[Infoligue] Merci Manuel Valls d'oser le mot d'apartheid

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 22 Jan 09:25:21 CET 2015


Merci Manuel Valls d'oser le mot d'apartheid

Publié par : http://www.cafepedagogique.net
Le : 21/01/15
Par : François Jarraud

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En parlant "d'apartheid territorial, social, ethnique" pour désigner la 
situation que vivent certains jeunes des banlieues, le premier ministre 
récolte une avalanche de critiques  aussi bien dans les milieux 
politiques que dans les médias. Pourtant le premier ministre a raison. 
Cet apartheid existe bien à l'école. Refuser de le voir c'est participer 
à son institution.

A vrai dire il est facile de démontrer l'existence de cet apartheid. On 
sait qu'il vaut mieux vaut s'appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir 
le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Alors que pour 
le Bac STG Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent. On voit, quand on 
visite les lycées professionnels, des établissements où la grande 
majorité des élèves appartiennent à des "minorités visibles" comme on 
dit poliment dans l'éducation nationale. On retrouve la même 
ségrégation, inversée, dans certains lycées de l'ouest parisien.

Un an avant les émeutes de 2005, Georges Felouzis levait le voile dans 
une étude sur les collèges de Gironde. Il s'en expliquait au Café 
pédagogique. "On observe en effet de la ségrégation au collège et 
certaines origines en sont plus victimes que d'autres : c'est plus net 
pour les personnes originaires du Maghreb, d'Afrique noire ou de 
Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et non. Oui car cela 
crée une situation sociale qui produit une identification de l'individu 
sur une base ethnique qu'il soit allochtone ou autochtone. Dans les 
collèges, on observe que ça incite à produire des identités centrées sur 
l'ethnicisation. Ca peut produire une lecture de la société en terme de 
relations raciales. Mais ce n'est pas le fruit du racisme. C'est diffus 
: la cause principale en est la ségrégation urbaine. Ces collèges 
recrutent dans des zones caractérisées ethniquement. Il faut être clair 
: ce n'est pas parce qu'il y a du racisme à l'école qu'il y a 
ségrégation mais parce que des mécanismes sociaux entraînent 
mécaniquement le rejet de l'autre. Par exemple les familles sont 
rarement racistes. Mais elles craignent la violence pour leurs enfants. 
Elles veulent un bon niveau. Et donc elles ont des stratégies de 
contournement de certains établissements. C'est cette situation qui crée 
le racisme car elle impulse des identifications".

Beaucoup plus récemment, il commentait l'énorme écart de score en France 
entre les jeunes issus de l'immigration et les enfants autochtones. "Le 
fait que le handicap scolaire des élèves migrants reste aussi fort 
lorsqu’on prend en compte leur origine sociale montre le poids du 
déterminisme social lié à l’origine migratoire. Ce déterminisme est 
d’autant plus marqué que la ségrégation scolaire se construit en grande 
partie sur des critères ethniques. ... La ségrégation scolaire se 
construit en grande partie sur des  critères ethniques car le choix de 
l'établissement et l'évitement  de certains collèges se fait à partir 
des caractéristiques externes  et visibles du public des établissements. 
Et dans ce cas, le  critère ethnique devient très fort... La 
ségrégation  en fonction de l'origine ethnique des élèves est bien plus 
marquée  qu'en fonction de leur origine sociale ou économique. Et cette 
mise à l’écart est un facteur déterminant de leur piètre acquis 
scolaires relativement aux natifs".

Cet apartheid ne signifie pas que les enseignants soient racistes. Ils 
sont probablement la catégorie sociale la moins atteinte par cette 
gangrène. Ce que montre très bien G Felouzis c'est que l'apartheid est 
systémique. Il n'est pas lié au racisme. Il ne découle pas non plus de 
l'écart culturel entre l'école et les familles. "Le modèle de la 
discontinuité culturelle reste valide", nous disait G Felouzis il y a 
quelques mois. "Mais il ne permet pas d'expliquer la hausse des 
inégalités depuis 20 ans. La discontinuité culturelle entre l'Ecole et 
les familles n'a pas augmenté en 20 ans. Ce sont les discriminations 
systémiques qui peuvent expliquer la hausse des inégalités. Par 
discriminations systémiques on entend les inégalités d'opportunités 
d'apprentissage. On dit que l'Ecole française est indifférente aux 
différences et que c'est un facteur d'inégalités. Mais on observe que 
l'Ecole est loin d'être indifférente. On s'aperçoit que la ségrégation 
scolaire est très forte y compris dans l'enseignement obligatoire et 
même qu'elle s'accentue. La séparation sociale dans les établissements 
augmente et cela a des conséquences sur les apprentissages. Dans les 
établissements ségrégés les conditions d'apprentissage sont moins 
bonnes. On ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves. C'est un 
facteur d'inégalités très fort."

Alors les propos de Manuel Valls nous apportent un peu d'espoir. On 
pouvait craindre que l'Ecole réagisse à la mise en évidence de la 
fracture culturelle et ethnique seulement par un appui à l'enseignement 
moral et civique. Celui ci est indispensable et l'enseignement du fait 
religieux, déjà présent de la 6ème à la terminale, doit aussi être 
ravivé. Les propos de M Valls l'engagent à rendre les valeurs 
républicaines crédibles. C'est à dire à passer aux actes et à agir pour 
que l'école soit moins ségrégative.

Comment faire ? Les travaux de G Felouzis, ceux qui ont été menés à la 
demande de la région Ile de France sous la houlette d'Henriette Zoughébi 
mettent en évidence les mécanismes ségrégatifs. Il convient de 
s'attacher à les démonter par une politique volontariste de soutien à 
l'éducation prioritaire, de mixité sociale et de développement de 
l'offre scolaire dans les quartiers. Il faut arrêter d'apporter des 
moyens là où il y en a déjà beaucoup et les orienter là où ils manquent. 
Il faut que la promesse républicaine d'égalité et fraternité soit 
visible par les familles. Les propos de M Valls donnent à espérer que 
l'Etat se donne les moyens de cette politique.



François Jarraud

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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