[Infoligue] Bientôt un Brexit culturel

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 1 Juil 07:44:33 CEST 2016


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"Bref, c’est le moment de lancer un plan massif pour faire entrer la 
culture à l’école, multiplier les actions dans les quartiers, développer 
les pratiques amateurs, mais on n’en prend pas le chemin.//"/

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Bientôt un Brexit culturel

Publié par : LE MONDE
Le : 01.07.2016

Par Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde »

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Donc le pays le plus libéral d’Europe se referme comme une huître. 
Depuis, c’est le choc, qui est aussi culturel. Et se vérifie ailleurs.

Qui est contre les frontières ? Les jeunes, les citadins, ceux qui 
voyagent, font la nuit, vont au spectacle, courent les expositions, 
aiment découvrir d’autres cultures et façons de vivre.

Qui est pour ? Les retraités, les inactifs, les pauvres, ceux qui ont 
fait peu d’études, les rurbains qui vivent dans un désert culturel, 
voyagent à travers la télévision plutôt qu’avec Erasmus, rejettent la 
création cosmopolite. Ils ne profitent pas de l’Europe et veulent casser 
le jouet des autres.

Or ce sont les mêmes qui ne profitent en rien de la culture. En France, 
par exemple.

Culture « confisquée »

Il y a quelques semaines, nous avons publié une chronique intitulée « On 
ne cultive que les riches ». La France est championne pour construire 
des théâtres, musées, salles de concert, mais la France des barres de 
banlieues comme des pavillons n’y va pas. Elle estime que cette culture 
n’est pas pour elle, qu’elle est faite pour les classes moyennes et 
aisées du cœur des villes. Cette fracture, c’est celle du Brexit.

Pourquoi payer pour une Europe qui n’est pas pour nous ? Pourquoi payer 
pour une culture qui n’est pas pour nous ? Allez voir à la périphérie 
des villes ce que l’on pense des intermittents. Et ce que l’on pense des 
filles et fils de chanteurs, d’acteurs, d’artistes, dont la réussite 
évoque une caste. Le Front national (FN) est ravi du Brexit. Tous les 
populistes le sont. Et tous dénoncent une culture « confisquée par les 
élites ».

Quand on évoque cette fracture, les patrons de musées, de théâtres ou de 
festivals opposent les dizaines d’actions en faveur des plus 
défavorisés. Ils ne voient pas qu’il faut changer de logiciel. Il y en a 
un qui l’a compris, c’est Bernard Foccroulle, le directeur du Festival 
d’art lyrique d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), qui, le 25 janvier, 
écrit dans Le Monde : « L’art et la culture pourraient créer davantage 
de liens. Trop souvent, ils ne font que renforcer les clivages sociaux. »

Inventer autre chose

Notre logiciel date de 1959, autrement dit une éternité, quand André 
Malraux crée un ministère de la culture autour d’une idée généreuse : 
donnons à voir, à lire, à écouter les grandes œuvres, et chacun aura la 
« révélation » de la culture.

Il n’avait tort que sur un point : un Shakespeare à 10 euros n’est pas 
suffisant pour que les gens modestes y aillent ; la gratuité non plus. 
Construire un théâtre dans une « banlieue sensible » ne fait pas 
accourir les riverains. Le livre de poche ne fait pas lire ceux qui ne 
lisent pas. Dire « regardez, c’est magnifique » ne marche pas.

Cela ne signifie pas qu’il faut casser ce qui existe, même s’il y aurait 
beaucoup à dire. Ce n’est pas parce que le public du Festival d’Avignon 
n’est pas aussi « populaire » que le voulait Jean Vilar qu’il faut 
supprimer Avignon.

Non, il faut inventer autre chose, mais en plus, pour récupérer les 
naufragés de la culture. Il faut que ce soit un jeune homme de 85 ans, 
Michel Rocard, qui le dise dans Le Point du 23 juin : « Le véritable 
socialisme, c’est l’accès pour tous aux activités de l’esprit, donner à 
l’homme plus de temps libre pour la culture. Pour le moment, on est loin 
de tout ça. »

« Absence d’envie »

On en est loin parce que depuis Jack Lang, on ne sent plus de ferveur 
culturelle – surtout pas avec François Hollande. On en est loin à cause 
du fiasco des arts à l’école. C’est lassant de le rappeler : si on ne 
donne pas aux enfants le goût de la culture, ils ont très peu de chance 
de s’y intéresser à l’âge adulte.

Depuis trente ans, on pourrait citer des centaines d’initiatives à 
l’école, mais jamais une politique structurée, massive, sur une longue 
durée n’a vu le jour. Ajoutons ce constat : pourquoi l’art, la musique 
et la lecture sont des plaisirs au primaire, des pensums au collège, et 
pire au lycée ?

Dans les années 1960, à côté de la « haute culture » prônée par Malraux, 
on a développé en France un riche réseau associatif qui a défendu les 
pratiques amateurs et l’animation de proximité. Les maisons de la 
jeunesse et de la culture, les fameuses MJC, étaient les emblèmes de ce 
qu’on appelait, parfois avec mépris, le « sociocu ».

Les jeunes allaient à la MJC pour apprendre à danser, faire du théâtre 
ou voir un spectacle. Le public n’était pas seulement spectateur mais 
acteur. La culture n’est pas la chasse gardée de professionnels qui 
décident du beau, mais un imaginaire dont chacun doit s’emparer.

C’est ce qui manque cruellement aujourd’hui, explique Hugues de Varine, 
auteur de La Culture des autres (Seuil, 1976) : « L’éducation populaire 
et les pratiques amateurs ont presque totalement disparu au profit d’une 
culture institutionnelle dont les codes sont peu ou pas du tout 
compréhensibles par la majorité des Français, ce qui explique l’absence 
d’envie de cette culture. »

« Découragement »

Il y a pourtant sur le terrain des centaines de soutiers de la culture 
qui se battent pour renouer les liens. Mais ils flanchent. Les communes, 
leur premier employeur, manquent d’argent et les fait trinquer. L’Etat 
les snobe.

William Benedetto anime le cinéma municipal l’Alhambra, dans les 
quartiers nord de Marseille. Il y a un an, il a envoyé une lettre 
ouverte au ministère de la culture pour dire combien des dizaines 
d’acteurs de terrain sont gagnés par « le découragement ». Lettre restée 
sans réponse.

Bref, c’est le moment de lancer un plan massif pour faire entrer la 
culture à l’école, multiplier les actions dans les quartiers, développer 
les pratiques amateurs, mais on n’en prend pas le chemin.

D’autant que les résultats ne seraient visibles que dans dix ou quinze 
ans. Michel Rocard, toujours au Point : « Les politiques sont harcelés 
par la pression du temps. Ni soirée ni week-end tranquilles, pas un 
moment pour lire, or la lecture est la clé de la réflexion. Ils 
n’inventent donc plus rien. »


     Michel Guerrin
     Journaliste au Monde



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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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