fourmille de talents, d'énergie, d'ambition 
entrepreneuriale, mais qui est miné, pour l'instant, par le pessimisme. 
C'est la raison pour laquelle il croit sans réserve à la nécessité de la 
prise de parole, à l'existence de lieux où débattre, aux espaces de 
dialogues.

Les Forums du vivre-ensemble, lancés en 2011, permettent de réunir des 
entrepreneurs, des décideurs, des syndicalistes, des intellectuels, des 
chercheurs, des élèves et des étudiants, des responsables d'ONG, et, 
bien entendu, de nombreux conseillers du CESE. Ces personnalités 
débattent librement, dans une enceinte neutre politiquement, des 
questions qui traversent la société française d'aujourd'hui et qui 
dessinent celle de demain. Ils répondent à l'ambition d'analyser, pour 
mieux les prévenir, les risques de rupture au sein de la société 
française. Certes, les médias ont leur rôle à jouer, notamment pour 
clarifier les enjeux, mais il n'est pas fréquent d'entendre les 
citoyens, leurs associations, les corps intermédiaires. Espace 
d'échanges et d'élaboration de consensus, le CESE est un endroit 
privilégié pour qu'ils y prennent la parole, et pour qu'on les écoute.

Jean-Paul Delevoye est président du Conseil économique, social et 
environnemental

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Philippe Descola : « Les formes non marchandes d'économie doivent 
nourrir notre réflexion »

Publié par : LE MONDE
Le : 03.12.2013
Propos recueillis par Roger-Pol Droit

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Que peut nous apprendre un anthropologue de la richesse et de la 
pauvreté ? Ces notions sont-elles universelles ? Les réalités qu'elles 
désignent affectent-elles le vivre-ensemble de la même manière dans 
toutes les sociétés humaines ?

Pour recueillir des éléments de réponse, nous avons rencontré Philippe 
Descola, titulaire de la chaire d'anthropologie de la nature au Collège 
de France. Ses recherches de terrain portent sur les Jivaros Achuar 
d'Amazonie équatorienne, et il a notamment publié Par-delà nature et 
culture (Gallimard, 2005), où il interroge cette division classique, en 
montrant qu'il s'agit d'une invention de la pensée occidentale, et en 
cherchant comment la dépasser.

On croit généralement que riches et pauvres sont des conditions partout 
présentes. Est-ce vrai ?

Non, ce n'est pas vrai du tout ! Et pour une raison simple, mais qui a 
des conséquences importantes : ce qu'on nomme richesse n'a ni le même 
sens ni le même contenu selon qu'on parle de biens marchands ou non 
marchands. Dans notre système économique et social, ce sont les biens de 
subsistance et le capital productif qui constituent le modèle des 
richesses marchandes. En revanche, dans d'autres cultures, il existe, à 
côté des biens de subsistance, ce qu'on appelle des biens de prestige.

Comment se distinguent ces deux sortes de biens ?

Nourriture, vêtements, maison, tout ce qui est utile à la vie 
quotidienne constitue les biens de subsistance. Les biens de prestige, 
eux, servent à marquer la position sociale. Ils font l'objet de 
stratégies d'accumulation et compétitions parfois fort vives, mais ils 
circulent le plus souvent dans des circuits distincts de celui des biens 
de subsistance.

Ce principe général a jadis été mis en évidence, pour les cultures de la 
côte nord-ouest du Pacifique, par l'anthropologue américaine Cora 
DuBois. Peu importe que ces biens de prestige soient des parures, des 
plaques de cuivre, des coquillages ou même des cochons, comme en 
Nouvelle-Guinée, l'important est qu'ils ne sont pas échangeables avec 
des biens de subsistance. Ces biens de prestige peuvent être largement 
distribués, de manière somptuaire, et cette prodigalité sert à marquer 
l'autorité et le statut de celui qui la pratique.

En quoi cela diffère-t-il de la richesse et de la pauvreté économiques, 
telles que nos sociétés les connaissent ?

Celui qui est dépourvu de biens de prestige est considéré comme un moins 
que rien, mais sa vie quotidienne est pratiquement semblable à celle de 
tout le monde, notamment de ceux qui détiennent le pouvoir. Nous avons 
du mal à imaginer cette situation. Pourtant, dans ces cultures, si le 
désir de distinction, de hiérarchie, de compétition sociale est d'une 
violence extrême, il n'aboutit jamais à ce que des gens se trouvent 
réduits à mourir de faim.

L'accumulation de biens de subsistance entre les mains de quelques-uns 
paraît inimaginable, contraire au flux de la vie, tout simplement. On se 
trouve donc face à des systèmes où l'on est très attentifs aux 
prérogatives, aux privilèges, aux positions mais où l'idée que des gens 
meurent de faim du fait de cette compétition est considérée comme une 
abomination.

Dans quelle mesure pourrait-on en tirer un enseignement applicable à nos 
sociétés ?

Je suis convaincu que les leçons historiques ou ethnographiques ne sont 
pas directement transposables à notre présent, puisqu'elles 
correspondent à des circonstances particulières et ne fonctionnent pas 
dans d'autres contextes. Cela n'empêche pas de réfléchir au fait que le 
présent mode de fonctionnement économique fondé sur le contrôle du 
capital productif par de petits groupes de détenteurs n'est évidemment 
pas le seul modèle disponible.

En ce sens, la réflexion sur le destin de notre système économique passe 
aussi par une meilleure connaissance des formes non marchandes 
d'économie, qui peuvent permettre d'imaginer d'autres systèmes 
possibles. D'ailleurs, des économistes comme Schumpeter et des 
historiens comme Polanyi en avaient bien conscience. Marx a aussi 
travaillé sur les formes de production précapitalistes pour tenter de 
comprendre comment elles s'étaient délitées, transformées 
progressivement pour aboutir au capitalisme.

Concrètement, et à très court terme, on devrait faire prendre conscience 
de ces évidences dans l'enseignement de l'économie dans le secondaire. 
Il est fondamental que l'on puisse enseigner une économie autrement que 
comme une sorte de naturalisation des systèmes productifs propres au 
capitalisme, ce qui est encore trop souvent le cas, malheureusement. Il 
existe une multitude de systèmes économiques. Ne pas faire l'impasse sur 
ces formes d'échange, de production et de consommation est important 
pour imaginer autre chose, et ne plus avoir le sentiment que le système 
dans lequel nous sommes est inéluctable.

     Roger-Pol Droit (propos recueillis par)
     Journaliste au Monde

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Quand les tensions s'accroissent

Publié par : LE MONDE
Le : 03.12.2013
Par : Roger-Pol Droit

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Les uns mangent, les autres non. Variante : les uns se nourrissent bio, 
se montrent sveltes et en bonne santé, les autres se contentent de 
surgelés trompeurs, trop gras, trop sucrés, deviennent obèses et 
diabétiques.

Voilà qui est évidemment très schématique. Mais cet exemple simple, 
parmi cent autres possibles, renvoie à une réalité massive : les 
différences de revenus affectent profondément toutes les dimensions de 
l'existence. Logement, vêtements, équipement, loisirs, transports ne 
sont pas les mêmes, selon que vous êtes riche ou pauvre. Divergent aussi 
l'espérance de vie, les dépenses médicales, la qualité de l'éducation. 
Sans oublier les regards et la considération, qui diffèrent insidieusement.

On n'est jamais vu de la même manière, et on ne voit pas le monde de 
façon identique, en fonction de sa richesse ou de sa pauvreté. L'une et 
l'autre façonnent aussi les relations avec les autres comme avec le 
monde. Chacun sait tout cela. Mais chacun l'oublie -- pour éviter, le 
plus souvent, d'en tirer les conséquences.

Mais quelles conséquences, au juste ? Pour commencer à répondre, il faut 
d'abord préciser sur quel registre se situera l'analyse. Parle-t-on de 
l'ordre mondial, des inégalités entre les pays développés et les autres, 
et des moyens de les réduire ? Ou seulement de la France, des salaires, 
de l'emploi, des prestations sociales ? Chaque fois, il s'agit bien du 
vivre-ensemble. Mais celui des habitants de la Terre en général et celui 
des citoyens de la République en particulier demeurent en partie 
distincts, bien qu'ils soient reliés et interdépendants.

PARADOXE

C'est pourquoi ce 3e Forum du vivre-ensemble, organisé par le Conseil 
économique, social et environnemental (CESE), en partenariat avec Le 
Monde, le 5 décembre, veut approcher richesse et pauvreté, aussi bien 
dans le monde globalisé où désormais nous vivons tous, que dans la crise 
aiguë que traverse la société française.

Un des paradoxes du moment présent tient au fait que les tensions 
montent en France, alors qu'elles semblent diminuer dans le monde. A 
l'échelle de la planète, la pauvreté recule, les inégalités économiques 
entre les régions du monde se réduisent. Personne ne dira qu'elles 
disparaissent, mais la puissante expansion des pays émergents les fait 
reculer, comme le souligne Esther Duflo. Au contraire, l'Hexagone, en 
dépit de multiples atouts, voit sa croissance décliner, ses inégalités 
s'accroître, la pauvreté gagner du terrain, la précarité s'étendre. Du 
coup, l'avenir paraît aux Français de plus en plus sombre. A cet égard, 
le sondage Ipsos réalisé spécialement pour Accenture et le CESE à 
l'occasion de ce forum est frappant : 55 % des personnes interrogées 
pensent pouvoir basculer un jour dans la pauvreté, pourcentage qui 
grimpe à 61 % chez les 35-59 ans, à 67 % chez les employés, à 73 % chez 
les ouvriers !

On ne s'étonnera pas, dans ce contexte, de voir les tensions de toutes 
sortes s'intensifier en France, et le vivre-ensemble, à son tour, y 
entrer en crise. Réfléchir sur le vivre-ensemble aujourd'hui et sur les 
horizons à réinventer suppose d'abord de savoir mettre en lumière ce qui 
nous oppose. Au lieu d'esquiver, au lieu de taire les antagonismes et 
les conflits, il convient de laisser s'exprimer clairement les 
contradictions et les discordes. C'est pourquoi, dans cette série de 
forums, il a été choisi de toujours aborder le vivre-ensemble comme une 
réalité travaillée de tensions : entre confiance et défiance en 2011, 
entre temps court et temps long en 2012, entre richesse et pauvreté 
cette année, en attendant d'autres thèmes majeurs.

ENTRELACER LES PAROLES

Pour aborder ces aspects conflictuels, pour proposer des solutions 
concrètes, il est indispensable de faire dialoguer experts et citoyens, 
lycéens ou étudiants et professionnels chevronnés. Le pari de ce forum 
consiste donc aussi à entrelacer les paroles d'un anthropologue comme 
Philippe Descola, d'un économiste de renommée mondiale, Amartya Sen, 
Prix Nobel, de philosophes (Catherine Clément, Alain Renaut, Cynthia 
Fleury) avec ce que des lycéens de Montreuil ou de Lyon veulent exprimer 
de leur richesse personnelle et de l'avenir qu'ils vont construire. 
Cette expérience de dialogue entre générations et compétences diverses, 
à laquelle participent également nombre de conseillers du CESE, n'ignore 
pas ses limites : on ne pourra, en un jour, aborder toutes les questions 
vives. Mais ce forum a valeur d'exemple et, conformément à la vocation 
du CESE, il peut ouvrir la voie à d'autres débats et réflexions.

Car il n'est pas vrai que tout ait déjà été dit. On peut sans doute 
éprouver le sentiment, surtout en ce qui concerne richesse et pauvreté, 
que toutes les réponses ont été formulées -- religieuses, 
révolutionnaires ou réformistes --, que toutes les tentatives ont été 
mises en oeuvre -- de la charité à la coopération internationale, du 
collectivisme à l'action humanitaire. Ce serait une erreur de s'en tenir 
à ces constats.

Il y a du nouveau sous le soleil. Le monde mute, et beaucoup reste à 
inventer. C'est pourquoi il convient aussi de se souvenir que les 
notions de richesse et de pauvreté ont une palette de sens bien plus 
vaste que purement économique et financier. On peut être riche ou pauvre 
d'émotions, de sentiments, de dons personnels, de qualités humaines, de 
capacités créatrices. Et les partager, ou les échanger, avec les autres. 
A l'évidence, cela concerne aussi, directement, le vivre-ensemble.

Renseignements et inscriptions : Levivreensemble.fr

     Roger-Pol Droit
     Journaliste au Monde

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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