[Infoligue] Splendeurs et misères du travail associatif

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 2 Juin 15:44:31 CEST 2015


Splendeurs et misères du travail associatif

Auteur : Matthieu Hély
Publié par : http://www.youphil.com/
Le :  02/06/2015

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Pour Matthieu Hély, sociologue spécialiste du travail associatif, les 
récentes révélations sur la Croix-Rouge épinglée par l'inspection du 
travail n'ont rien de surprenant, au contraire.

Selon le rapport adressé le 30 mars 2015 à la présidence de la 
Croix-Rouge française par l’inspection du travail, l'association est en 
infraction vis-à-vis de la législation en vigueur à partir des 
observations réalisées sur l’année 2014. L’inspection a ainsi relevé 
3345 dépassements de la durée maximale quotidienne de travail (10 
heures), 291 dépassements de la durée maximale hebdomadaire (48 heures), 
58 dépassements de la durée maximale hebdomadaire sur 12 semaines (44 
heures), 129 privations du repos quotidien maximal (11 heures).

À la suite de la reprise de ces informations dans la presse, la 
Croix-Rouge française a publié un communiqué, le 31 mai 2015, indiquant 
que "cette situation [constatée par l’inspection du travail] est liée à 
l’identité même de la Croix-Rouge et à sa mission: sauver des vies!". De 
son côté, la présidente du Mouvement associatif (dont la Croix-Rouge 
française est membre) a déclaré, dans un entretien publié sur le site de 
l’organisation le 1er juin: "Les dysfonctionnements relevés à la 
Croix-Rouge sont assez surprenants [...] La spécificité du monde 
associatif, c’est que les salariés, bénévoles et employeurs ont les 
mêmes valeurs. Les salariés associatifs sont engagés et donc de leur 
propre chef passent plus de temps au travail".

Des pratiques qui existent depuis longtemps

Tout d’abord, cette affaire n’a rien de "surprenant". La non conformité 
des pratiques du travail associatif est constatée depuis très longtemps 
par de nombreuses enquêtes: qu’’il s’agisse des statuts d’emploi (6% des 
embauches sont en contrat à durée indéterminée dans le secteur 
associatif, contre 16% dans le secteur marchand), de l’application des 
conventions collectives (près du tiers des salariés employés par une 
association relèvent du seul Code du travail) ou des salaires ("toutes 
choses égales par ailleurs", la rémunération dans une association est 
significativement plus faible que dans le secteur privé lucratif). J’y 
ai consacré ma thèse de doctorat, soutenue en 2005 et publiée en 2009.

En outre, la Croix-Rouge s’est déjà illustrée dans ce domaine en 2002 
(arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 janvier 
2002). Il s’agissait d’une affaire concernant la qualification des 
contrats conclus par la Croix-Rouge française avec des collaborateurs 
ayant participé pendant plusieurs années au service d’accompagnement de 
personnes voyageant seules mis en place par l’association.

Ces accompagnateurs avaient signé un contrat "dit de bénévolat" avec 
l’association et ne se prévalaient pas de la qualité d’adhérent. Ils 
percevaient une indemnité destinée à les rembourser pour leurs frais, 
dont le montant variait selon la durée de la mission. La chambre sociale 
de la Cour de cassation a ainsi estimé que l’exécution du travail était 
effectuée dans un état de subordination juridique et que l’indemnité 
versée équivalait à une rémunération puisqu’elle ne dépendait pas d’un 
tarif forfaitaire ajusté aux frais réels exposés, mais fluctuait selon 
les missions. Ces éléments ont conduit la chambre sociale à requalifier 
le contrat "dit de bénévolat" en contrat de travail.

Profond changement des pratiques associatives

Ensuite, la situation économique et sociale du monde associatif (et donc 
des 1,8 million de salariés qui y sont employés) s’est fortement 
dégradée depuis 2010, avec des conditions d’accès au financement public 
de plus en plus incertaines. À tel point que des mobilisations inédites 
ont été observées: grève des salariés de l’association Emmaüs en 2010 et 
création du premier syndicat Action pour les salariés du secteur 
associatif (ASSO). Ce dernier est affilié à l’Union syndicale solidaires 
et a pour objectif de rassembler tous les travailleurs (au sens large, 
c’est-à-dire stagiaires ou volontaires en service civique) du monde 
associatif, indifféremment de leur appartenance de branche ou de secteur 
d’activité.

Par ailleurs, la constitution du Collectif des associations citoyennes, 
à la suite de la mise en œuvre de la circulaire Fillon et les 
transformations des formes de financement public du monde associatif, 
est également révélatrice d’un changement très profond des pratiques 
associatives. Ces bouleversements ont abouti à la création d’une 
commission parlementaire de l’Assemblée nationale chargée d’examiner les 
difficultés du monde associatif, qui a rendu ses conclusions dans un 
rapport très documenté en novembre 2014.

Les salariés associatifs, des travailleurs hybrides

Il est urgent de réfléchir sérieusement sur la nature du travail 
associatif. Dépendant largement du soutien financier des collectivités 
publiques, les salariés du monde associatif ne sont pas des 
fonctionnaires, mais relèvent du droit privé. Pour autant, les services 
qu’ils produisent sont non marchands, soit parce qu’ils sont gratuits ou 
vendus à un prix inférieur au marché au nom de leur "utilité sociale". À 
ce titre, les salariés associatifs sont des travailleurs hybrides: ils 
réalisent les missions du public dans les conditions du privé.

Si le monde associatif continue de dénier l’existence de ces 
travailleurs (en les opposant aux bénévoles, alors que ces deux 
catégories cohabitent dans la plupart des associations), ce salariat 
risque d’être réduit au statut d’une simple "variable d’ajustement des 
politiques publiques". En particulier dans un contexte où la 
constitution d’une "Big society à la française" est à l’ordre du jour et 
où les associations sont envisagées comme de véritables opérateurs 
privés de politique publique.

Pour sortir par le haut des difficultés d’un monde associatif engagé 
dans un changement radical de configuration historique, prenons le temps 
de réfléchir au travail associatif, à ses proximités avec le statut 
général de la fonction publique, comme forme historique consacrant le 
"travail non marchand" dans la société française, comme à ses spécificités.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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