[Infoligue] La société civile en état d’urgence

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 1 Déc 09:22:37 CET 2015


La société civile en état d’urgence

Publié par : http://www.fonda.asso.fr/La-societe-civile-en-etat-d-1392.html
Le : 24 novembre 2015

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La Fonda souhaite exprimer sa solidarité avec toutes les victimes des 
récents attentats. Pour aller plus loin son président propose des 
éclairages pour mettre la société civile en mouvement.

Yannick BLANC, président de la Fonda – Fabrique associative

Que nous arrive-t-il ?

Nous sommes en guerre : un ennemi qui s’est lui-même désigné comme tel 
s’attaque à notre existence même, à ce que nous sommes ; nous ne pouvons 
nous défendre qu’en neutralisant cet ennemi. Je ne sais si cette 
définition satisfait les historiens ou les juristes, mais elle s’impose 
comme horizon de notre action collective.

Nous sommes en état d’urgence. J’entends les alarmes des militants des 
droits de l’homme, je comprends leur appel à la vigilance, mais je ne 
crois pas que l’état d’urgence menace nos libertés fondamentales. En 
suspendant certaines garanties de procédure, il donne à l’État la 
capacité d’agir sans délai contre l’ennemi, ses réseaux, ses relais, ses 
agents d’influence. Il n’affaiblit pas l’État de droit : l’action est 
placée sous le regard permanent et avec la collaboration active de 
l’autorité judiciaire qui exerce l’intégralité de son pouvoir dès qu’une 
infraction est constatée ; elle est soumise sans restriction au contrôle 
du juge administratif. Le droit ne disparaît pas mais il laisse 
provisoirement passer l’urgence de l’impératif stratégique.

Qui sont nos ennemis ? Les prédateurs fanatiques d’un désert rendu 
chaotique par la multiplicité des affrontements, et ceux qui les 
soutiennent, qui ne brandissent la bannière de l’islam que pour assouvir 
leur pulsion de mort. Ils recrutent chez nous, parmi nous, des citoyens 
qu’ils ont transformés en assassins, en zombies pour qui la vie, ni la 
nôtre, ni la leur, n’a plus aucune valeur. Mais ces jeunes hommes et ces 
jeunes femmes sont nés et ont grandi parmi nous et pour cela notre 
malaise est profond : qu’avons-nous fait pour qu’ils s’estiment à ce 
point abandonnés, étrangers à leur propre pays, indifférents à leurs 
semblables ?

Que peut-il advenir ?

Le monde d’incertitudes et d’innombrables possibles dans lequel nous 
vivions déjà vient de franchir un cran supplémentaire de menace et de 
complexité. Face à la transition écologique, à l’avènement de l’âge 
numérique, aux ruptures économiques, au déclin des institutions, nous 
cherchons en tâtonnant les nouveaux leviers de notre pouvoir d’agir. Il 
y a tant de choses qui changent en même temps, de notre vision de la 
planète à notre intimité numérique, que nous ne savons plus ce qu’il 
faut craindre ni ce que nous pouvons espérer. Cette guerre, si étrangère 
et si proche en même temps, risque de nous enfermer dans un univers 
sécuritaire, hypercontrôlé, gouverné par la méfiance et taraudé par la 
peur. Pendant que l’État combat impitoyablement notre ennemi, il faut 
recoudre le tissu de la société pour que d’autres enfants ne soient pas 
aspirés par le néant. Nous ne pouvons plus attendre que l’avenir 
s’éclaircisse pour agir, c’est toute la société civile qu’il faut mettre 
en état d’urgence.

Que pouvons-nous faire ?

Il nous faut trouver un chemin plus rapide vers une action collective 
plus intense. Dans les guerres d’autrefois, c’est la jeunesse que l’on 
mettait en rangs pour l’envoyer au front. Aujourd’hui, c’est elle 
l’enjeu, le but de guerre. Au fil des années, les politiques pour la 
jeunesse se sont multipliées dans l’éducation, le sport, la culture, la 
formation professionnelle, l’emploi… Mais pour les jeunes eux-mêmes, 
elles forment un labyrinthe obscur de dispositifs, de guichets et de 
jargons. Pour remédier au sentiment d’impuissance collective qui nous 
saisit devant la montée du décrochage scolaire, de l’échec à 
l’université, du chômage, de l’économie parallèle et de la 
radicalisation, il faut transformer cette accumulation de moyens et de 
compétences en capacité d’agir pour les jeunes et pour ceux qui les 
accompagnent. Il faut que l’ensemble des professionnels, des bénévoles, 
des militants qui sont déjà engagés et actifs sur cette ligne de front 
puissent s’organiser pour livrer la bataille d’aujourd’hui et non celles 
d’hier.

Nous pouvons faire beaucoup mieux avec les moyens que nous avons déjà à 
condition d’en faire des ressources pour l’intelligence collective.

Qu’allons-nous faire ?

Nous pouvons créer, partout où il y aura des volontaires pour le faire, 
des communautés d’action en s’appuyant sur la méthode de l’impact 
collectif (1).

Une communauté d’action est un groupe de dirigeants et de responsables 
issus des trois secteurs (entreprise, secteur public, ESS) qui mettent 
en commun leurs ressources et leur capacité d’agir pour mener à bien une 
stratégie d’intérêt général sur un territoire donné. Ils définissent un 
ensemble limité d’objectifs, mesurables par des indicateurs 
compréhensibles par tous (par exemple : réduction du nombre de 
décrocheurs, augmentation du nombre d’entrées en formation qualifiante, 
nombre de retour à l’emploi de jeunes chômeurs) et ils se donnent une 
feuille de route permettant à chacun, dans son domaine d’activité et 
avec ses ressources propres, de contribuer à atteindre l’objectif. La 
communauté d’action se définit exclusivement par l’action qu’elle mène 
et non par l’appartenance, le statut juridique ou social de ses membres 
ni par le type de structure sur lequel elle s’appuie.

La communauté d’action peut se créer à diverses échelles territoriales 
(commune, intercommunalité, bassin d’emploi, département…) du moment que 
ses membres constituent déjà un réseau de relations qui leur permet de 
se connaître et de se faire confiance.

Outre cette capacité à décider et à agir ensemble dans la durée, 
l’existence d’une communauté d’action suppose de réunir deux conditions 
indispensables :
• La reconnaissance de la communauté par les organisations auxquelles 
appartiennent ses membres. Ceux-ci doivent être habilités à agir et à 
considérer les performances de la communauté comme contribution à la 
performance de chacune des organisations. Cela implique notamment que 
les procédures de décision et les règles de gestion puissent être 
adaptées aux besoins de la stratégie locale.
• Le recrutement et le financement dans la durée d’une équipe 
d’animation dédiée à la communauté d’action et comprenant au moins un 
chef de projet, un gestionnaire de données et un médiateur.

Comment allons-nous le faire ?

Les acteurs de la société civile, en premier lieu les associations qui 
agissent dans les domaines de l’éducation, du sport, de la culture, de 
l’insertion, de l’accompagnement et de la solidarité de proximité, de la 
formation et de la création d’entreprise doivent, sans attendre, se 
réunir pour commencer à identifier localement des enjeux et des 
objectifs. Tout citoyen qui, saisi par le sentiment de l’urgence, 
souhaite s’engager, doit trouver à sa portée des associations qui 
l’accueillent et qui lui proposent des perspectives d’action. Les 
fédérations et les réseaux associatifs doivent encourager et accompagner 
cette démarche avec leurs moyens d’animation et de diffusion.

Les fondations doivent mettre en commun des moyens pour financer sans 
délai les équipes d’animation des communautés d’action. Il faut changer 
de regard sur ce type de dépense, généralement considéré comme « frais 
de fonctionnement », qui s’avère aujourd’hui un levier stratégique 
indispensable. Les entreprises peuvent, au-delà des fondations qu’elles 
soutiennent déjà, mobiliser leurs salariés sous forme de bénévolat de 
compétence, notamment pour structurer les démarches de conduite de 
projet. Les investisseurs, au premier rang desquels les grands acteurs 
de l’économie sociale et les fonds d’épargne salariale, trouveront là le 
terrain d’adaptation au contexte français des instruments 
d’investissement à impact social.

Les collectivités territoriales sont parties prenantes des communautés 
d’action au sein desquelles elles pourront inventer les nouvelles formes 
d’action territoriale appelées à remplacer celles que la contrainte 
budgétaire ne leur permet plus de soutenir. Elles peuvent avoir un rôle 
clef dans le repérage et la mise en relation des acteurs pour 
l’émergence des communautés d’actions.

L’État, les opérateurs publics et les organismes sociaux doivent 
mobiliser leurs capacités d’expertise et leurs données pour les mettre 
au service des communautés d’action. Mais il faut surtout encourager les 
agents publics à y participer en tant que stratèges et non en simples 
exécutants de stratégies décidées ailleurs. C’est en manifestant sa 
confiance envers les capacités stratégiques des citoyens, des 
professionnels et des bénévoles que l’État provoquera la « levée en 
masse » dont notre pays a aujourd’hui besoin au sein de la société 
civile. Le soutien aux communautés d’action ne relève pas d’une 
expérimentation appelée à inspirer de nouvelles politiques publiques 
dans un avenir indéfini mais un changement d’approche consistant à 
intégrer dès aujourd’hui et en continu la capacité d’innovation sociale 
aux politiques publiques.

Les médias, enfin, ont un rôle à jouer dans la mobilisation des membres 
des communautés d’action comme dans la valorisation de leur résultat. 
Ils ont une responsabilité pour donner les clefs d’analyse des 
alternatives qui sont portées par la société civile.

Les mutations et transitions multiples qui travaillent la société 
française, la redistribution des pouvoirs et des intérêts qu’elles 
provoquent ont conduit chaque groupe, chaque corporation, chaque 
institution à vouloir se garantir, se protéger ou du moins se donner un 
répit. Cette attitude se trouve brutalement périmée. Il est vain de 
redouter la dérive sécuritaire de l’État si l’on ne donne pas à 
l’ensemble des citoyens le pouvoir d’agir, de résister et de faire société.

24 novembre 2015

(1) « Canaliser le changement : comment réussir l’impact collectif ? » 
par Fay Hanleybrown, John Kania et Mark Kramer, Stanford Social 
Innovation Review, 2011, www.centre-francais-fondations.org

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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