[Infoligue] Associations et monde culturel : Virage dangereux

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 11 Juin 10:38:09 CEST 2015


Associations et monde culturel : Virage dangereux

Publié par : 
http://blogs.mediapart.fr/blog/nicolas-romeas/100615/associations-et-monde-culturel-virage-dangereux
Le : 10 juin 2015
Par Nicolas Roméas


*******************************

Bien naïfs ceux qui croyaient que le néolibéralisme (ou capitalisme, 
comme on disait jadis) n’irait pas jusqu’à tenter de TOUT prendre dans 
ses filets. Car, pour lui, on le voit chaque jour avec l’« austérité » 
et les fameuses « réformes », le poids de la « dette » et le traitement 
infligé par l’Europe à la Grèce, tout, jusqu’aux soins aux personnes 
âgées et aux malades, jusqu’à la misère qu’il produit, doit devenir « 
marché ».

Et, comme le montre clairement Jean-Claude Boual président du Collectif 
des associations citoyennes1, qui mène depuis plus de quatre ans un 
travail très pointu sur le sujet, le dernier «marché» qui résistait 
encore, sur lequel il ne pouvait presque pas faire de profit, va bientôt 
tomber dans son escarcelle…

Peu de gens en ont encore conscience, car il faut du temps et quelques 
connaissances pour décrypter les dispositifs très complexes (et 
trompeurs) mis au point par le G8, l'OMC et l'OCDE2, efficacement 
relayés par l'Europe et mis en pratique par les différents 
gouvernements. Et lorsqu'on prend le temps de s'attarder sur les 
manœuvres des néolibéraux pour mettre la main sur tout ce que produit 
notre société, on est stupéfait de leur perversité. Rien ne les arrête. 
Et dans un système qui avale tout, l'enfer est parfois pavé des 
meilleures intentions.

Les attaques à l'encontre des données immatérielles de l'art, ce qu'on 
nomme la «culture» et la pensée en général (ce que j'appelle le monde du 
symbolique) comme des valeurs de générosité et de gratuité portées par 
le monde associatif, lancées par les tenants de l'évaluation 
quantitative de tout, ne datent pas d'hier. La résistance (ou la 
riposte) à ces attaques est même l'un des axes majeurs de notre revue. 
Mais c'est vraiment David contre Goliath. Depuis au moins deux 
décennies, ces attaques passent par une multitude de canaux, des  
formations en «ingénierie culturelle» - qui visent à produire des 
gestionnaires là où nous avons besoin de gens cultivés et sensibles au 
rôle du geste artistique -, jusqu'à celle des journalistes, la plupart 
du temps contraints de ne parler que de formes déjà reconnues et 
négligeant le travail d'équipes engagées dans un projet véritablement 
artistique, c'est-à-dire sociétal. En passant par les nombreux freins à 
la diffusion de publications comme la nôtre et les subventions accordées 
à des entreprises tueuses de librairies (et destructrices d'humanité) 
comme Amazon.

Eh bien nous entrons aujourd'hui dans une nouvelle phase de cette 
guerre, une intensification réelle après laquelle il sera très difficile 
de revenir en arrière si nous ne lui opposons pas, en connaissance de 
cause, une résistance déterminée. Les incessantes incitations à se 
tourner vers le mécénat privé (qui frisent le harcèlement) subies depuis 
au moins deux décennies par les artistes et les équipes de la part des  
gouvernements successifs vont bientôt trouver leur aboutissement. Ce qui 
revient à dire que l'ensemble du monde associatif (et donc la part la 
plus désintéressée et engagée du monde culturel) est sur le point de 
tomber sous la coupe d'intérêts privés.

Car pour le monde de la finance, le service public de la culture 
construit en France après la dernière guerre doit - comme les autres - 
disparaître, afin que la totalité des activités humaines soit gérée par 
le système capitaliste comme un marché. Profitable. C'est l'un des 
derniers bastions du sens encore debout dans nos sociétés qui menace de 
tomber sous les coups des ultralibéraux et de leurs affidés (quel que 
soit le nom dont ils se parent).

Et cela correspond bel et bien (se rendent-ils vraiment compte de ce 
qu'il font ?) à l'avénement d'une vision délétère, morbide, piteuse, 
anémiée, déficiente, médiocre, misérable, cauchemardesque, d'un être 
humain privé d'imaginaire réduit à sa seule sinistre fonction de 
producteur-consommateur. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous 
avons vertement critiqué en son temps les propos d'Aurélie Filippetti en 
réponse au Medef sur la rentabilité des pratiques culturelles. Lorsqu'un 
ministre de la Culture tient un pareil langage, le sens de l'art (et de 
la «culture» en général) s'efface immédiatement pour laisser place aux 
industries culturelles qui en sont l'exact opposé. Pour en être 
convaincu il suffit de relire ce que disait déjà Theodor Adorno sur le 
sujet en 19623.

Il ne nous reste qu'à espérer une chose : que les menaces qui pèsent sur 
les défenseurs de l'univers du symbolique, sur ceux qui veulent un art 
et une culture vivants et destinés à tous, soient le levier d'une prise 
de conscience aussi forte que le fut, il y a cinq décennies, celle des 
désastres écologiques au sujet desquels nous alertaient René Dumont et 
ses amis. Et que cette prise de conscience nous force à nous rassembler, 
enfin, autour de cette cause absolument essentielle !



Nicolas Roméas

1 - Ce texte est, à peu de choses près, celui de l'éditorial du prochain 
numéro (102) de Cassandre/Horschamp (parution début juillet) ; il 
renvoie à un grand entretien avec Jean-Claude Boual publié dans ce 
numéro, dans lequel les mécanismes dont il est question sont explicités 
en détail.

2 - Groupe des 8 pays les plus riches, Organisation Mondiale du Commerce 
et Organisation de Coopération et de Développement Économiques.

3 - «Dans toutes ses branches on construit, plus ou moins selon un plan, 
des produits qui sont étudiés pour la consommation des masses et qui 
déterminent par eux-mêmes, dans une large mesure, cette consommation». 
Théodor Adorno, conférence pour l'Université radiophonique et 
télévisuelle internationale.


http://www.associations-citoyennes.net

-- 

-----------------------
Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
-----------------------
Nos sites :
http://www.laligue-alpesdusud.org
http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog
-----------------------





Plus d'informations sur la liste de diffusion Infoligue